Nine Inch Nails – Ghosts

Trent Reznor l’a toujours dit et ce, bien avant avant la sortie d »In Rainbows‘, une fois son contrat terminé avec Interscope, il se passera définitivement des services des maisons de disques pour être plus proche encore de ses fans et ainsi redonner ses lettres de noblesse à la musique qui n’est pas un produit marketing, n’en déplaise aux labels. Ce temps enfin venu avec la sortie de ‘Y34RZ3R0R3MIX3D‘, c’est libéré de toutes contraintes extérieures et après s’être essayé à la vente sur le net du formidable album de Saul Williams (Niggy Tardust) que le maître a fait ce qu’il a toujours voulu avec cet album : sortir sa musique dans les plus brefs délais sans aucune restriction aucune et pour le coup, avouons-le, on ne l’a pas vu venir. Encore moins avec un double album vendu dans un premier temps uniquement sur le web qui, comble de tout, ne repose que sur des titres instrumentaux. Décidément pas le genre d’idée à satisfaire une maison de disque ! Peu importe car avec ‘Ghosts I-IV‘, c’est bien le plaisir de l’artiste et celui de l’auditeur qui comptent avant tout.

Chroniquer cet album ne peut donc pas se faire comme n’importe quelle autre chronique, il faut dire que le concept même du skeud le fait vite savoir, défini par Reznor comme ‘a soundtrack to daydream‘ (comprenez une bande-son pour rêverie), celui-ci n’a rien d’ordinaire, réalisé en très peu de temps, il n’en demeure pas moins d’une grande qualité et véritablement marqué par la main du maître discernable derrière chaque instrument, chaque touche de piano, chaque trifouillage sonore ou encore chaque arrangement.
Ce double album est de surcroît imposant à plus d’un titre, normal, il en compte déjà 36 subdivisés en 4 parties et si la première se fait plutôt lente, sensible, un revirement se fait dès la fin de cette première partie toute en douceur, faisant place à un son plus ample, plus rugueux. Oui finalement, ‘Ghosts‘, c’est un peu ça, un ensemble de sensations réunies sur deux galettes. D’ailleurs, c’est aussi pour ça que les morceaux n’ont pas de titre, ils ne sont que sensation, association de sentiments, ondes vénéneuses ou relaxantes, patchworks sonores destinés à l’association toute personnelle d’images des uns et des autres, Reznor ne faisant que mettre au jour toutes les couches sonores de ses expérimentations pour servir mieux que jamais l’imagination des auditeurs qu’il n’hésite pas à nourrir via ses propres photos. Et si chaque titre fonctionne indépendamment des autres, ils n’en sont pas moins tous habilement reliés pour ne former qu’un seul et même tout ; troublant et séduisant !
D’ailleurs, ce n’est pas un album mais une oeuvre d’art et je cite l’ami Reno : ‘Trent Reznor n’est plus ici musicien, il est artiste‘. Maître d’oeuvre d’une composition complexe et dense, c’est le plus naturellement du monde que l’on passe d’un ‘Ghosts‘ à l’autre sans même s’en rendre compte, si on reconnaît par ci par là, quelques sonorités familières à ‘The Fragile‘ ou encore ‘Year Zero‘, avouons que tout cela a le grand mérite de ne pas sentir le réchauffé. Complexe, torturé, long à déchiffrer et à écouter (1h50 de zic quand même), ‘Ghosts‘ brise décidément tous les codes du genre.
Reznor n’hésitant pas un instant à rompre ses mélodies, à superposer et à empiler ses pistes sonores, rendant le tout complexe mais pas rebutant pour autant, passant de titres aériens, sensibles, à des titres plus sulfureux, plus électriques sans pour autant négliger l’aspect électro ; quand distorsion rime avec émotion. Reznor ne reculant devant rien musicalement, il insère par ci par là les instruments les plus inattendus (comme le banjo) sans pour autant que cela saute à l’oreille, tout n’étant que fusion des éléments, assimilation de l’exception au service d’un tout allant au-delà de la structure unique.
Il est aussi important de souligner que si chaque titre instrumental dégage une aura bien particulière, aucun d’eux ne stagne, les boucles ne faisant que contribuer à l’évolution naturelle des titres. Et si l’on devait très grossièrement résumer cet album qui ressemble plus à une entité vivante en constante évolution qu’à un bloc monolithique : on passe donc d’un ‘Ghosts I‘ franchement mélancolique à un ‘Ghosts II‘ se rapprochant des sonorités de ‘The Fragile‘ quand ‘Ghosts III‘ de par son électro destructurée dominante rappellera ‘Year Zero‘. Quant au ‘Ghosts IV‘, il se fait tout aussi électro mais plus organisé et même par moment aussi rythmé que l’était un ‘With Teeth‘.

Vous l’aurez compris, cet album ne s’écoute pas, il se vit, il se ressent. Indispensable pulsation sonore à la survie d’un musicien trop intègre pour se foutre de ses fans et qui se veut plus que jamais préoccupé par le fond et la forme, Reznor, décidément inépuisable, livre là un album qui fera date. Ne vous reste plus qu’à appuyer sur ‘play’ et à vous laisser emporter pour peu que vous soyez prêts à faire fi de toute parole durant près de deux heures de musique. Un album sans concession qui en rebutera certains par son anticonformisme là où d’autres se laisseront subjuguer par l’atmosphère hors norme dégagée par cet album. Magnifique.