On les a vus de près

Mardi 4 octobre, And So I Watch You From Afar jouait au Point Éphémère, à Paris. l’occasion d’aller poser quelques questions à Johnny Adger (basse) et Chris Wee (batterie) avant un set suintant, et de faire le point sur le groupe irlandais qui fait sensation outre-Manche et intra-caleçon.

Si tous les médias, nous inclus, parlent d’And So I Watch You From Afar comme d’un groupe de post-rock, les Irlandais préfèrent l’appellation punk instrumental. « c’est vachement punk quand même« , me crie amoureusement hilikkus à l’oreille, alors que le groupe vient de torcher « BEAUTIFULUNIVERSEMASTERCHAMPION » devant une salle déjà conquise. « Je pense que ça a plus à voir avec notre attitude que notre son, clarifie Johnny, le bassiste. On se sent proche de l’attitude punk, du do-it-yourself. Les gens parlent de nous comme d’un groupe post-rock sûrement parce qu’on n’a pas de frontman ou qu’on utilise des pédales de delay et d’effets en tous genres. À vrai dire, peu importe le genre dans lequel on nous classe du moment qu’il y a du monde à nos concerts ! » Le groupe a de quoi se réjouir : ce soir-là, la salle du Point Éphémère était remplie, juste pour eux. De la première partie, The Same Old Club, je retiendrais surtout un set plein de décibels venus harceler mon dictaphone, en pleine discussion avec Johnny et Chris, le batteur.

Comment un groupe de musique instrumentale peut-il avoir autant de succès, faire salle comble et même passer à la télé ? c’est du côté sensationnel qu’il faut trouver la réponse, car théoriquement, même le groupe a du mal à l’expliquer. « Je sais pas, on essaye toujours d’être honnête dans ce qu’on fait, médite Johnny. On y met nos tripes. En fait, on n’a jamais vraiment décidé de faire de la musique instrumentale. Ça s’est passé comme ça. On a composé nos morceaux en jammant et on les trouvait déjà très bons sans chant.« 

« Cette fois-ci, on s’est dit que le public attendait quelque chose de spécial.« 

Depuis leurs débuts et quelques sursauts d’hésitation quant à l’intégration du chant dans leur musique (« Tonight The City Burns« ), les Irlandais ont beaucoup mûri. Leur deuxième album, « Gangs« , s’il sonne moins cohérent que le premier selon hilikkus, montre une rage plus canalisée, plus compacte. Dans la salle, « Gang (Starting Never Stopping) » et « Search:Party:Destroy » giclent dans la face du public avant un « A Little Bit Of Solidarity Goes A Long Way » plus posé et fantaisiste. Les deux premiers titres ont une toute autre teneur que le troisième. « Quand on a réalisé qu’il fallait qu’on travaille sur un deuxième album, c’était la première fois qu’on avait des attentes, explique Johnny. Le premier était une sorte de collection de morceaux qu’on avait écrits à différentes périodes. Cette fois-ci, on s’est dit que le public attendait quelque chose de spécial. On voulait qu’il soit représentatif de ce qu’on a vécu avant de l’enregistrer. Ça a très bien marché. c’est la première fois qu’on le joue en Europe et on est assez excité. »

Ce que le groupe a connu avant de lâcher « Gangs » dans la nature, c’est le voyage. Europe, États-Unis, Russie… Ils ont vu du pays et ont été chaleureusement accueillis partout. À plusieurs reprises, ils ont partagé les affiches avec de grands noms tels qu’Oceansize, Envy et même Them Crooked Vultures. La route a été riche en aventures depuis le 14 avril 2010, lors de leur premier concert à Paris, à la Flèche d’Or. « l’accueil qu’on a eu là-bas l’année dernière était vraiment inattendu, note Chris. Le public avait été génial alors que c’était notre premier concert ici. Pour te dire, lors de notre première tournée en Angleterre, il n’y avait parfois que trois personnes dans le public ! c’est le genre d’expérience qui rend plus fort.« 

« Tony a toujours été un songwriter et un chanteur.« 

Le groupe ne connaît plus ce genre de difficultés aujourd’hui. Mais il en connaît d’autres. Il y a quelques semaines, Tony Wright, un des deux guitaristes, annonçait son départ via Facebook. Il se consacre à son projet solo, VerseChorusVerse, nettement plus folk que nerveux. « Tony a toujours été un songwriter et un chanteur, légitime Chris. Ça faisait longtemps qu’il voulait se lancer là-dedans. Évidemment, on est heureux pour lui. » Johnny ajoute que « le fait qu’il soit venu nous dire qu’il n’était plus sûr d’être à 100% dans le groupe était assez important pour lui. Il s’y est impliqué depuis le premier jour, il y a environ six ans. » Depuis, c’est un certain Neil, fringant moustachu, qui le remplace. Il lui a fallu apprendre en une semaine ou deux tous les morceaux d’And So I Watch You From Afar pour les suivre en tournée.

Pas de fausse note pour lui ce soir. Alors que Rory Friers descend de l’estrade pour se noyer dans le public avec sa guitare, Neil exécute avec un plaisir apparent les riffs ravageurs de « D Is For Django The Bastard » et « S Is For Salamander« . Sa complicité avec les autres membres est évidente, même lors des deux plus gros hymnes du groupe, « 7 Billion People All Alive At Once » et « Don’t Waste Time Doing Things You Hate« , véritables imprimantes du sourire. « On est chanceux de l’avoir avec nous pour cette tournée, se satisfait Johnny en me montrant Neil du doigt, qui me fait coucou. Il a joué avec nous pour la première fois il y a quelques temps à Dublin et c’était brillant. Autrement, on n’est pas pressé de remplacer Tony à plein temps. Tant qu’on peut emmener Neil avec nous, si on le paye assez, tout va bien !« 

« Nous existerons toujours, quoiqu’il arrive.« 

Neil a pour l’instant prouvé que l’identité du groupe n’est pas morte avec le départ de Tony. Mais que va-t-il maintenant se passer dans le son d’And So I Watch You From Afar ? « On n’a pas discuté de ça, statue Johnny. Pour l’instant, on est concentré sur notre tournée. On parle de beaucoup de choses entre nous mais il n’y a pas de plan défini pour l’avenir. » Chris se veut rassurant. « Ce qui est sûr c’est qu’on va continuer de composer, de jouer des concerts. On ne modifiera jamais nos anciens morceaux. » Et il n’y a pas intérêt lorsque qu’on voit le soulèvement de foule que provoque « Set Guitars To Kill » dans la salle, lors du rappel. Chose rare : certains se mettent au pogo. Jusqu’alors, le public d’And So I Watch You From Afar préférait headbanguer à s’en rompre le coup et se noyer dans une musique parfois plus propice à la rêverie. Une caractéristique qu’on retrouve dans « The Voiceless« , qui achève un concert bouillant, bruyant. Vraiment trop bon. Et ça n’est pas près de s’arrêter. « Nous existerons toujours, quoiqu’il arrive« , assène Johnny.