Breaking up in style : les derniers concerts français de Refused

FooFree
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Il faisait froid ce samedi 16 juin 2012. Minuit était passé alors c’était techniquement dimanche et il fallait bien rassembler les quelques forces qui restaient pour tenir jusqu’à une heure, parce que le groupe qui n’aurait jamais dû se reformer venait de se reformer quelques mois plus tôt et qu’on allait pouvoir le voir au Hellfest. Alors qu’ils avaient écrit en bleu sur noir « we will never play together again and we will never try to glorify or celebrate what was”, est-ce que revenir ce n’était pas tout gâcher ? Mais est-ce qu’on ne mourrait pas d’envie de voir ça ? Est-ce qu’on n’est pas d’autant plus fascinés quand on reçoit ce qu’on avait toujours cru impossible ?

Le sol sous l’ancienne Warzone était recouvert d’une boue qui dégageait une odeur pestilentielle et avalait les chaussures de ceux qui gardaient trop longtemps les pieds au même endroit. Des silhouettes apparaissent derrière une nappe de brouillard. Les lumières s’éteignent. Une voix annonce « Worms of the Senses / Faculties of the Skull”. Et c’est l’explosion.

Il y a eu un Bataclan à l’automne suivant, un Trianon le premier décembre 2015 qui restera toujours gravé dans les mémoires comme tous les concerts qui se sont tenus à Paris à cette période, trois Hellfests en 2016, 2019, et 2025… Et avant qu’on n’ait pu s’en rendre compte, c’est déjà la septième fois, et c’est déjà la fin.

Paris – Elysée Montmartre – 8 octobre 2025

Quicksand

C’est dans une cave en Suède et devant une trentaine de personnes que Refused aurait vu Bleakness et décidé de les amener avec eux à Paris et à Lille. Malheureusement notre honteux retard fait qu’on rate la prestation des gotho-coreux. Pardon.


On est en revanche à l’heure pour ce qui est certainement l’autre tête d’affiche de la soirée : Quicksand ! Et ce set a tout d’un événement puisque le groupe n’avait pas joué en nos contrées depuis 1995. En trente ans ils ont eu le temps de se séparer et se reformer deux fois sans venir nous saluer… du moins en tant que Quicksand, puisque les Français ont cet été pu voir Walter Schreifels avec Gorilla Biscuits et que Sergio Vega a tenu la basse à tous les concerts de Deftones entre 2009 et 2021.

Ils sont ce soir en formation trio, ce qui accentue le côté simple et percussif de leurs compositions. Les têtes de l’auditoire s’abattent par à-coups, comme synchronisées sur chacune des frappes d’Alan Cage. On observe d’ailleurs logiquement plus de réactions aux titres du classique « Slip », qui représente le gros de la setlist.

La balance n’est pas parfaite, mais les trois ensablés jouent comme un seul homme et multiplient les échanges complices. On a l’impression d’assister à une évidence, face à un groupe qui n’aurait jamais dû splitter. Reste plus qu’à espérer qu’ils reviendront en France avant 2055.

Refused

Refused entre sur “Poetry Written in Gasoline” et l’excitation initiale laisse rapidement place à quelques regards circonspects échangés dans le public. Puis ça se pousse gentiment, mais peu nombreux sont les spectateurs qui connaissent ce morceau paru sur le « The New Noise Theology E.P. » qui était sorti un mois après « The Shape of Punk to Come ». Il faut dire aussi qu’ils n’ont commencé à le jouer qu’en 2025 avec cette tournée d’adieux. Le titre est long, et on peut légitimement penser que le groupe a par l’esprit de contradiction qui le caractérise, refusé de céder à la facilité en sacrifiant une possible entrée en scène efficace pour mettre en avant un titre oublié qu’ils jugeaient important.

Mais la fête débute instantanément quand ça enchaîne sur une grosse majorité de morceaux issus de leur album culte, saupoudrée ici et là de quelques titres du reste de leur discographie. Les membres volent dans tous les sens et ça s’époumone sur des paroles connues plus que par cœur. Un mec avec un t-shirt Ho99o9 cherche aux quatre coins du pit la banane noire dans laquelle explique-t-il, il avait ses clés, ses papiers et son portable. On espère qu’il l’a retrouvée.

Quand on fera l’autopsie de Refused à la fin de la tournée, on constatera sans aucune surprise que son corps est composé à parts égales de musique et de politique. Aussi on retrouve sur un ampli un drapeau de la Palestine et les morceaux sont naturellement entrecoupés de tirades de Dennis : la montée du fascisme en Europe, un « Free Palestine ! » soutenu par la guitare et la batterie, et le fameux discours sur la guerre culturelle, qu’on avait entendu cet été au Hellfest mais qui mérite bien d’être entendu par tous.

Breaking up in style

Tout le monde connait l’histoire de Refused, celle d’un groupe en avance sur son temps qui se sépare après une tournée chaotique et trouve le succès une fois splitté. Soit la définition littérale du groupe culte.

Alors pour cette seconde séparation, ils ont décidé de faire les choses bien :

« So, a year and a half ago, we made the decision to break up the band.

We said “let’s break up the band and create something new. We need to move forward.” And then we said: “The last time we broke up in 1998 it was horrible!” Grown men crying, it was bullshit!

And then we decided that if we’re gonna break up the band, let’s go out and celebrate it. Let’s celebrate the legacy of the band, everything that we’ve done, all the music, all the stories, all the fuckin’ politics and everything, and that’s what we’re doing.

We’re very excited to be here and to be able to break up the band in fuckin’ style! »

Songs (not only) from the record that you like

Mais si tout le monde retient leur dernière tournée, on oublie son contexte et le pourquoi du comment. Refused était à l’origine un groupe de hardcore qui n’avait absolument rien de post et qui respectait aveuglément et avec ferveur tous les codes de la scène.

Avant de partir, ils ont tenu à nous en donner un aperçu :

« If we’re gonna go out and celebrate the legacy of the band, we also need to play songs, not only from the record that you like.

So we decided we were gonna play old school hardcore songs. When we started the band, me and David in 1991, and Magnus joined in 92, we said that we wanted to be like an old school hardcore band, kinda New York style… and then we realized that we’re from a small town in the middle of nowhere in Sweden. And I remember one show where I had my shirt off, and I looked at myself in a mirror and I was like… “Nope! That’s not the way to go. » »

C’est ce rejet de la scène et de son cadre qui a été le déclencheur, et qui de la même façon leur a fait perdre leur fanbase au moment où ils tentaient de s’en extraire.

On a pu les voir comme très énervés, radicaux et prétentieux, tant à cette première période conformiste qu’à cette seconde anticonformiste. Et ils l’étaient. Personne n’enregistre un album comme « The Shape of Punk to Come » ou ne publie un communiqué comme celui qu’ils ont écrit à leur séparation, sans se prendre bien au sérieux. Mais les œuvres révolutionnaires n’ont jamais été produites par des individus mesurés. Aujourd’hui à cinquante ans passés, ils sont pourtant capables de regarder en arrière et de relativiser, voire carrément de se moquer d’eux-mêmes.

« So, in the spirit of that, we’re gonna play two old school songs, the first one is from our first ever EP. It’s a song that felt very relevant at the time. It’s about someone selling out hardcore. It’s a true story. Maybe straight edge, I don’t know. He was not hardcore anymore and we had to write a song about that fucker. I have no idea who he was! »

La chanson dont il parle en rigolant c’est « Soft », et à lire les paroles, on est clairement sur du drama adolescent de scenester cliché au possible. Ressortir soi-même ses dossiers et les jouer sur scène assortis d’un petit commentaire ironique, c’est faire preuve d’une auto-dérision en béton armé.

Dès le début de « Soft », le push pit qui s’était formé depuis le début du concert s’ouvre complètement pour laisser deux ou trois mecs taper leurs plus beaux windmills. On va jusqu’au bout de la chose, même dans le public.

La seconde c’est « Pump The Brakes » et là zéro ironie, qu’est-ce qu’ils étaient bons dans ce registre quand même.

So where do we go from here?

Impossible de partir sans avoir joué le turbo-hit « New Noise », qui dès ses premières secondes fait naître un sentiment d’urgence et une furieuse envie de se mettre sur la gueule. Peu importe où et quand il se présente, ce titre sera toujours capable de créer une émeute. Et dire qu’ils n’avaient même pas prévu d’en faire un single…

Il est suivi immédiatement par le magistral « Tannhäuser / Derivè », probablement leur morceau le plus post et le plus intense, qui nous laisse lessivés et ébahis, avec la certitude que l’ennui n’a pas gagné ce soir. Ça aurait été la plus belle chanson pour quitter la scène et ne jamais revenir.

Mais il faut forcément un rappel. Aussi Dennis revient et nous promet juste un morceau punk, rien de fou, avant de nous offrir « Coup d’État », qu’on n’espérait même pas et qui restera la parfaite conclusion à cette soirée d’adieux.

Just about anywhere !

Alors ça y est, Refused c’est bien fini. Pour justifier sa décision, Dennis avait dit qu’il ne se voyait pas jouer « New Noise » dans dix ans. Il a d’ailleurs développé un peu son idée ce soir :

« When I started playing in a band, when I was like seventeen, we played for twenty minutes, that was great. And now I’m fifty plus and people are like “Yeah, you should play for eighty minutes, ’cause you’re older now.” It makes no sense! It should be the opposite!

When you’re fuckin’ seventeen, play for an hour! Two hours! When we’re fifty, just give un five songs and we’re out!

Our new band is only gonna play five songs. »

Ça n’aura pas échappé aux Français, il vient exactement de décrire Stars 80. Alors pourquoi splitter ? Ils auraient pu continuer à jouer « Rather Be Dead » et « New Noise » une fois par soir entre Patrick Hernandez et Julie Pietri et ça aurait été pas mal, non ?

Non. Et si l’idée de ne jouer que cinq chansons par concert était certainement une blague, celle de monter un nouveau groupe avec les membres actuels de Refused est en revanche bien réelle.

Adieu Refused. Ils ont réussi à partir avec style et on suivra avec attention le projet qui naîtra de ces cendres là.

 

Les plus observateurs auront sans doute remarqué que le texte live-reporte le concert donné par Refused le 8 octobre à l’Élysée Montmartre, tandis que les photos montrent celui du lendemain, le 9 octobre à l’Aeronef. Si vous êtes parisien, vous pouvez donc cesser de chercher votre petit visage dans le pit, l’entreprise est malheureusement vouée à l’échec. En revanche, si vous êtes lillois il y a peut-être moyen. Voilà, c’était les deux derniers concerts français de Refused. C’était un peu triste mais c’était beau. Bisous.

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