Queens Of The Stone Age – Lullabies To Paralyze

Il y a bientôt 5 ans, des festivaliers allemands interloqués voyaient débarquer sur la scène du Bizarre un grand rouquin et un chauve à barbichette, tout juste débarqués de leur désert californien pour leur exploser leur ‘Stoner rock’ à la tronche, un concept nouveau pour un groupe nouveau, les Queens of the Stone Age.

Le grand rouquin ils le connaissaient déjà, il s’agit de Monsieur Josh Homme qui était déjà venu quelques fois en Europe avec son premier groupe, Kyuss et leur heavy heavy heavy metal accordé très bas…
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis, mais le stoner est resté et a même bien mûri: Rappellez-vous du succès interplanétaire du troisième opus des Queens of the Stone Age, ‘Songs for the deaf‘, et ses tubes tels que ‘No one knows‘ ou ‘Go with the flow‘ qui font aujourd’hui encore danser du monde dans les clubs avertis. Tout ça c’était en 2002 et la tournée du même nom un an plus tard en companie d’un invité de choix, Dave Grohl, aura suffit à inscrire définitivement le groupe dans les annales du rock actuel.

Assez d’histoire, nous sommes début 2005 et Josh Homme fait toujours du bon stoner dans son désert natal, sait toujours s’entourer de personnes de confiance, et commence à connaître la recette d’un album qui marche. C’est en ce mois de mars que sort le tant attendu ‘Lullabies to Paralyze‘, quatrième album officiel des Queens of the Stone Age, qui ont perdu le chauve à barbichette en route: Nick Oliveri s’est fait virer avec force et violence début 2004 par son pote qu’on croyait de toujours, pour des raisons assez obscures et déjà beaucoup trop débattues pour que la question soit remise sur le tapis ici.

Le groupe est friant d’albums à ambiance: Après le voyage en voiture qui faisait le cadre de ‘Songs for the deaf‘, nous voici dans la forêt, peu après minuit. La nuit est sans lune, il est question de loup-garous, de sorcières, de sang, de têtes qui roulent et de rites sexuels occultes… Menu alléchant pour parcourir les quinze chansons qui totalisent une grosse heure d’un rock chargé en riffs insisifs et truffés d’esprits maléfiques…

Autant le dire tout de suite: L’absence de Nick Oliveri se fait cruellement sentir, et c’est presque la moitié de l’esprit du groupe qui manque à cet album. Pas de chansons hurlées joyeusement pour venir contre-balancer le songwriting subtil de Homme, il manque incontestablement le Mister Hyde du Dr Josh… N’en déplaise aux fans de ‘stoner hardcore’, ce n’est qu’avec des voix haut-perchées et mélodiques qu’il faudra faire cette foi.

On entre dans donc dans cette forêt obscure tout doucement, sur la pointe des pieds… ‘This Lullaby‘ démarre comme une mise en exergue du reste de l’album: Composition simple et irréprochable, très peu de notes pour une efficacité maximale. Cette première chanson est aussi la dernière ou on pourra entendre Mark Lanegan (ami de longue date du groupe, auteur de nombreuses collaborations sur les précédents albums telles que ‘Hangin’ Tree‘ sur ‘Songs for the deaf‘) chanter autrement qu’en backings ou en effet sonores secondaires. Dommage ? A voir. Certains (dont je fais partie d’ailleurs) trouvent que le registre Lanegan ne colle pas forcément avec le stoner dévastateur du groupe..

L’album s’articule grosso modo en deux ‘faces’: La face A, assez conventionnelle et carrée qui commence avec ‘Medication‘ et va nous transporter crescendo jusqu’au solo final ultra tendu du déjà bien connu ‘Little sister‘.
Une seconde face qui sera plus expérimentale et multi-directionnelle, qui commencera par ‘I never came‘ comme une sorte de second souffle, et s’achèvera avec le disque.

Pas de souci, on est bien dans un album des Queens: Le groupe détient toujours cette formule magique qui permet de faire des miracles sur un seul accord ou presque: Des riffs purement rythmiques accompagnés d’un son travaillé très très loin dans les distorsions bien glauques, qui continuent à faire du stoner ce qu’il est. Je pense principalement à ‘Medication‘ qui ouvre les hostilités avec grande manière, ‘Tangled up in plaid‘, ‘Broken Box‘…

On peut remarquer un changement notable par rapport aux autres albums: Les sonorités bluesy omni-présentes dans quasiment toutes les parties guitare, et qui se marient avec merveille aux guitares accordées très bas de rigueur. Et la présence d’un invité de marque, Sieur Billy F Gibbons de Z.Z Top sur la chanson ‘Burn the witch‘ ne fait pas tout. D’ailleurs, il est étonnant de constater à quel point son jeu s’est fondu et marié avec le songwriting impeccable de Homme. Dans là même optique on notera le solo d’introduction de ‘Everybody knows that you’re insane‘, qu’on verrait bien figurer sur un digne album du Floyd, le downtempo de ‘You got a killer scene there, man…‘ dont l’accompagnement ultra simpliste laisse libre champ à des fills ultra blues bourrés de feeling bien calme pour faire redescendre la pression de l’album… Il était temps, finalement, les solos des trois albums précédents commencaient presque à tourner en rond à force d’être construits sur les mêmes gammes et les mêmes plans. Réel effort donc de la part du guitariste hors-pair qu’est Josh Homme, autant au niveau mélodique qu’au niveau rythmique.

Réel effort également, et pas des moindre, sur sa voix qui est vraiment impressionnante tout au long de l’album. Autant au niveau de la tonalité que du timbre vibrant et posé, c’est à se demander comment Marlbobo arrive à rendre de telles choses possible… Les exemples ne manquent pas: écoutez ‘Tangled up in plaid‘, ‘Burn the witch‘ ou encore ‘Broken Box‘ !

Au niveau de la cohérence générale de l’album, on nage en pleines contradictions. D’un côté on trouve des transitions entre les chansons à couper le souffle, comme entre ‘Medication‘ et ‘Everybody Knows that you’re insane‘, ou bien évidemment celle entre ‘Someone’s in the wolf‘ et ‘The Blood is love‘, alors que d’un autre côté on pourra reprocher un léger manque d’unité et d’homogénéité au sein des chansons, à l’image du patchwork qu’est ‘Everybody Knows that you’re insane‘, ‘Burn the witch‘ ou ‘Little sister‘. Bien que dans cette dernière ça soit moins flagrant, on reste quand même un peu surpris par le contraste entre les couplets et les refrains à la première écoute.

En parlant de cohérence et pour revenir un peu au jeu de guitare on remarquera une continuité géniale entre un chant tendu et un solo bien senti qui me fait craquer: Monsieur Jack White l’a très bien compris, et avant lui un certain Kurt Cobain: Lorsque l’émotion déborde par tous les côtés et que la voix ne suffit plus à contenir le tout, reste à se la fermer et empoigner sa gratte pour tout déverser d’un coup. Josh Homme semble lui aussi friant de cet enchaînement ultra efficace, et nous en donne un parfait exemple dans ‘Tangled up in plaid‘ ou bien sûr dans le solo-coït final de ‘Little sister‘ !

Parlons un peu du contexte maintenant, il semble qu’aucun album du groupe n’aie été aussi impregné des influences du travail de ses membres pour des formations externes. Je pense bien évidemment aux Desert Sessions, dont l’ombre plâne sans conteste sur ‘Burn the witch‘ et ‘Broken Box‘ pour ne citer qu’elles, et dont deux chansons, ‘In my head‘ et ‘Like a Drug‘ (qu’on retrouve en bonus track) sont carrément issues, retravaillées et peaufinées avec brio pour l’occasion. On imagine également d’interminables sessions en studio et de longues jam pleines d’invités: Outre Billy Gibbons, Jess Hughes (Eagles of Death Metal) et Frank Black (Tenacious D) on notemment fait quelques apparitions discrètes. On en sent une influence particulière sur ‘Burn the witch‘, ‘You got a killer scene there, man…‘ ou la très ambigue ‘Skin on skin‘.

Malgré mes lacunes en américain du désert, je crois être en mesure de pouvoir affirmer que cette chanson suffit en elle seule à justifier la présence du fameux sticker ‘Explicit Lyrics’ sur la cover du CD, tant elle est explicite autant au niveau paroles que de la mélodie et de la structure: ‘Skin on skin‘ n’est rien d’autre qu’un long coït de 4 minutes, et on ne parle même pas de la manière de ‘chanter’ à la fin, ni des rajouts sonores pas franchement discrets. On regrettera, à ce propos, de ne pouvoir profiter pleinement des paroles de l’ensemble de l’album… Le livret se limitant (en plus d’un artwork franchement bien foutu et très cohérent avec l’ambiance sonore) a nous livrer quelques morceaux de phrases jetées ça et là au hasard.

En ce qui concerne le line-up du groupe sur cet album, outre la présence regrettable de Nick Oliveri et des multiples invités dont j’ai déjà parlé, on notera un duo Josh HommeJoey Castillo (batteur attitré du groupe depuis leur tournée en 2003) de plus en plus soudé et efficace: Le songwriting du premier se marie à la perfection avec la simplicité et l’efficacité du second, et à mon avis c’est précisément de cette union que naît le son actuel des Queens of the Stone Age. En revanche au niveau du remplacement du bassiste à barbichette, on notera un très discret Alain Johannes qui semble ne pas franchement être mis en avant par le reste du groupe, et qui cède son instrument contre un autre à de très nombreuses reprises: C’est Troy Van Leeuwen qui empoigne la 4-cordes sur ‘Little sister‘ ou ‘I never came…‘, et Josh lui même sur ‘Burn the witch‘ ou ‘Broken Box‘… Preuve d’un multi-instrumentisme remarquable pour tous les membres du groupe (vous trouverez une distribution des rôles très succinte dans le livret) qui fleure également bon les Desert Session ainsi que l’influence certaine des Eagles of Death Metal.

Enfin, il reste une chanson dont je n’ai pas parlé: La dernière, ‘Long Slow Goodbye‘, qui répond comme un écho à ‘This Lullaby‘: Simplicité, efficacité, son impeccable… C’est le genre de chanson qui ravit les guitariste qui se voient déjà, une folk à la main sur la plage autour d’un feu, avec des shamalow et de la bière en train de pousser la chansonnette pour des hollandaises en vacances… Que du bonheur, vraiment.

Pour conclure (je pourrais continuer pendant des heures, moi !), je dirais que cet album est un album pour les connaisseurs du genre: Si pour vous, Queens of the Stone Age rime avec ‘No one knows‘ et que vous pensez que les Desert Sessions est une course de Dragsters dans le désert texan, passez votre chemin ou restez-en à ‘Little Sister‘ sur MTV en marmonnant ‘ça vaut pas Songs for the deaf!’.
Si au contraire vous appréciez le bon stoner et si la voix de Josh ne vous laisse pas insensible, alors je ne peux que vous reporter au point de vue de ce dernier sur l’album: ‘This record’s vibe is like, let’s drink wine and screw. The idea was to have the record be like a long, slow, comfortable fuck.’.
Vous voilà prévenus.