Deftones – Diamond Eyes

Le sixième album de Deftones aurait dû s’appeler ‘Eros‘. Mais, fin 2008, à cause d’un conducteur sûrement passionné par Ayrton Senna, le passenger Chi Cheng a signé un CDI avec le coma — en mai 2010, date à laquelle cette chronique a été publiée, le sympathique bassiste n’est toujours pas sorti d’affaire. Conséquence : les quatre Deftones restants ont mis de côté ‘Eros‘ et ont enregistré un ‘autre’ sixième album, ‘Diamond Eyes‘, avec l’aide de Sergio Vega (ex-Quicksand) à la quatre cordes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce ‘Diamond Eyes‘ est un album étonnant.

Un artwork pas très chouette
Visuellement, Deftones n’a jamais été au top. Leurs clips sont cheaps ou sans intérêts, leur style vestimentaire est négligé et leurs artworks sont… étranges. Certes, les formes généreuses de la demoiselle d »Around the Fur‘ ou le minimalisme galopant de ‘White Pony‘ peuvent séduire, mais le bibelot d »Adrenaline‘ et le foutre séché de ‘Saturday Night Wrist‘ ont de quoi laisser pantois. Justement, celui de ‘Diamond Eyes‘ va encore plus loin dans la médiocrité. Typographie grossière + volatile irritant = pochette risible. Et après, on s’étonne que les kids n’attachent plus aucune importance à l’objet disque. Sérieux les mecs, VisualMusic connait de très bons graphistes.

Lunatic, le retour
L’évènement tragique qui a frappé Chi a tellement chamboulé les gros de Sacramento qu’ils sont devenus schizophrènes : on n’a pas affaire à un, mais à deux Deftones sur ‘Diamond Eyes‘. Le Deftones n°1 est boucher, massif (cf. l’outro du morceau éponyme), adolescent (‘CMND/CTRL‘, dilettante bombe métallique à l’efficacité re-dou-table), fougueux (le single ‘Rocket Skates‘) et capable de reproduire ce qu’il a fait de meilleur en 1997 (la bien nommée ‘Royal‘, entre riffs plombés assassins et délicieuse voix planante), avec un Chino Moreno merveilleusement inspiré (envolées faussement je-m’en-foutistes, cris félins… bordel, quelle voix !). Le Deftones n°2 est sous prozac, mélancolique ou carrément spleeneux (‘Beauty School‘ commençait pourtant si bien…) et nostalgique (‘Rx Queen‘ a un jumeau maussade, il s’appelle ‘Prince‘) ; les quelques kilos en moins ont presque rendu tendre cette face du groupe (la pédée ‘Sextape‘), mais surtout friande de mesures atmosphériques (un peu de post-rock un tantinet noisy dans les deux derniers titres de l’album, la magistrale ‘976-EVIL‘ et ‘This Place Is Death‘). Le membre le plus ‘malade’ du second Deftones est sans conteste Stephen Carpenter qui, malgré ce qu’il laissait entendre dans la presse ces derniers mois, s’est retenu de placer des riffs Meshuggah-esques à la pelle pour laisser un peu plus de place aux apaisements sonores de [s]Team Sleep[/s] Chino.

Nique sa mère le néo-metal
Le prochain qui leur colle l’étiquette nu-metal subira les foudres de Jules Winnfield (Pulp Fiction). On commençait à y penser avec le néanmoins mitigé ‘Saturday Night Wrist‘, on en est désormais certains : Deftones est bien plus que le pionnier (co-pionnier, plutôt — n’oublions pas leurs copains de Bakersfield) d’un genre musical rance et sans avenir. C’est un groupe éclectique, intègre et intelligent, réfutant tout retour aux sources douteux (KoRn, Limp Bizkit, celle-là elle est pour vous !) grâce à une envie d’expérimentation louable, cohérente et, ici, plutôt concluante. Et dire qu’ils ont failli passer pour des vendus avec ‘Back to School‘ !

Choix graphique incompréhensible, dichotomie musicale inattendue et expérimentations révélatrices : oui, ‘Diamond Eyes‘ est un album étonnant. On est cependant loin de la masterpiece. En effet, près de la moitié de l’album relève du déchet (‘You’ve Seen The Butcher‘ –qui n’a rien à voir avec la mystérieuse composition instrumentale apparue brièvement sur MySpace il y a quelques mois-, ‘Sextape‘, ‘Risk‘, une brouette de mesures éparpillées sur tout le disque, dont des plans de ‘Diamond Eyes‘ et ‘Rocket Skates‘), le ‘machiniste’ Frank Delgado est toujours aussi effacé (il pourrait apporter tellement plus au groupe… manque de talent ?) et on aurait espéré plus de rythme de la part des auteurs d »Around The Fur‘ (le morceau), ‘Elite‘ ou ‘Hexagram‘… Et qu’on aille pas me faire croire que c’est le père Cheng qui apportait ce coup de pression à la bande.

Bon, il sort quand ‘Eros‘ ?