Stephen Malkmus ✖︎ A l’étranger

Stephen Malkmus n’est pas sobre ce soir. Pas raide bourré non plus, n’exagérons rien, mais suffisamment éméché pour éveiller les soupçons. Son irruption en solitaire sur la scène du Bikini de Barcelone prend le public de cours. Le voilà qui empoigne sa Guild S-100 d’un air décidé, réalise que son groupe ne l’a pas suivi, repose l’instrument puis décide d’enlever son pull avec toute l’adresse d’un môme de trois ans. L’opération dure une bonne minute tandis que les Jicks s’installent, peu pressés et visiblement aussi amusés que l’assistance. Devant les rires et les sifflets l’ancien leader de Pavement se fend d’une révérence maladroite, tête inclinée et bras écartés. Il perd un peu l’équilibre. Les moqueries fusent : « Borracho ! ». Pas vraiment une surprise pour ceux qui l’ont croisé à l’entrée de la salle un peu plus tôt, la démarche chaloupée, ignorant royalement son monde. Avec sa barbe de trois jours et ses presque 50 balais Malk conserve malgré tout l’allure d’un ado rêveur, l’aura juvénile d’un branleur de classe mondiale et une voix curieusement imperméable aux ravages du temps. Reste à voir si ses origines scandinaves lui permettent de tenir l’alcool.

Après de laborieuses présentations en spanglish la première chanson « Senator » retentit enfin, jouée forte et à toute blinde. Pas besoin d’alcootest, donc. Nous voilà rassurés, même si le « Cinnamon & Lesbians » qui suit est entaché de petites mésententes avec le second guitariste et claviériste Mike Clark. Musicalement les Jicks sont en théorie un poil plus compétents que Pavement – ce n’est pas un secret – et pourtant les nostalgiques seront à jamais frustrés par l’évident statut de dictateur de Malkmus au sein de cette formation. Un dictateur attachant certes mais qui vampirise toute l’attention, dirige le groupe à son gré et décide de chaque nuance musicale. Le scénario de la soirée se dessine déjà: pas une seule chanson ne serait-ce que moyenne (on vous invite à faire une compil’ de la setlist), mais les réussites et les temps forts dépendront exclusivement de l’humeur aléatoire du frontman, tour à tour jovial, je m’en foutiste, appliqué, poignant, distrait ou déconneur (ou tout simplement un peu à l’ouest).

Pas toujours facile pour les Jicks, qui gardent pourtant le sourire dans l’adversité. Après une épatante relecture électrique de « No One Is (As I Are Be) » le slacker en chef se lance bille en tête dans l’intro de « Lariat » sous le regard perplexe du groupe et de la bassiste Joanna Bolme, placée au centre de la scène. Ce n’est pas ce qu’indique la setlist, lui fait-elle remarquer en désignant le papier devant lui, d’où interruption et mini-débat vite résolu par un « come on let’s play it anyway« . Mais une fois « Lariat » jouée, aussi charmante que sur le nouvel album, le problème reste entier. Où en est-on ? Débat, et rires exaspérés. « Let’s do Shibboleth, I like it » et ainsi de suite jusqu’au désormais classique « Jo Jo’s Jacket« , seul rescapé d’un premier album solo pourtant gavé de tubes, dont Malkmus récite le prélude religieusement (« and in a funny way the shaving of my head… « ). Avec un répertoire pareil regretter Pavement tient plus du caprice qu’autre chose. D’autant plus qu' »Out Of Reaches » ne tarde pas à suivre, le clou de la soirée avec son solo épique et sa coda mélancolique étirée à l’infini devant une audience subjuguée, les mots « I know the tide will turn » chantés en boucle avec un mélange de conviction et de vulnérabilité proprement renversant. Ovation logique, mais pas la dernière de la soirée puisque la perfection pop de « Tigers » et un « Surreal Teenagers » étonnamment heavy mettent à nouveau tout le monde d’accord. « Tout le monde », c’est-à-dire les quelques dizaines de trentenaires placides réunis pour l’occasion et non les hordes de fans hystériques prosternés devant Pavement au Primavera d’il y a trois ans. Cherchez l’erreur.

« So, would you like more jams or just pop songs ? » demande Stephen Malkmus à la moitié du rappel, tout en se félicitant d’avoir réussi à caser toutes les chansons prévues. L’heure et demie de concert est largement atteinte mais personne ne semble prêt à lâcher l’affaire. Tel est le charme déjanté de cette génération indé lo-fi, lo-profile, lo-key des 90’s, de plus en plus anachronique dans son insistance à ne rien millimétrer et à laisser faire, insouciante jusqu’au bout. Sans le vouloir, Malkmus réussit à provoquer la susceptibilité de deux ou trois aficionados du Barça lorsqu’il vante la beauté de Madrid, étape précédente de la tournée. « You don’t like Madrid? But this is not football » s’étonne-t-il, avant de lâcher un énigmatique « Football is people« . Et démerdez-vous avec ça. Les vingt minutes qui suivent ressemblent plus à un jam impromptu dans un garage qu’à un final répété, avec au passage une reprise un peu ratée de « From Now On » de Pavement et une excellente version de « Born On The Bayou » de Creedence Clearwater Revival, livrée sans la moindre ironie. Maintenant débarrassé de sa Fender le grand dadais entame le premier couplet de la délicate « Us« , bientôt convertie en gros bordel avec des bribes de « The End » des Doors et une allusion poilante à « Another Brick In The Wall » de Pink Floyd. « Children, kill your teachers ! » s’exclame-t-il sans raison apparente. Et ce sera tout pour la soirée. Stephen Malkmus quitte la salle comme il est apparu, sans doute en quête d’une bière bien méritée.

SETLIST:

1. Senator
2. Cinnamon & Lesbians
3. Scattegories
4.The Janitor Revealed
5. No One Is (As I Are Be)
6. Lariat
7. Shibboleth
8. Cold Son
9. Jo Jo’s Jacket
10. Forever 28
11. Out Of Reaches
12. Houston Hades
13. (Do Not Feed) The Oyster
14. Tigers
15. Independence Street
16. Surreal Teenagers

encore:

17. Planetary Motions
18. No More Shoes
19 From Now On (reprise de Pavement)
20. Brandy (You’re a Fine Girl) (reprise de Looking Glass)
21. Born On The Bayou ( reprise de Creedence Clearwater Revival)
22. Us