Refused se reforme

Refused se reforme.

Que ce soit avec les retours de Verse, Belvedere ou encore plus récemment At The Drive-In, qui sont de réelles références dans leurs styles respectifs, on peut dire que tout amateur de musique alternative se doit de remercier la fin du monde pour donner autant envie aux groupes de se reformer en ce début de toute dernière année. Les rumeurs de reformation n’épargnent pas Refused et m’étant déjà bien fait avoir l’année dernière – souvenez-vous du fameux “coming-soon” sur leur site officiel pour annoncer une vulgaire réédition – je ne risquais pas de tomber dans le panneau, je me permettais même de faire le malin à jouer à celui qui annonce “oubliez, ils ne se reformeront pas, c’est même Dennis qui me l’a affirmé”. Cette réunion totalement inattendue a au moins l’avantage de me faire ressortir l’interview que j’ai effectuée avec Dennis Lyxzen, le frontman emblématique des suédois, alors qu’il était en tournée avec les Bloody Beetroots l’année dernière. Je souhaitais justement le rencontrer car Refused ne se reformait pas et ainsi en apprendre un peu plus sur ses projets actuels dont évidemment sa présence dans un groupe qui a plus tendance à plaire à un public fan d’Ed Banger qu’à celui qui supporte sa scène hardcore locale.

En effet, Dennis Lyxzen, aussi connu pour assurer avec The (International) Noise Conspiracy, The Lost Patrol Band ou encore AC4, était de passage au Zenith avec les Bloody Beetroots, et autant dire tout de suite que j’étais le premier déçu par cette annonce. Avoir à aller au concert d’un groupe qui m’importe peu de façon à voir un frontman qui lui m’a beaucoup plus inspiré depuis de nombreuses années… ce n’est pas très punk. Après tout, autant ne pas rester bête et aller voir à quoi ressemble le groupe pour lequel Dennis affirme que c’est l’unique et dernière possibilité d’écouter l’incroyable « New Noise » en live, bien qu’évidemment remixée.

L’ex-chanteur de Refused a beau faire partie des acteurs européens de la scène hardcore les plus respectés de par notamment son engagement politique, entrer en contact avec lui n’a jamais semblé aussi simple. Malgré un manager qui part en vacances en plein échange pour organiser une rencontre, il a suffi d’un tweet pour avoir un mail, et rapidement commencer à échanger quelques textos avec le suédois. Ce n’est pas pour cela que tout s’est déroulé aussi facilement que je l’aurais souhaité mais on y était presque. Après un rendez-vous annulé avant le concert (une sombre histoire de catering et de gorilles qui disent “vous n’êtes pas sur la liste, vous attendez avec les groupies devant la sortie”) on finit par se retrouver derrière le Zenith après le concert pour finir sur un canapé des loges démesurées de la salle.

Pas de temps à perdre, l’homme ne doit pas tarder à quitter les lieux, nous commençons alors le jeu des questions-réponses. Rappelons que cette interview date du 13 juillet 2011, et que pour des raisons qui n’intéressent personne elle débarque seulement aujourd’hui sur VisualMusic. Le contexte voulait donc que le groupe vienne d’annoncer une nouvelle fois qu’ils ne comptaient pas se reformer, mais Epitaph rééditait The Shape of Punk To Come, et Dennis partait en même temps en tournée avec le groupe de musique électronique.

Inévitablement, je commence la discussion en lui demandant comment il a bien pu se retrouver à jouer avec les Bloody Beetroots.

C’était il y a plus d’un an maintenant, ils ont fait un remix de « New Noise » par leurs propres moyens et Bob, qui est The Bloody Beetroots et s’occupe de tout, est entré en contact avec moi et m’a demandé si j’étais intéressé pour chanter sur une chanson qu’il était en train d’enregistrer. J’étais très réticent, je me disais “je ne sais pas… ce n’est pas mon type de musique…”, mais il m’a fait “je t’offre un voyage à Milan pour un week-end, tu peux emmener ta petite amie”. Je me suis dit pourquoi pas, cela me semblait sympa. Du coup j’y suis allé avec mon ex-petite amie, j’y ai rencontré Bob et nous avons enregistré une chanson ensemble. C’était quelqu’un de très cool, on a parlé de musique, de politique, de nos milieux communs et leurs différentes approches, ainsi que de la façon dont il voit l’héritage de Refused. Nous avons donc enregistré cette chanson qui s’est avérée être très cool, j’ai écrit les paroles directement là-bas et nous avons collaboré. Quelques mois plus tard il m’a contacté et proposé si je voulais revenir faire une chanson avec eux lors du Pukkelpop Festival, et m’a proposé un bon cachet. J’ai effectué ce festival et cet hiver (ndlr : 2010) il m’a proposé si je voulais aller aux Etats-Unis avec lui pour quelques concerts, ce que j’ai accepté et ainsi depuis janvier j’ai fait quasiment toutes leurs dates. Il n’y a qu’un concert à Singapour que je ne peux pas faire car je serai en tournée avec mon autre groupe, mais à part ça je serai en tournée avec eux jusqu’à mi-septembre (ndlr : 2011), et je pense qu’il y a quelques concerts en décembre aussi. Je suis en quelques sortes un membre du groupe. The Bloody Beetroots est essentiellement Bob, qui est le producteur et le songwriter et The Bloody Beetroots Death Crew 77 est la formation live et moi et Bob travaillons sur un projet appelé “The Church of Noise”, qui est une nouvelle sorte de mouvement musical et social que nous essayons de mettre en place”.

Cette réponse me “rassure” quelque peu : voir qu’il y a au moins l’idée que Dennis ne fait pas avec The Bloody Beetroots ce que Chris Willis est avec David Guetta sur « Love Don’t Let Me Go » (je savais que cet exemple vous parlerait). Je réagis donc sur l’idée qu’il y a un aspect politique dans ce projet auquel il participe désormais.

Oui, c’était toute sa particularité. Je pense que Bob voulait travailler avec moi pour deux raisons, probablement car une bonne partie de la musique électronique / dance est instrumentale, il n’y a ni paroles ni voix, il voulait que je sois une sorte de catalyseur de façon à pouvoir parler de problèmes sociaux ou politiques d’une façon très basique et simple, étant donné qu’il souhaite garder la musique très… simple, que tout le monde puisse l’apprécier. Il voulait aussi que je continue ce “croisement”.

Le tour-manager nous coupe pour annoncer à Dennis qu’il doit quitter la salle dans cinq minutes. Il continue sur son explication du projet.

Etant donné que Bob a commencé en tant que DJ et a mis en place tout cet aspect live avec les guitares et batteries, je pense qu’ils veulent faire un croisement entre la dance et la musique rock, et ils voulaient que je les rejoigne de cette façon. Je suis impliqué pour toutes ces raisons. C’est très amusant tout en étant très très différent de toutes les choses dans lesquelles je pense que j’aurais pu être impliqué. C’est une bonne chose à faire.

j’acquiesce et lui explique que j’étais néanmoins le premier à ne pas comprendre ce qu’il pouvait bien faire avec une formation aussi mainstream et sans aucun rapport avec l’engagement de ses projets comme Refused ou The (International) Noise Conspiracy. J’ai toujours eu une image de l’homme, peut-être à tort, comme quelqu’un semblant faire de la musique autant pour le son que pour l’engagement, ce qui pouvait expliquer notamment la séparation de Refused, ce qu’il confirme.

C’est vrai, nous avons une idée avec cette Church of Noise, qui est une idée de créer, pas un nouveau son mais créer une nouvelle forme de communication de masse. Lorsque j’ai vu les Bloody Beetroots sur scène j’ai pu constater qu’il y avait tant de jeunes dans le public, qui sont tellement ouverts à tant de choses, donc voyons ce que l’on peut faire.

Depuis Refused j’ai joué dans de très nombreux groupes, mais cela a toujours été assez underground, et pour un public plus vieux généralement. Ils savaient déjà ce que je faisais, ils connaissaient déjà la politique. Désormais Bob m’a fait monter à bord et c’est une nouvelle chose. The Bloody Beetroots The Church of Noise n’est pas un nouveau groupe, c’est plus un projet, une idée que nous faisons ensemble.

On apprend de chaque rencontre et je pensais encore à la discussion avec Geoff Rickly de Thursday l’année dernière où il m’expliquait que dès qu’ils rejouaient leur album culte “Full Collapse” il ressentait la même émotion que lors de sa sortie 10 ans plus tôt. Je demande donc à Dennis ce que ça lui fait de rechanter New Noise 14 ans après sa sortie.

Maintenant c’est sympa, les deux premières fois c’était très bizarre (selon ses termes : fucking weird). La première fois que j’ai dû le faire j’étais genre “je n’ai pas crié comme ça depuis longtemps”, même avec AC4 (ndlr : un de ses derniers projets punk-hardcore) c’est plus d’un genre de cri-chanté. Je n’avais pas crié de cette façon depuis un bon moment, donc la première fois où j’ai essayé j’ai cru que je n’allais pas être capable de le faire. Je crie un peu plus grave que celui très aigu que j’avais à l’époque, mais désormais c’est juste fun. Les gens deviennent fous et je suis un peu à me faire “Wow…”. Beaucoup du public se demande “qui est ce putain de mec, pourquoi porte-t-il un masque ?” puis nous jouons New Noise et ils commencent à comprendre, puis avec le nouveau clip ils arrivent à faire le rapprochement. On essaye d’exciter le public.

Me doutant bien que cela ne risquait pas d’être le cas sans le groupe et avec un remix, je demande tout de même s’il n’y a aucun apport émotionnel à rejouer la chanson aujourd’hui.

C’est plus passer un bon moment, je suis quelqu’un de très différent même si je reste très impliqué politiquement, je crois en beaucoup de choses mais je suis quelqu’un de très différent de celui que j’étais il y a 13 ou 14 ans (ndlr : se rendre compte que cela date autant le fait rire). C’est quelque chose de très différent, je ne pense pas que cela ait le grand aspect politique que cela avait, je le fais juste (“fucking do it”). Mais la première fois que je l’ai chantée c’était très bizarre, je ne pensais jamais refaire ça, mais c’est juste fun.

J’émets l’idée que certains membres du public des Bloody se retrouveront peut être à écouter Refused grâce à cette collaboration.

C’est vrai, c’est ce que Bob veut, de faire un croisement. The Bloody Beetroots a un album qui s’appelle Romborama et son idée est similaire à celle de Refused, c’est un double album et il y a tant de styles différents de musique électronique. Il a été très inspiré par Refused lorsqu’il a fait cet album, on n’en avait rien à faire et il a fait de même donc je pense qu’il y a des connexions communes entre les deux groupes, ce qui est une bonne chose à mon avis.

Ayant appris tout ce que je voulais sur sa présence aujourd’hui avec les DJs italiens, j’en profite pour faire le rapprochement avec les parties électroniques que nous pouvons retrouver dans The Shape of Punk To Come. C’est devenu monnaie courante avec tous les groupes qui se mettent à faire de la dubstep (RIP Korn), mais lorsqu’on pense que l’album a plus de 10 ans, la comparaison est mal venue.

Nous l’avons fait avant tout le monde mais c’est quelque chose de drôle aussi, car j’étais celui dans Refused qui détestait toutes les parties électroniques (l’homme ne s’empêche pas de rire en me racontant ce qui suit). Je disais “Fuck that”, je veux jouer du punk-rock ! Maintenant j’ai rejoint un groupe électronique et mes amis étaient du genre “mais qu’est ce qui a bien pu se passer, qu’est-ce que tu fous !”, puis ils m’ont vu sur scène et ils ont compris. Lorsque je dis aux gens ce que je fais, ils pensent que j’ai perdu la tête, ils sont genre “what the fuck ?”, puis dès qu’ils me voient sur scène ils pensent que cela a du sens et que c’est même plutôt cool.

Après tout, qu’on le veuille ou non, la musique électronique semble faire partie de l’évolution de beaucoup de groupes alternatif.

C’est vrai, peut-être, je reste un mec très rock’n roll de la vieille école. J’aime les guitares, la batterie, la basse. J’adore toutes ces choses avec les Bloody mais d’un autre côté je ne m’occupe pas de la création de musique mais c’est une bonne chose de faire partie d’un projet contemporain, car tous mes groupes depuis la séparation de Refused ont été… pas rétro mais traditionnels, que ce soit du hardcore, du pop punk ou de la power pop, ou du rock’n roll 70’s avec The (International) Noise Conspiracy.

Je rebondis en lui demandant s’ils ont splitté.

Non non, peut-être l’année prochaine” me répondit-il en riant. On n’en saura malheureusement pas plus tant il rebondit rapidement sur cet idée du rock.

Tout a été assez difficile dans l’histoire du rock’n roll et c’est cool de faire partie de quelque chose de nouveau. Ce que Bob fait avec les Bloody est quelque chose de complètement nouveau dans la musique et c’est assez cool d’être là. Je ne comprends pas grand-chose à la musique électronique mais il me fait découvrir des choses, j’ai une certaine éducation de sa part aussi.

J’en profite pour lui demander s’il a une influence sur les parties instrumentales de ses autres groupes.

Oui, surtout avec The (International) Noise Conspiracy, nous jamons beaucoup. Je fais de la guitare, un peu de batterie et de basse.

Le tour-manager insiste une nouvelle fois pour que Dennis accélère, il m’invite donc à continuer cette interview en marchant vers les loges de Bloody Beetroots.

J’ai toujours été intéressé par la musique dans la façon qu’elle me permet de m’exprimer personnellement. Je suis un songwriter très simpliste mais j’ai toujours joué des instruments, et tout type d’instrument.

On passe devant deux types assis sur un canapé, qui semblent être les italiens. Il fait les présentations et explique le concept de cette interview en se promenant dans les loges. L’horloge tourne, et c’est ma dernière chance d’aborder le sujet Refused que je n’ai pas réellement osé mettre sur la table tant tout semblait clair quant à une éventuelle reformation. Je lui ai donc demandé sa réaction lorsqu’il a vu la mise à jour du site du groupe avec ce “coming soon”, annonçant seulement la réédition de The Shape of Punk to Come.

Je savais que cela allait être la réaction mais la chose folle a été lorsqu’ils ont mis en place le “Coming Soon” il y a un an. C’était fou car je ne savais pas qu’Epitaph avait fait ça. Je regardais la télé et des gens ont commencé à m’appeler, même depuis les Etats-Unis, ils me disaient “vous allez vraiment vous reformer ?!”, et je leur répondais “mais de quoi tu parles ?”. Des gens m’ont envoyé des messages, ont commencé à me parler sur Facebook, je ne comprenais rien, puis je suis allé sur le site. Mais non, cela n’arrive pas, c’était juste pour la réédition. Je dois partir, je suis désolé que cela ait autant été dans la précipitation

Ce sont sur ces mots que je quitte Dennis, et même s’il aurait été impossible pour moi de douter de sa sincérité lors de cette rencontre, aujourd’hui Refused se reforme. On ne saura probablement jamais ce qui a pu autant changer pour qu’un groupe ayant été autant violent en ce qui concerne sa séparation décide de tout mettre de côté pour se reformer à l’occasion, en premier lieu, pour un festival comme Coachella.

Pour ceux qui n’avaient pas eu l’occasion de le lire à l’époque, le communiqué de presse expliquant la séparation du groupe est toujours visible. On en retient des phrases aussi claires que “WE WILL NOT GIVE INTERVIEWS TO STUPID REPORTERS who still haven¥t got anything of what we are all about, we will never play together again and we will never try to glorify or celebrate what was.” (ON NE DONNERA PAS D’INTERVIEW A DES JOURNALISTES STUPIDES qui n’ont toujours rien compris à ce que nous somme, nous ne jouerons plus jamais ensemble et nous n’essaierons jamais de glorifier ou célébrer ce que nous étions). Plutôt étonnant lorsque cette reformation est expliquée par l’envie de donner justice à “The Shape of Punk To Come”, aussi excellent soit-il. Après tout, comment leur en vouloir, le public les attend et il est vrai que leur dernier album n’a pas eu la notoriété qu’il méritait lors de sa sortie. Le cachet était peut être particulièrement intéressant, ou peut-être que de parcourir le monde avec une formation actuelle aussi populaire que les Bloody Beetroots a donné envie à Dennis de remonter sur scène avec son propre groupe qui a énormément gagné en popularité ces dernières années. Il aurait pourtant été tellement plus simple de ne pas en faire autant une histoire lors de leur séparation. J’aimais apprécier Refused comme le groupe qui ne se reformerait jamais mais aujourd’hui ils sont de retour, et on attend donc avec impatience l’arrivée du Groezrock puis du Hellfest pour voir ce qu’ils ont à proposer.

Merci à Marku pour la relecture, ainsi qu’à Dennis pour son temps.