Radiohead – The King of Limbs

vm5
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La probable plus grande scène du cinéma concernant la critique de l’art se trouve dans deux interventions dans un film français un peu oublié, Profs. Oui, oui celui là. VisualMusic se propose de vous remémorer cette incroyable scène :

Une salle de classe d’arts plastiques. Le prof hautain interprété par le jeune Fabrice Luchini -à l’époque à peu près supportable- passe dans les rangs et commente les travaux des élèves qui peignent des tableaux abstraits.

Première intervention.

Il s’arrête derrière une élève.
-« Excellent ça » dit Luchini.

Il passe à la voisine qui a peint exactement la même chose.

-« Par contre ça c’est n’importe quoi ».

Seconde intervention.

Il continue et stoppe derrière un élève qui a peint une horreur noire finalement ni meilleure ni pire que le reste.

-« Qu’est ce que c’est que ça ? » interroge Luchini.

L’élève hésite…

-« Je ne sais pas »

-« Vous attendez peut être que je vous le dise ? » demande Luchini.

L’élève acquiesce timidement.

-« Alors faire le con en espérant que celui qui passe derrière est intelligent ça marche quand on est célèbre, pour vous c’est encore un peu tôt » lance Luchini.

VisualMusic vous encourage vivement après lecture de cette chronique à réfléchir et à appliquer la première intervention de Luchini au groupe dont il est question aujourd’hui et la seconde intervention au disque chroniqué ci-dessous. Merci.

C’était le 17 novembre 2003. Radiohead concluait un fantastique concert à Bercy avec Everything in its right place et le mot Forever s’affichait sur l’écran lumineux situé au fond de la scène. Un drôle de sentiment. Une idée saugrenue s’insinuait dans nos cellules cérébrales : la fin du groupe était proche. Split confirmé à demi-mots par Thom Yorke quand sortait The Eraser presque 3 ans plus tard. Sauf qu’au même moment, il annonçait que le groupe s’était remis au travail sur ce qui allait devenir In Rainbows en octobre 2007. Et Radiohead l’ancien n’était plus.

Musicalement, pas de révolution. Pas plus que dans l’imagerie du groupe ou dans leurs rapports avec la presse. Cependant à tous les niveaux la subtilité s’est envolée. Les plans marketing malins (Innocent civilians, le « pas de presse pour Kid A, mais t’en fais pas tu auras tout ce que tu veux pour Amnesiac », le drôle de leak de la version pré-mixée de Hail to the thief) ont laissé place à des coups d’épée dans l’eau (le pay what you want et pay again dans le commerce ce que tu as déjà payé parce qu’on ne t’avait pas dit que ça allait sortir normalement après). Le groupe traumatisé de l’interview de Meeting people is easy est devenu un groupe anglais lambda avec ce que cela implique de fanfaronnades à la Oasis (« In Rainbows est notre troisième chef d’oeuvre, celui qui nous fait entrer dans la légende » dixit Ed O’Brien). L’engagement avant tout humain et discret est devenu une vindicte écolo-réac’ franchement gonflante. Si ce n’était que ça, il n’y aurait pas de problème. Mais l’essentiel n’était pas sauf. Musicalement In Rainbows n’était pas à la hauteur et la mauvaise foi de ses défenseurs n’y changera rien. Un disque assez mou dans de beaux habits du dimanche, sans audace, pour la première fois sans idées neuves, pire sans grandes chansons (pour mémoire et en faisant le difficile on en compte 4 sur The Bends, 5 sur OK Computer, 4 sur Kid A, 3 sur Amnesiac et 3 sur Hail to the thief, ajoutez à tout cela une poignée d’inédits ou b-sides de très haute volée), du Radiohead au numéro se masturbant sur sa propre légende, à peine sauvé par une mignonne balade et un morceau datant de 1997. Un disque médiocre mais étrangement adoré par la grande majorité. Leur Let it be à eux, ce disque tant aimé des faux fans.

C’est en étant mécontent de son parcours artistique que David Bowie a connu un regain d’inspiration dans les années 90 et a pu se relever et conclure avec une dignité certaine. C’est en étant content -voire très content- de son parcours artistique que Radiohead sort aujourd’hui son premier disque officiellement mauvais.
Et ça fait grave chier.

L’annonce surprise de The King of Limbs entraine de nombreuses analyses politico-économiques, relevons simplement que de même que Radiohead n’était pas le premier groupe majeur à offrir/sortir un disque via le net, les Raconteurs avaient eux aussi court-circuité les schémas traditionnels avec Consolers of the lonely (ce qui avait visiblement agacé les journalistes privés de leurs petits privilèges promo si l’on se fie à l’accueil tiède réservé à ce chouette disque pourtant signé par le chouchou des rock-critics) et que nous à VisualMusic, on a une petite idée du pourquoi du comment le disque est sorti discrètement le vendredi et pas le samedi comme prévu en grande pompe : simple manoeuvre de soulagement visant à éviter qu’un serveur crashe le jour J.

Rapidement, huit petites crottes mp3 apparaissent sur le PC et dès l’ouverture Bloom on sent mal le truc. Radiohead a retrouvé sa petite boite à rythme Loop 12 v12 et va miser sur l’ambiant plus que sur les chansons, façon discrète d’avouer que l’inspiration n’est plus là. Les guitares sont absentes, la basse est synthétique, on pourrait penser aux chansons du plutôt bien aimé The Eraser sauf que là où Yorke solo tissait de sournoises mélodies imparables (The Eraser, Harrowdown hill, The Clock) sous le bordel expérimental, ici la matière première de Radiohead est d’une faiblesse criante. Si In Rainbows était du Radiohead classique au numéro, The King of Limbs est du Radiohead torturé au numéro qu’il faut deviner en effectuant d’improbables calculs ne menant à rien. « C’est space le nouveau Radiohead, m’a dit une collègue avant d’ajouter que, par contre ils ont écrits des superbes chansons par le passé ».

On n’aurait pas dit mieux. Par le passé, Radiohead était tellement au dessus du lot que même les moments foireux étaient bâtis sur de solides compositions tellement belles que jouées à l’envers, elles donnaient de jolies choses (Like Spinning Plates devenant I Will), des chansons durant lesquelles il se passait quelque chose même lorsqu’il ne se passait rien (Treefingers), des chansons sur lesquelles Radiohead tentait des contre-temps (Morning Bell), des rythmes étourdissants (Pyramid song) et tuait un temps la voix de Yorke avant que ses imitateurs ne l’étouffent (tout l’album Kid A) pour mieux la ressusciter plus tard (I will). Toujours au service de la chanson, dans le but de la rendre au mieux meilleure au pire intéressante. Sur The King of Limbs, les auteurs d’Idioteque alignent 5 premiers titres on ne peut plus quelconques, une espèce de branlette intello anti-mélodique à souhait et on le dit et quelque chose nous fait penser qu’on l’écrira encore mais une chanson sans mélodie n’est rien et cela fera toujours la différence entre un Morning Mr Magpie -chanson datant de presque dix ans aussi- insipide et Morning bell. Feral fait même rire de par son inutilité totale. Les chansons de The King of Limbs n’ont aucun but. Ce n’est pas la première fois que l’auto-satisfaction prend le pas chez Radiohead, mais un Pull/pulk Revolving Doors situé entre Pyramid song et You & whose army passe mieux qu’un Feral entre Little by little et Lotus Flower. On remarque plus facilement un boudin quand il n’y a pas de canons autour pour nous distraire. Le single Lotus Flower est la meilleure chose du disque mais elle ne s’impose pas naturellement, il faut que Yorke nous martèle le refrain et que Nigel Godrich sorte son vieux coup de la voix qui continue comme suspendue dans les airs au ralenti (« Tonight I’ll set you freeeeeeee ») pour commencer à ressentir un début de quelque chose. C’est alors que Radiohead, ou plutôt Yorke tant on a le sentiment d’un album solo, enchaine deux pauvres balades mal arrangées piano et guitare acoustique (Codex et Give up the ghost) qui font penser que les auteurs des monuments qu’étaient No Surprises, Fake plastic trees ou True love waits se foutent royalement de nos poires. Comment les auteurs/auditeurs exigeants d’il y a dix ans peuvent se contenter des ces machins tout pourris ? C’est presque difficile d’écrire sur ce disque tant il n’inspire rien. Il n’y a rien à sauver sur The King of Limbs. On peine à différencier les chansons. Aucun joli moment. Rien à raconter (on ne va pas se faire de mal et s’étendre sur l’arbre millénaire etc). Radiohead tente une sorte d’anti In Rainbows mais sombre dans une caricature profonde, la facilité, le foutage de gueule, caché derrière la sacro-sainte vérité expérimentale de l’artiste qui tente… Mon cul oui, quitte à expérimenter, ils n’ont qu’à sortir un Metal Machine Music. Le pire est que ça fonctionne. On lit de bien marrantes choses à gauche et à droite, « un disque de Radiohead s’écoute dans au moins trois endroits différents », « l’art n’est pas fait pour être jugé », « un disque trop sombre pour plaire à tout le monde »… Encore une fois, il semble que comme souvent avec les formations dites intelligentes dire du mal est verbotten. Que le compliqué, l’inaccessible est forcément synonyme d’intelligence supérieure.

A la vue de cette chronique, on nous rétorquera que Radiohead a déjà écrit No Surprises et par conséquent n’a plus besoin de le faire. Plus rien à prouver. Fort bien, on comprend l’argument qui est parfaitement recevable à défaut d’être totalement convaincant. Quand tout le bien est fait, il ne reste donc qu’à faire de la merde. A ce petit jeu, Radiohead vient de faire un perfect.

Nous, on retourne écouter Beady Eye.

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