Supergrass ✖︎ Cigale ✖︎ Paris

Le 11 juin, il est à peu près 18h lorsqu’on approche de La Cigale. Hilikkus au téléphone : « … en même temps je ne vois pas ce qu’on va s’emmerder à aller voir une bande de losers qui se sépare alors qu’au même moment au Stade de France Muse atteint le probable paroxysme de sa popularité. J’enfile un slim et j’arrive ». Peu de temps après dans la salle même pas à moitié remplie, la première partie débute. On ne retiendra pas grand chose des corrects mais anecdotiques Charly Coombes & The New Breed si ce n’est le nom de famille du chanteur et un batteur aussi juvénile qu’impressionnant, la petite foule applaudit poliment. Pendant que les roadies s’activent, la sono crache des morceaux qui ont presque tous été repris par Supergrass durant leur carrière. Emotion quand débute « Just dropped in (to see in what condition my condition was in) » que les amateurs de The Big Lebowski connaissent. “Tu te souviens c’était la B-side du single de “Alright”, c’est le premier disque de Supergrass que j’ai acheté, c’est touchant” glisse-t-on au mignon de Ross et accessoirement TheGhostBrother. “Ouais enfin à peu près tout le monde doit se dire ça” obtient-on pour émouvante réponse.

Rapidement les lumières s’éteignent et débutent d’amusants films publicitaires des années 70 vantant la sécurité routière. Be smart, be safe… Une date, 2008, un nom, « Diamond Hoo Ha » et quelques vidéos du groupe en studio et ils arrivent sur scène à cinq (les tois membres historiques Mick, Danny et Gaz, le frère ainé de Gaz Rob aux claviers et le plus jeune frère Coombes Charly en soutien à la guitare). C’est le riff à la White Stripes de « Diamond Hoo Ha Men » qui ouvre les hostilités et dès le premier “Bait me!” la foule est en délire. Vu pour la dernière fois dix ans plus tôt (premier vrai concert avec ses propres sous et tout le toutim pour votre ami), le groupe joue toujours de la même manière: précise, aggressive, la musique devant et avant tout. Sans temps mort, les anglais envoient le costaud « Bad Blood » et son puissant refrain, on se revoit deux ans plus tôt plus concentré sur l’écriture de la chronique du disque que sur les travaux à réaliser dans la salle de bain et on jubile à l’idée que la suivante soit « Rebel in you« … Ce qui n’est pas le cas, « Outside » marque un petit temps d’arrêt que, ô joie, le glam « Rebel in you » fait vite oublier. L’ambiance est particulièrment rock, on réalise qu’on s’était peut être un peu laissé aller dans le cliché Alright-esque du groupe, oubliant que c’est avant tout du rock que les anglais jouent…I’m a rock’n roll singer in a rock’n roll band

Un film reprend. 2005, « Road to Rouen« . L’album de balades maman est morte de Supergrass est honoré par « Tales of endurance (part 4, 5, 6) » et ses multiples parties contemplatives avant le si beau « St Petersburg » nous rappelant un retour au bercail après un an d’exil en Angleterre. La triste « Fin » et le funky « Kiss of life » suivent mais le public semble déjà à moitié dans l’expectative des albums suivants… 2002, « Life on other planets« , le premier album du deuxième cycle de Supergrass (en grosse caricature les trois premiers sont Kinks+Who+punk rock, les trois derniers Kinks+Who+glam rock). « Breacon beacons » tout d’abord et là les limites du concept de la soirée apparaissent : aucune des chansons espérées ne sera jouées (pas de « Seen the light » plus T-Rex que nature, ni du furieux « Never done nothing like that before« …). On profite de « Funniest thing » et de « Rush hour soul » pour constater que Danny Goffey, l’arme même pas secrète de Supergrass car toute personne prétendant s’y connaitre un peu en musique sait que ce type là a la frappe de Keith Moon, envoie toujours de roulements de de fous, que le bassiste semble lui un peu à l’écart (après tout s’ils se séparent il y a bien une raison, peut être est-elle à chercher par là) et qu’il est amusant de voir que de où on est, on voit les trois frangins Coombes sur la même ligne et qu’ils ont tous les trois la même tête. Sans surprise le groupe termine ici par « Grace » qui marque véritablement le moment où le concert bascule dans une autre dimension. Le public devient dingue, la chanson ne nous a jamais paru aussi géniale (ce refrain de plus en plus aigu…), de très bon concert, on passe à une autre catégorie, celle du moment d’anthologie.

1999, « X-Ray Album » (tiens, il s’appelle comme ça?!?). Ils ne peuvent débuter que par « Moving« . On croise les doigts pour « Moving« . Gaz s’approche du micro dans le noir. “Moving, just keep moving…”. Les cheveux s’hérissent sur le crane, une vague de souvenirs s’abat, la plus belle émotion de la soirée. On hurle “There’s a mo, low feeling around me”. Tristement c’est en l’entendant ce soir-là qu’on réalise à quel point elle a pu compter, cette chanson à tiroirs … Et sans parler de « Mary » et son refrain historique que le public hurle. Noël 1999, on se revoit déballant près du sapin les trois cd soigneusement achetés au préalable : la BO de Fight Club, « Midnite Vultures » et ce troisième Supergrass qu’on avait ouvert en dernier et plus tard prêté à une Marie fan de Moby. Trois singles et un morceau de l’album a été la règle jusque là. On hallucine un peu quand débute « Eon » car là les limites du concept de la soirée sont complètement repoussées : le groupe joue nos 4 favorites. « Eon« … « Eon » est en 3 minutes ce que Muse essaie de faire sur des morceaux de 9 minutes depuis des années. L’évident « Pumping on your stereo » provoque encore une fois un délire total, rarement on a vu un public aussi heureux que ce soir-là.

Émotion quand s’affiche 1997, « In it for the money« . Le préféré. On parie sur « Sun hits the sky« , « Late in the day« , « Richard III » et… on espère « You can see me » ou la chanson titre. Réponse rapide quand le sombre “In it for the money” débute. “Got the sun turned down got a feeling in my pocket going waaaaaaay hoooooooooooome » et stop. On observe Gaz. Do, La, Do, La et le riff de « Richard III » explose. On ne dira jamais assez tout le bien qu’il faut penser de cette chanson furieuse, de son riff complètement joussif, de son incroyable solo, de ses chœurs… Au fur et à mesure de la soirée, le groupe s’est retrouvé à 4 puis à 3 sur scène, chaque perte d’un membre a fait gagner un cran en intensité et en agressivité et on a là un incroyable power-trio devant nous, avec un répertoire en or le jouant comme des Dieux. Bon sang qu’est ce qui a manqué à ce groupe ?? « Late in the day » ou l’été où on a découvert la déception musicale. En y repensant c’était couru d’avance, dès le jour où on a acheté « In it for the money » on le savait, l’attendu album d’Oasis qui allait sortir ne pourrait jamais être aussi bien… Les breaks de « Sun hits the sky » sont énormes, violents et le groupe joue de plus en plus serré, un vrai groupe de rock.

C’est un véritable délire dans la salle lorsque s’affiche 1995, « I Should Coco« . Des images du jeune groupe au son de « Sittin’ up straight« . Et la salle hurle « At the back of the bus ! ». Ils ne sont plus que trois sur scène, la métamorphose à la Benjamin Button arrive à sa conclusion. Le groupe, qui communique plus musicalement que verbalement, lance « Strange ones » et enchaine avec le très beau « She’s so loose » et ses couplets à briser tous les cœurs. « Mansize Rooster » a beau être une chanson rigolote, elle sonne incroyablement méchante, martelée et jouissive ce soir et le public fournit le « rooster » en question. Mick et Gaz se regroupent autour de la batterie de Danny pour l’intro de « Lenny » et on a sous les yeux la définition même du power trio. Le refrain ultra aiguë nous ramène 10 ans plus tôt, premier concert en fosse, juste devant Gaz dont on garde toujours la bouteille (de gaz) qu’il nous avait jeté à la fin de ce titre. Le groupe quitte la scène avant l’attendu rappel. « Vous avez sûrement entendu une fois ou deux ce titre ces dernières années » dit Gaz pour lancer « Alright« . Chanson pop parfaite, son côté léger et estival a probablement fait autant de bien à la carrière des oxfordiens que de mal en leur façonnant définitivement une image de gars pas très sérieux (et c’est bien connu qu’en France, il faut être un artiste sérieux avant tout, la musique pour la musique, ça ne marche pas). Pourtant en la ré entendant ce soir, on reste bouche bée devant cet incroyable single, son passage en mineur au refrain est tout bonnement fantastique, encore une preuve que lorsqu’elle n’est pas enrobée de considérations pseudo intellectuelles ou dépressives, une chanson n’est pas reconnue à sa valeur (échange un « Alright » contre tous les « Karma Police » du monde). Sans surprise, Gaz annonce la dernière chanson et premier single (et première chanson écrite ensemble, ces mecs sont des génies) « Caught by the fuzz« . Charly le frangin déboule à la fin avec une bouteille de Champagne, arrose le public, ce sera le seul débordement sentimentaliste du la soirée. Mick propose à Danny de détruire sa basse lequel refuse. Gaz salue le public et on devine une vraie émotion sur son visage au bord des larmes.

27 chansons ce soir, on en compte 15 (et encore en étant dur) qu’on qualifie aisément de parfaites. Qui de la génération de Supergrass peut en dire autant ? Selon nos critères personnels et en étant large Oasis bloque le compteur à 5 ou 6, Radiohead idem, Blur pareil, Nine Inch Nails, les Smashing Pumpkins, tous au même niveau, c’est moitié moins, on prend toutes les autres suggestions mais ce soir on a eu la démonstration de la seule manière qui vaille, les chansons, que ce groupe qui s’est arrêté devant nous était bien le meilleur de sa génération. A qui il n’aura manqué que scandales, grande gueule, opportunisme, dépression et poses d’artistes torturés…