System of a Down – Mezmerize

Après la sortie de ‘Steal This Album‘, je n’auras pas aimé être à la place de Daron Malakian : ses trois précédents albums avaient tous cartonné, aussi bien auprès du public que des critiques, et absolument tout le monde l’attendait au tournant pour le prochain CD de System of a Down. Imaginez un peu la pression qu’il a du subir après une carrière en tous points parfaite : comment dans ces conditions composer un nouveau disque destiné, quoi qu’il en soit, à être un événement ? Finalement, le guitariste américo-arménien s’est attelé à la tâche, a écrit plus de 200 chansons, et seuls une vingtaine ont été sélectionnés pour deux albums, respectivement intitulés ‘Mezmerize‘ et ‘Hypnotize‘. Aujourd’hui, je vais vous parler du premier, et pour savoir s’il sera aussi bon que les précédents, rendez-vous un peu plus bas…

Déjà, autant vous le dire d’entrée, ce disque n’est pas une pâle copie de ‘Toxicity‘, et encore moins des deux autres disques de Soad. Les morceaux sont certes toujours aussi courts, histoire de garder un rythme soutenu, mais le groupe a clairement évolué, sans chercher à s’adoucir. Les chansons ne sont pas formatées pour des passages sur les ondes US, loin de là, et c’est en définitive ce qui fait la force de System : la radio doit s’adapter à leur style, et non pas le contraire.

Parlons musique maintenant : après une intro douce à la guitare claire, le disque démarre sur les chapeaux de roue avec ‘B.Y.O.B.‘ (Bring Your Own Bomb), un morceau dément qui n’a pas à rougir face à ‘Chop Suey‘ ou ‘Sugar‘. Le groupe y enchaîne rythmiques hardcore et plans carrément pop, avec une aisance qui doit écoeurer plus d’un compositeur… Que ceux qui en doutaient se rassurent vite : les célèbres harmonies de guitare de Daron sont présentes dans la plupart des chansons, et elles possèdent toujours cette ‘patte Soad‘ si difficile à imiter.

Pendant 37 minutes, les morceaux s’enchaînent donc, et surprise, ils ne ressemblent à rien que l’on ait déjà entendu, si ce n’est ‘Questions‘ qui a tout de la structure de ‘Toxicity‘ (sauf la fausse fin). Si vous avez entendu ‘Cigaro‘, vous savez que le groupe a durci son son, mais ce titre par ailleurs déjanté reflète finalement assez peu le reste du disque. Certains riffs sont certes assez brutaux (par exemple le surprenant galop de guitare de ‘Revenga‘ ou l’intro furieuse de ‘Sad Statue‘), mais dans l’ensemble System reste System, c’est à dire un groupe touche à tout qui ne se limite pas au métal. Vous serez ainsi peut-être désarçonnés par les claviers Rammsteiniens de ‘Old School Hollywood‘, ou par la somptueuse guitare jamaïcaine de ‘Radio/Video‘, mais au final, quoi qu’ils fassent, ça sonne toujours comme du Soad, et c’est en cela que ce groupe est si unique en son genre !

Serj Tankian est toujours aussi monumental au chant, avec des harmonies de toute beauté sur la plupart des refrains. Son débit de paroles est souvent surhumain (écoutez ‘Revenga‘), et plus que jamais, le frontman frisé semble faire ce qu’il veut de son organe. Alors qu’il s’était plus ou moins calmé sur ‘Toxicity‘, on retrouve ici sa folie du premier album sur bon nombre de titres, et tout particulièrement ‘This Cocaine Makes Me Feel Like I’m On This Song‘ (vive l’hélium !). En fait, la seule chose qu’on puisse regretter, c’est qu’il soit aussi peu présent sur le disque : Daron Malakian a en effet pris une place presque aussi importante au chant, et sur ‘Old School Hollywood‘, c’est lui qui tient le micro principal, Serj se contentant de quelques rares choeurs ! Globalement, on peut dire que cette combinaison fonctionne relativement bien tant ces deux voix semblent complémentaires. Et si vous ne me croyez pas sur parole (quoi ?!!!), écoutez un peu le pont de ‘Radio/Video‘ : si vous ne vous mettez pas à chantonner au même rythme que Daron, c’est que vous êtes imperméable à la bonne zik !

En ce qui concerne les textes, et je sais que ça vous intéresse, le groupe n’a rien perdu de sa célèbre verve. Au rayon politique, les excellentes ‘Soldierside‘, ‘B.Y.O.B.‘ et ‘Sad Statue‘ abordent le thème de la guerre d’Irak, de manière souvent détournée mais toujours incisive. ‘Radio/Video‘, qui a tout d’un futur single, traite de l’influence des médias sur la musique, de manière assez métaphorique… Dans ‘Lost In Hollywood‘, c’est un Daron sombre et défaitiste qui nous décrit l’envers du décor d’Hollywood, avec ses superstars qui sont vite rejetées du système une fois passée leur heure de gloire. Fort heureusement, des thèmes plus délirants sont abordés, comme par exemple les films pornos sur ‘Violent Pornography‘ : entre deux riffs absolument mo-nu-men-taux, les voix de Serj et Daron s’entrecroisent à un rythme effréné pour dénoncer les films gonzo qui rabaissent la femme à un état presque animal. Du grand art (la chanson, pas les films).

Au niveau des reproches, et là c’est juste histoire de chipoter, je regrette que le côté oriental dont on nous avait beaucoup parlé depuis des mois soit finalement quasi absent du disque. Le chant est exclusivement en anglais, et très peu d’airs de guitare possèdent une connotation arménienne ou arabe, comme on était en droit de l’espérer… Qui plus est, ‘Mezmerize‘ est certes un album riche et varié, mais s’il fait la part belle à la guitare, on peine à entendre la basse. Cet instrument, qui était autrefois si important dans le son du groupe, est désormais en retrait, ce qui n’est pas vraiment étonnant quand on sait que c’est le guitariste chevelu qui a enregistré les lignes de basse en lieu et place de Shavo. Enfin, en ce qui concerne le chant, je n’ai pas grand chose à dire sur Daron, je trouve son timbre très agréable, mais tout de même, ses paroles sont carrément répétitives, et les refrains, bien que pour la plupart réussis, reviennent vraiment trop souvent…

Mezmerize‘ confirme donc tout le bien qu’on pensait de System of a Down depuis des années : avec ce disque plein de fraîcheur, le groupe originaire d’Arménie s’affirme comme l’un des plus gros groupes de rock de la planète, et nous montre par la même occasion que son succès ne se limite pas à ‘Toxicity‘. Qui plus est, ce disque prend toute son ampleur au fur et à mesure des écoutes, donc si vous êtes perplexe au début, insistez, ça en vaut largement le coup !