5 ans après son To Love Is To Live, Jehnny Beth revient avec un nouvel album solo. Finie la pandémie, la voici enfin à la tête de concerts en tête d’affiche avec un disque frontal et profondément rock.
Un nouveau départ
J’ai trouvé ça hyper inspirant et le public avait un rapport à ma musique en cohérence avec ce que je cherchais. C’était comme une symbiose et un grand réveil que j’attendais. L’album démarre donc sur cette intuition.Je me souviens d’un jour où je lui disais que je n’étais pas artiste et il m’a demandé ce que j’étais alors. À l’époque pour moi artiste, c’était être reconnu. C’est lui qui m’a fait comprendre que tu peux être artiste avant même que les autres ne te voient. Ça a été hyper important de le comprendre et ça a changé ma vie.Un album en duo
De se faire confiance à soi-même, c’est important aussi. A un moment, on a travaillé avec beaucoup de collaborateurs comme Atticus par exemple et c’est en se regardant à deux que l’on s’est demandés si on était capables de le faire.Dans cette idée, il faut aussi être capable de toujours se renouveler parce que vous avez l’habitude de changer régulièrement de projet. Ce qui n’est pas évident de refaire connaître un nom au public et ré-émerger.
C’est via Johnny Hostile, il est très confortable avec la notion de page blanche. Il adore avoir tout à faire.
Comment s’est fait la rencontre avec le label Fiction Records ?
Jim Chancellor qui est le patron du label avait travaillé avec nous sur le disque précédent lorsqu’il était chez Caroline Records.
On était frustrés car nous n’avions pas pu faire ce que nous voulions vu le contexte. C’était la première personne à qui je voulais faire écouter l’album donc il est venu au studio à Angoulème avec mon manager John Silva. Il a aimé le disque et ça s’est arrêté là : on a signé pour deux albums et je ne voulais pas voir d’autre personne.
Expériences de scène et exercices vocaux
C’est une belle salle à jouer le Stade de France, très agréable. Avec l’équipe de Depeche Mode, je ne pouvais pas utiliser la rampe qui rentre dans la fosse. Ils avaient mis une ligne que je ne pouvais pas dépasser. Je m’amusais donc à mettre un pied au niveau de cette ligne et je regardais le stage manager droit dans les yeux. Ca l’énervait au plus haut point mais ça m’amusait beaucoup. (rires)
Tu vas enfin pouvoir être en tête d’affiche avec ton projet solo. Les dates dont on vient te parler étaient en configuration trio et très électronique. Comment vous préparez cette mouture ?
Ce sera plus organique, on sera sur une configuration guitare/basse/batterie. On a déjà commencé à répéter et on reprendra cet été. Je voulais marcher sur la ligne de la catastrophe. Sans les backing tracks, tu peux tester des choses, étirer les morceaux.
J’aime bien sentir que tout peut se casser la gueule à n’importe quel moment. Cela va bien avec l’énergie de l’album où la voix peut casser. J’ai essayé d’étendre ma technique sur la voix en prenant des cours de fry notamment. Je me suis renseigné pour ne pas me faire mal, c’est très technique. J’en ai parlé avec la chanteuse de SCOWL qui me disait avoir mis un an pour avoir trouvé son cri et c’est génial et très personnel ce qu’elle fait. Le cri hardcore est très aigu, c’est difficile à faire. Je voulais trouver mon cri et avoir quelque chose d’artistique.
Je ne voulais pas être Mike Patton parce que je n’y arriverais pas tout simplement.
Il y a beaucoup de modulations sur ta voix dans ce disque. Comment tu as fait travailler et fait évoluer ta voix dans la durée ?
J’apprends par moi-même d’abord et ensuite, je cherche quelqu’un car j’ai envie de progresser et d’avoir une rencontre. Pour Savages, c’était un peu la même démarche. J’avais un style de voix en tête comme celles de Johnny Rotten et de Siouxsie. De la répétition, que l’on retrouve chez Michael Gira des Swans ou British Sea avec qui on avait beaucoup tourné à l’époque à Londres.
Pour ce disque, les influences vocales étaient Mike Patton, Jonathan Davis et Chino Moreno.
Je voulais évoquer la complémentarité entre tes différentes disciplines. La boxe a impacté ton jeu de scène en termes de posture et de mental. Est-ce que ta carrière d’actrice a influencé ta musique ?
C’est difficile car je ne suis pas engagé par des réalisateurs qui cherche Jehnny Beth pour leur film. Ils veulent au contraire me normaliser. Aussi, cela a tendance à changer mais les réalisateurs et réalisatrices ne connaissent pas forcément ma carrière musicale donc il y avait une césure entre ces deux mondes. Ils peuvent parfois se dire que je n’ai pas froid aux yeux mais cela ne va pas plus loin. Sur Anatomie d’une chute, mes amis musiciens sont surpris car ils voient une actrice, pas Jehnny Beth.
Par contre, le théâtre a été fondateur pour moi et ça a été très utile pour Savages. Avoir conscience d’un plateau, de la distance avec les gens, la conscience de son corps tout simplement, tout ça je l’avais en moi.
On commence à travailler lorsqu’Arte nous donne le feu vert. On a avait 3 émissions par an au début, on est maintenant à une. Les médias culturels referment vraiment les vannes, on essaie d’expliquer que c’est important et qu’il y a place pour en faire plus mais c’est compliqué. Après, c’est une émission qui coûte cher donc c’est le budget qui coince. Je ne me plains pas de la chaîne pour autant parce qu’il n’y a qu’eux qui font ça.
Pour nous, c’est une mission. La contre-culture est sous-représenté dans les médias mais il y a un public. Les places pour Echoes partent en deux minutes. C’est notre scène, les artistes veulent faire l’émission et nous contactent directement. Sextile a fait l’émission et a rempli le Trabendo dans la foulée.
On avait fait une émission sur Beats 1 pendant deux ans donc. L’idée de l’émission télé m’est venue lorsque j’étais avec Gorillaz pour le morceau ‘We Got The Power’ où l’on a joué au talk-show anglais du Graham Norton Show. Noel Gallagher ne voulait pas faire l’interview donc ils m’ont demandé de le remplacer une heure avant. Le plateau était dingue : tu avais Jessica Chastain et d’autres grands noms du cinéma. On a eu droit à deux minutes à la fin alors que c’était Damon Albarn, merde ! C’est ce qui m’a donné envie de donner plus de place aux artistes.
Fine ligne entre se satisfaire de ce qu’on a et râler de ne pas avoir plus mais on en revient à la culture alternative en France qui n’a jamais été trop présente… En y réfléchissant, j’ai l’impression que tu es la seule artiste en France féminine ou masculine à porter autant de casquettes. Un statut de touche-à-tout qui est plutôt réservé aux entertainers à l’américaine.
Ma référence sur ce point, c’est Henry Rollins qui pouvait naviguer entre Black Flag, l’animation d’un show pour MTV, le stand-up et l’écriture de livres. Les ponts vont se faire. C’est plus un truc de jeunes : on le voit avec le casting de Stranger Things qui ont des projets musicaux et font des tournées.
Le statut de trait d’union
Entre l’animation d’Echoes et ta carrière de chanteuse, tu fais figure de trait d’union entre l’ancienne génération et la nouvelle. Je fais partie de ceux qui pensent que la musique à guitares ne s’est jamais aussi bien porté en termes de variété et de nombre d’artistes à découvrir. Comment tu le sens toi en tant qu’artiste aujourd’hui ?
C’est juste, je suis d’accord : on est dans une période hyper diversifiée avec des groupes comme Enola Gay qui allaient dans les raves party mais qui ont décidé de faire un groupe de post-punk avec un chant rappé. A l’époque où Savages est arrivé, il n’y avait pas de communauté, on se sentait seules. On est arrivés dans le cimetière de l’indie rock.
La scène d’aujourd’hui était en partie à nos concerts. King Krule était dans nos pogos à Londres à 16 ans. Comme Joe Talbot d’IDLES qui nous a vu à Bristol en première partie de Massive Attack. On est devenus amis par la suite à la sortie de Brutalism et on a participé à nos projets communs… Savages a frappé si fort que l’on n’a jamais joué devant une salle vide. C’est pour ça que je n’ai pas peur de jouer devant une salle pleine. Au contraire, j’ai envie d’y aller. C’est pour ça que tu es là. La salle vide, ça réveille des traumatismes. (rires)
Savages est aussi né du fait que je voyais beaucoup de groupes regardaient leurs pompes en concert et je m’emmerdais à regarder ça. Le business avait tout mangé. Des groupes montaient sur scène parce qu’on leur avait demandé mais ils ne cherchaient pas un public. C’est pourtant la première chose que je dis aux artistes. Ils ont tendance à prendre la situation à l’envers et de se dire qu’il leur faut une structure, un manager, etc.
Tu es connue pour ton interprétation live, tu es capable de faire bouger les fosses même lorsqu’elles ne te connaissent pas. Mais toi, quels sont les groupes aujourd’hui qui te font te déplacer en tant que spectatrice ?
J’ai un super souvenir de l’Alexandra Palace des IDLES à Londres où on est allés dans le pogo avec ma meilleure pote. Même quand on tournait ensemble, je vais dans la foule. Les concerts, c’est une des meilleures inventions au monde. Ce moment présent, ça se suffit à soi-même, il n’y a pas besoin de surligner quoique ce soit.
Quelle est la dernière chose qui t’ait fait rire ?
Intéressant que tu me poses cette question. Je suis entourée de gens drôles, j’adore ça et je me suis rendu compte que je sélectionnais mes amitiés comme ça. Les gens qui me font rire restent dans ma vie pour toujours. Johnny Hostile n’a pas l’air comme ça mais c’est l’homme le plus drôle du monde. Il me tord de rire. Parfois, j’ai des potes hilarants, je rencontre leur partenaire et je me rends compte qu’il ou elle ne rit pas à son humour. Ca me questionne beaucoup. (rires)
L’album parle aussi du fait que la vie est une densité d’émotions et qu’elle peut être très fatigante. Le rire est une force, surtout dans les épreuves. C’est vital. Mais tiens, c’est ta dernière question mais tu ne m’as pas parlé de l’arrêt ou du possible retour de Savages ?
Par correction et parce que j’estime que si vous n’y retournez pas, c’est que les raisons sont suffisamment bonnes.
C’était un projet qui devenait compliqué à continuer et qui nous réclamait beaucoup d’énergie. On rencontrait de l’animosité et il a fallu qu’on décuple nos efforts pour y arriver. Ce n’était pas toujours facile pour tout le monde au sein du groupe.
Enième nouvelle corde à ton arc, tu assures des DJs sets maintenant et bientôt au Glastonbury ?!
J’avais longtemps mal considéré les DJs en me disant qu’ils ne faisaient pas grand-chose et que pourtant ils étaient payés plus que nous. Mais en réalité, ça nécessite quelques skills et c’est très drôle à faire. (rires)


