Guns N’ Roses – Chinese Democracy

Toutes les personnes nées quelque part entre 78 et 84 doivent avoir vécu une scène semblable aux suivantes. Un jour, à la radio, au ciné ou sur la TV, Guns N’ Roses. Maman qui hurle son horreur mais l’ado pré pubère regarde ou écoute, fasciné par le spectacle. Le hard rock, comme on dit, est là sous vos yeux. Vicieux et dangereux (tout ce que Metallica n’a jamais été, fera-t-on remarquer). Plus tard, au détour d’une pompeuse ballade, on découvrait que ces mecs avaient un coeur. Le concert hommage à Freddy Mercury, sur Antenne deux, le jour du réveillon 93 avec tonton bourré qui vous demande si le mec a deux guitares ou si c’est lui qui en voit deux. La grosse blonde de l’école de musique qui vous explique très sérieusement que Guns N’ Roses, ça gueule plus que Nirvana. Terminator 2. NRJ qui diffusait ‘Since I don’t have you‘ en route pour votre premier jour au collège. Quand sont arrivées les premières rentrées d’argent de poche, on filait du collège entre midi et deux et on hésitait. Use your illusions I ou II ? Le gros porc qui allait devenir votre beau frère vous conseillait plutôt ZZ Top. Le grand frère du pote qui vous prête Appetite for destruction. Le slow avec machine sur ‘November rain‘. On en passe et des meilleures.
Ces scènes ont rythmé la vie de plus d’un ado de cette génération.

Puis le vide.
Pour certains, et on les plaint, Guns N’ Roses est resté un groupe ultime. Leurs albums des perles hard-rock. Axl un chanteur hors paire. Slash le guitar-hero fascinant. ‘Don’t cry‘ la ballade ultime.
Pour d’autres, ceux qui aiment la bonne musique, Guns N’ Roses est devenu une vaste blague. Oh non pas à cause des changements de personnels et attente éternelle de ce Chinese Democracy. Non tout simplement à cause d’une évolution des goûts. Comment ne pas hurler de rire en entendant les cris de pucelle effarouchée d’Axl Rose ? Ce rock total cliché, cette mocheté, ces ballades sirupeuses, les soli à deux francs, les clips, etc… Le personnage de Duff fait plus rire à lui seul que toute la filmographie de Jim Carrey. Tout ça fait qu’il est probablement impossible pour une bonne partie des ex fans de prendre Guns N’ Roses au sérieux.
Cependant, tous ces gens étaient à Bercy il y a deux ans. On en a même vu portant d’infâmes bandanas. Pour vivre le truc à fond, pour réactiver les souvenirs ou pour rigoler. Une très longue attente. La lumière s’éteint. Rose monte sur scène. Finck chatouille le public en faisant semblant de lancer ‘Welcome to the jungle‘. Trois, quatre fois. Et Rose hurle de sa voix de caniche « YOU KNOW WHERE THE FUCK YOU ARE ?!? ».
D’une certaine manière, tout Guns N’ Roses est là. Un énorme cliché rock qui fascine soit par son jusqu’au boutisme, soit par son ridicule assumé.

Guns N’ Roses. Le hair metal des années 80 joué par des vrais bad boys. En 2008, cela n’a plus aucun sens. Tout cela était ridicule. Et l’est toujours car que pouvait on réellement attendre de Chinese Democracy ? Du rock testostéroné jusqu’à l’overdose et des ballades sirupeuses.
Dès la première écoute de cet épuisant disque, on a envie de dire bingo. Du rock à la testostérone et des ballades. De quoi satisfaire ceux qui sont là pour rire et ceux qui sont là sérieusement. Chaque note dégouline de dollars, Rose est comme coincé dans une faille spatio-temporelle : le disque sonne à la fois très moderne et terriblement obsolète.

D’emblée, écartons le sujet qui fâche : c’est tout à fait du Guns N’ Roses malgré les absences de qui vous savez. C’est toujours aussi moche. C’est toujours aussi lourd. La différence est l’approche du jeu plus robotique et moins bluesy. Et c’est d’ailleurs là que le débat risque de se placer. Le sentiment que tous les instruments sont joués par de certes très douées machines, les triples ou quadruples couches de voix d’Axl, la multiplication à l’infini des solos, tout cela fait que le disque s’apparente aux premières écoutes à une superproduction sans âme. Dans le concret ça donne un disque bien trop long avec des chansons bien trop longues elles aussi. La moitié du disque est composée de ballades chiantes comme un disque de Coldplay, on entend plus qu’on écoute tant elles sont pour la plupart dénuées d’un quelconque intérêt. Pianistiques, pompières, prétentieuses, pathétiques. Pourtant parfois Axl retrouve un peu de l’inspiration qui faisait de ‘November Rain‘ un grand moment épique acceptable (la coda de ‘There was a time‘,’ This I love‘) mais on passe un temps fou à regretter qu’une option plus dépouillée (genre ‘Patience‘) n’ait pas été choisi sur par exemple ‘Catcher in the Rye‘.

Les morceaux rock sont tous aussi médiocres. Du boucan trash au pire (‘Riad‘, ‘Shackler’s revenge‘), du radio friendly au mieux (‘Chinese Democracy‘, ‘Better‘, ‘IRS‘). C’est dans ces moments que l’aspect inhumain du disque se fait le plus sentir. Axl hurle comme un débile profond, la machine est en marche mais tout semble vain et il semble pénible de ne pas penser que cet homme a forcément une partie du cerveau atrophiée… Etrangement, c’est une fois arrivé à cette pensée que le disque regagne un peu d’intérêt. Pourquoi ? Parce qu’on peut penser ce que l’on veut de William Bailey, (et Dieu sait que l’auteur de ces lignes ne déborde pas d’admiration pour lui), force est de constater qu’on tient là un personnage cent fois plus intéressant que tous les Dave Grohl et autres star ultra bright du rock actuel. Ce mec est complètement cintré et il ne le cache pas. Sa personnalité sauve le disque. Paradoxalement, à ce moment là, les 64 ans d’attente, les milles et une rumeurs toutes plus folles les unes que les autres jouent totalement en faveur de Chinese Democracy. On écoute avec attention, on guette les innombrables détails, on décortique les paroles, certes on rigole, aucun cliché ne nous est épargné, mais on est fasciné par ce disque qu’un gars a peaufiné pendant toutes ces années, loin de tout, hué et moqué (et il y a vraiment de quoi). On interprète toutes les paroles : à qui s’adresse-t-il dans « Sorry » ? Qui sont les « them » de ‘Catcher in the rye‘ (every time I see them it makes me wish I had a gun)? Jusqu’au moment ou l’excitation passe. Il ne faut pas abuser tout de même. Parce que même pour se marrer et aussi attendu soit-il, s’infliger Chinese Democracy est une épreuve tant le disque est lourd, peu mélodieux (même sur les ballades, un comble) et gueulard. Impossible d’écouter d’une traite.
L’emballage est tellement énorme, la rumeur tellement imposante que le plus important, les chansons, passe finalement en second tant la personnalité de Rose a pris le dessus sur tout le reste. Ce qui fait de Chinese Democracy un disque qui a de l’intérêt (tout le monde ou presque ira de sa petite analyse, après tout c’est un événement rock non négligeable) mais pas beaucoup de substance, à l’image de son créateur.
Donc intérêt limité.

Alors était-ce mieux avant ? Indubitablement oui car Guns N’ Roses était un groupe (c’est aujourd’hui une machine de guerre) avec de vraies chansons, certes ridicules, mais qui faisaient secouer tignasses et popotins. Ce qui ne veut pas dire que Chinese Democracy, grand disque con qui fascinera les gens intelligents, soit si mauvais que ça. Rose arrive par-ci ou par-là à caser une mélodie correcte (‘Better‘, ‘Prostitute‘), le niveau technique est bien sûr effarant… mais les chansons, franchement, on s’en tape tant elles ne sont pas à la hauteur. Preuve en est que passée l’excitation, passés les « woah, je vais enfin entendre c’te disque » et les « putain, il gueule comme un débile » et autres « il faut qu’ils refassent des clips débiles genre ‘Estranged’», on range gentiment Chinese Democracy sur l’étagère d’où il ne sortira pas souvent. Comme les autres albums du groupe d’ailleurs. Chinese Democracy en donne pour son pognon, cahier des charges respecté à la ligne. Il faut en tenir une couche pour bosser dix ans sur un disque et c’est l’humain qui nous intéressait, pas le cliché. Ici, c’est une superproduction à dollars, un robot rock en béton armé au fond duquel, quelque part, un coeur humain probablement blessé bat. Cependant, il est dommage de constater que Rose, en ne baissant jamais la garde, ne laisse pas l’auditeur l’atteindre.