Radiohead ✖︎ A l’étranger ✖︎ N/A

Ce soir j’ai rendez-vous avec Radiohead.
De tous les concerts que j’ai vu cet été, celui-là est le seul dont je payerai le billet. Mes avantages multiples à la validité et à la crédibilité plus ou moins discutables m’ayant permis de me faire de nombreuses soirées mémorables à l’oeil au mois de juillet, là je ne rigole plus. Un pote bien plus efficace que moi m’a sauvé la mise et a réussi à me rafler un des 8000 billets vendus en 1h30 chrono dans tous les revendeurs du pays, lorsque les billeteries ont donné le top départ fin mars.
On rigole plus et on assure le coup. Voir Radiohead en 2006 restera visiblement un privilège dont tous les fans à grande échelle se vanteront dans les nombreuses années à venir. Parce que comme d’habitude, le groupe a prévu ses dates au compte-goutte et dans des endroits uniques, et plus inhabituel encore, la tournée n’est nullement prévue en promotion d’un nouvel album juste sorti, mais plutôt comme une gâterie faite au public gourmand et avide d’exclusivités.
Le cadre, parlons-en: si Thom Yorke et ses compères ont choisi de poser leurs amplis en Suisse, c’est pas pour rien: le festival du Rock’Oz Arènes d’Avenches (lien) se situe… dans des arènes, des vraies, des romaines avec des vieilles pierres partout. Chaque année les concerts donnés dans ce cadre prennent une dimension particulière, alors je vous laisse imaginer avec Radiohead.

Alors la soirée, en ouverture du festival qui durera cinq soirs, tournait tellement autour de cet événement que rien ne soutenait la comparaison. Raison non-suffisante pour ne pas s’autoriser une première partie sur une petite scène annexe le temps d’engloutir des nouilles chinoises. Il s’agit d’un groupe local, très local, The Evaporia Report (lien), qui nous livre une heure de post-rock progressif instrumental. Sans-faute irréprochable à ces jeunes espoirs du coin qui gagnent à être connus, mais qui abordent leur style de musique d’une manière un poil trop unilatérale à mon goût. Vite répétitifs, les arpèges aériens et les déluges de disto se sentent venir 5 minutes à l’avance, et ça manque de créativité originiale et d’une bonne dose de fun. Bref. La foule se déplace en masse dans les arènes pour essayer d’avoir LA place, celle qui permettra de profiter du concert sans rien regretter. Alors que je me bats gentiment pour le premier rang des gradins, le fond sonore vire rapidement à la torture. Je ne sais pas ce qui est passé par la tête de la programmatrice qui a eu la (lourde, il est vrai) tâche de mettre quelqu’un sur scène avant Radiohead, mais là c’est un cauchemard pur. Il s’agit de Magic Numbers, deux paires d’anglais tous plus chevelus les uns que les autres, qu’ils soient féminins ou masculins, et qui nous font subir une espèce de bouillie sucrée indigeste et insupportable. De la pop de bas-étage de laquelle à peine quelques riffs audacieux tirent leurs épingles du jeu, j’essaye d’engager des discussions avec mes proches pour pas avoir à subir ce désastre complet. Ils terminent enfin, la pression monte.

Une grosse demie-heure de changement de plateau plus tard, Radiohead arrive sur scène. Le light show est hallucinant, la mise en scène déléctable. Le cadre général aidant, le groupe se plie à la règle des grands écrans sur le bord de la scène… Mais pas n’importe comment, vu que ce n’est pas n’importe quel groupe: des formes polygonales en fond de scène servent d’écran pour des projections de fragments d’images de la scène. Un gros plan sur la main gauche du bassiste, un autre sur le charleston du batteur… C’est sublime.
Sublime d’autant plus que le groupe attaque directement sur « There there » et ses tambours de guerre, probablement une des chansons du groupe les plus propice à l’ouverture d’un concert. Sans respiration, « The National Anthem » démarre sur un fond de radio locale, comme
d’habitude. Je regrette un tantinet ma position assise et hésite à descendre dans la fosse pour mieux m’immerger. Peine perdue, c’est tellement serré que je n’arriverais même pas à la moitié de la distance vers la scène. On continue dans les tubes avec « Lucky« , avant que la pression ne redescende un peu avec « Kid A« , et la nouvelle « Bangers and Mash » durant laquelle Thom Yorke s’authorise un délire sur une batterie pour enfant.
Grandiose, génial… Tous les superlatifs de la langue française ne suffiraient pas à décrire ce qu’on vit dans ces moments-là. Le son est impeccable, spécialement pour un open-air, preuve que nos ancêtres romains avaient déjà prévu les décibels rock’n’roll deux mille ans après leur ère.
Couac sur « My Iron Lung« : un puissant larsen vrille les oreilles des 8000 specateurs en extase autant que celles du chanteur malingre. Contraint d’arrêter après une dizaine de mesures afin que le problème soit résolu calmement, c’est après s’être confondus en excuse que le groupe reprend la chanson au début.
Le concert nous réservera encore bien d’autres surprise. Tenus en haleine par des titres virvoletant entre les six albums studios du groupe, on est gâtés. Seconde et dernière nouveauté jouée pendant la soirée, « Down is the new up » promet vraiment tout ce qu’il y a de meilleur pour le futur album ! Mélange de riffs parfaitement composés et d’audaces rythmiques novatrices, c’est la peuve, si besoin en était encore, du génie complet et de l’avance du groupe sur l’ensemble de la musique actuelle.
Johnny Greenwood se fraise l’index sur une chanson, tartine les touches de piano de sang pour le plus grand dégoût de Thom Yorke, grand végétarien devant l’éternel.
« Paranoid Android » achève la première salve de la prestation. Emeute presque généralisée dans les arènes, l’interlude mélancolique arrache des larmes et des cris à la foule.
Mais le rappel nous gratifie d’une autre rareté qui fait sauter en l’air les amateurs du live « I might be wrong« : « Like Spinning Plates » version accoustique et délicate, un vrai régal qui nous propulse à des années lumières de notre misérable condition humaine.
Suivent « Airbag » et « The Bends » sans concessions, trois guitares électriques pour une puissance dévastatrice et jouissive.
Après deux heures d’un concert cosmique, Radiohead clotûre la prestation comme il se doit sur un enchaînement entre « True Love Waits » et « Everything in it’s right place« . Les musiciens sortent un à un de scène en applaudissant l’audience comblée.

Deux heures passées comme 10 minutes. Un sourire scotché pour 3 jours au moins, une impression de bien-être et de bonheur infini. L’impression, surtout, que ces deux heures passées dans les arènes d’Avenches, je n’aurais pas pu les passer ailleurs sur la planète terre. Impossible. Je m’en serais voulu toute ma vie.