Enter Shikari – Common Dreads

Exit l’étiquette erronée ‘nintendocore’, l’image d’attrape-nigauds pour kids en quête de la toute dernière mode et les claviers 80’s flirtant avec le mauvais goût : avec ‘Common Dreads‘, Enter Shikari durcit le ton. Plus virulent, plus synthétique, plus varié, plus engagé mais aussi plus déconneur, le gang de St. Albans revient deux ans après un ‘Take to the Skies‘ couronné de succès, ce qui laissait prévoir un baissage de froc en bonne et due forme en suivant un chemin que des aînés comme Lostprophets ou Funeral For A Friend n’ont pas hésité à prendre. Que nenni, avec ce second LP, le quatuor cogne dans un registre relativement décalé, pour le meilleur, mais aussi pour le pire.

Common Dreads‘ n’est pas un ‘Take to the Skies‘ 2.0. Certes, les éléments ‘trance’ sont toujours présents (et ce, dès le départ, avec la frénétique ‘Solidarity‘), mais ce ne sont plus les seuls ingrédients qui se mélangent à la base organique du groupe, qui est ici bien plus punk-metal que post-hardcore. Pêle-mêle, on croise du dubstep -nouvelle mouvance électronique sous emballage fraîcheur à la mode outre-Manche- (l’énorme et transpirant diptyque ‘Havoc‘ ; la remuante et barrée ‘Zzzonked‘, dopée en basses fréquences métalliques ; la conclusion d »Antwerpen‘), beaucoup de cuivres — d’ailleurs, le lion de l’artwork fait très rastafari, quelques percussions discrètes (la basique ‘Hectic‘…), du spoken word en forme d’amour pour The Streets, comme dans le premier couplet du single ‘Juggernauts‘ -complètement raté-, de la flûte jazzy tout au long de ‘The Jester‘ (la bombe de l’album, qui promet de transformer le pit en troupeau de cabris avec son sautillant synthé LSD-ifié), ou encore du rockin’ hardcore bien senti (les premières mesures d »Antwerpen‘, encore une fois). Turbo-éclectiques, les britons. Durant ces cinquante minutes de son compact, aucune trace d’emo dégoulinant de ridicule. Même la très pop ‘Wall‘ ne semble pas putassière. En fait, seul le beat dance de ‘Gap In The Fence‘ est, ahem, légèrement scandaleux.

Niveau riff, c’est gras et lourd (mention spéciale aux écrasantes notes de ‘Havoc B‘, première rencontre réussi entre dubstep et hardcore). Le cahier des charges est rempli, même si l’ours Rory n’est pas une bête de technique. Activision ne sortira jamais de Guitar Hero : Enter Shikari, c’est certain. A la basse, Chris Batten est à la place ingrate. Musicalement irréprochable, celui qui assure avec brio les backvoices se voit souvent voler la vedette par les synthés tapageurs et caverneux de Rou, moins stridents mais beaucoup plus profonds que sur ‘Take to the Skies‘. Ce dernier possède désormais un panel vocal plus large. Voix hurlées, arrachées, chantées (plutôt réussies sur quelques envolées héroïques, comme sur ‘No Sleep Tonight‘) ou parlées, le rouquin s’en sort bien, même si on l’imagine déjà en train de galérer sur scène. Pas grave, les morceaux de ‘Common Dreads‘ sont taillés pour le live, les instruments et l’énérgie ambiante sauveront la mise, et haut la main. Ah, j’ai failli oublier : au vu des vidéos backstages postées par le groupe, on aimerait tous avoir ce divin abruti de Rob Rolfe comme ami. Au vu des lives et des paternes proposés dans cet album, on n’aimerait pas avoir ce divin abruti de Rob Rolfe dans son groupe.

Mais alors, qu’est-ce qui cloche avec ce skeud ? Les structures complètement alambiquées de l’ensemble des morceaux, qui rendent l’album difficile d’accès, minimisant l’efficacité de pas mal de compositions ne bénéficiant pas de gimmicks synthétiques venus de l’espace. Le trop-plein d’influences se montre même indigeste sur une poignée de morceau, confrontant maladroitement des styles très, voire trop opposés : la trance et le rap sur ‘Juggernauts‘, définitivement gâché, ou encore l’acoustique et la dance sur ‘Gap In The Fence‘. Des titres largement dispensables… A la place, pourquoi ne pas avoir enregistré une version finale de ‘The Feast‘, exemple de crossover totalement réussi, hein (oui, j’y tiens) ? En tout cas, les amateurs de titres directs et catchy’s auront probablement du mal à dompter la galette. A bon entendeur, salut.

Reste qu’avec des titres comme ‘Zzzonked‘, ‘Antwerpen‘, ‘The Jester‘, les ‘Havoc‘ et ‘Solidarity‘, les mecs d’Enter Shikari prouvent qu’ils sont capables d’écrire des tracks diaboliquement priapiques, en brandissant fièrement le drapeau de l’éclectisme. Et ça, ce n’est pas donné à tout le monde. Libre à chacun de faire son petit best-of de ‘Common Dreads‘, en écartant sans remords les compositions anecdotiques. Rendez-vous dans la fosse (aux lions).