Interview ☭ Elbow

C’est toujours marrant d’entrer dans un hôtel ou n’importe quel endroit, en vous demandant si c’est bien la bonne adresse. Il y a toujours un petit détail qui va confirmer, ou infirmer si l’on est une fille, que votre sens de l’orientation fonctionne (ou pas). Ce 17 avril, c’est en tombant nez à nez avec le mec qui a écrit certaines de mes chansons préférées que je me suis dit que j’étais probablement au bon endroit.
L’interview débute avec Richard, le batteur, et Pete, le bassiste, le genre de mecs avec qui on rêve de faire la fête. Guy Garvey, le chanteur devait nous rejoindre mais un journaliste se l’est accaparé. Tant mieux au final, rencontrer ses idoles, ça peut être dangereux.

Visual : Vous venez de passer une sacrée année avec Elbow. Vous nous racontez ?
Pete : D’une certaine manière, on est un peu passés à un autre niveau avec le Mercury Prize, mais même avant… L’album est sorti en mars 2008 et a plutôt bien marché mais clairement le Mercury Prize ça a été le couronnement de tout ça. Et ça roule toujours ! On est encore dans le Top 20. En fait, aller chez Fiction Record a été une bonne idée pour nous. Les gens d’avant (NDR : V2) étaient super mais au niveau budget ça ne suivait plus, tout particulièrement au niveau promo sur l’album d’avant. On ne voulait pas faire un autre album avec eux parce qu’on a vraiment eu l’impression que « Leaders of the free world » n’avait pas bénéficié d’une promotion suffisante alors on a pris deux ans pour écrire un album d’abord pour nous.

Visual : C’est pas flippant de devoir tout recommencer à zéro ?
Richard : Honnêtement non… En fait « Leaders of the free world » on l’avait déjà fait seuls, on l’avait auto-produit, des démos aux b-sides et ça nous a pas mal appris. Et puis on s’était déjà fait lâcher par un label !
Pete : On est bon pour se faire lâcher !
Richard : Tout ça nous a fait bosser deux fois plus !

Visual : Avec tout ce succès, ce bourdonnement médiatique en Angleterre, vous avez senti un changement d’attitude envers vous ? Que ce soit au niveau des médias, des autres groupes ou du public ?
Pete : Non, pas vraiment… Les gens savent qui on est. Á nos concerts, c’est cool car tu y vois trois générations, des gamins avec leurs parents et leurs parents à eux !
Richard : Et puis on est un groupe qui dure depuis longtemps, je pense que les gens apprécient ça par les temps qui courent ! (rires) Tu vois, on n’est pas comme ces groupes qui apparaissent et disparaissent, on a l’impression, et c’est très chouette, que les gens respectent notre travail sur la longueur. Je pense que même que si on n’avait pas fini chez Fiction l’album serait sorti car on a déjà une fan base assez honorable en Angleterre.

Visual : En fait, Elbow a presque vingt ans mais vous avez mis pratiquement dix ans à sortir votre premier album…
Richard : On était super merdiques ! (rires)
Pete : Bah… On apprenait à jouer, tout simplement, après on a appris à voir ce qu’on ne savait pas jouer ! On faisait une espèce de funk, pas terrible….

Visual : Du Jamiroquai ?

Pete : Ouais, un truc dans le genre ! (rires) En même temps, tant mieux, ça nous a donné de l’expérience et quand « Asleep in the back » est sorti, on a pu garder les pieds sur Terre, c’est plus dur quand tu as 19/20 ans et que tu te retrouves dans l’œil du cyclone. Là, on est assez matures pour le succès !
Richard : Maintenant que tous les money people flippent pour l’avenir du métier il y a un peu de retenue mais il y a encore quelques années ils foutaient un fric monstre sur les groupes, ça peut te briser une carrière.

Visual : Vous ne flippez pas vous avec la chute de l’industrie parce que l’heure est aux singles et Elbow fait des albums qui s’écoutent de A à Z et non des hit-singles…
Pete : On a essayé de faire des hit-singles !
Richard : C’est vrai, notre truc c’est les albums, c’est ce qui prime. Quand c’est enregistré, là on pense à ce qui pourrait sortir en single. On a de la chance parce qu’aucune de nos maisons de disques ne nous a mis des bâtons dans les roues. On a toujours pu sortir les disques qu’on voulait.
Pete : Pour le dernier album en plus, on n’avait même plus de maison de disques et on a signé une fois l’album fini donc le timing était excellent, on s’en sort super bien !

Visual : Justement pendant l’enregistrement de « The Seldom Seen Kid » vous vous êtes dits « avec celui-là ça passe ou ça casse ? »
Pete : Je sais pas…
Richard : Pas vraiment… La seule pression, c’était l’envie de faire le meilleur disque possible. Craig s’est mis à Pro-Tools pendant « Leaders of the free world » et…(longue réflexion) Non pas de pression à part la nôtre.

Visual : « The Seldom Seen Kid » est un disque très cohérent mais en même temps il est très très varié au niveau des émotions, on passe de « MirrorBall » à « Grounds for Divorce« , d’amour à la colère, à la fin ça en fait un disque très vivant, parlant de la vie. C’est quelque chose de voulu ?
Richard : On ne l’a pas cherché…
Pete : Tous nos albums sont un peu l’histoire des deux années précédant leurs sorties.
Richard : Je crois que ça tient surtout aux paroles de Guy, à sa capacité à se mettre dans la peau de tout le monde et à véhiculer des sentiments que tout le monde comprend. Un gamin kiffera le riff de « Grounds for divorce« , un ouvrier solitaire se sentira peut être plus proche de « The loneliness of a tower crane driver » ! (rires) C’est très divers. Le truc c’est de réussir à rendre tout ça cohérent.

Visual : Comment vous faites ?

Pete : J’en ai aucune idée ! (rires)

Visual : Avec tout ce succès, vous n’avez jamais envie de dire « hey attends, nos autres disques étaient bien aussi ! » ?
Richard : Pas vraiment, tu sais tous nos disques ont été disque d’or en Angleterre. Bon ok là, c’est différent mais c’est cool ça fait un bon back catalogue.
Pete : C’est cool pour un fan de découvrir un groupe au bout de quatre ou cinq disques comme ça tu n’as pas à attendre que le prochain sorte pour avoir des nouvelles chansons ! Tu sais on n’a jamais été un gros groupe non plus, on n’a jamais été hype à cause de nos looks mais on a eu un petit succès, ça donne confiance. « The Seldom Seen Kid » marche par le bouche à oreille je pense…
Richard : C’est la meilleure promo ! Un peu comme lorsqu’on a joué à Wembley (NDR : la salle, pas le stade), l’idée c’était d’en faire un moment intime… Guy s’est démené comme un fou, a envoyé des milliers de messages sur Facebook et les gens ont aimé, c’était chaleureux malgré la taille.

Visual : Votre ville, Manchester, semble être une muse pour le groupe mais en même temps, il y a une impression de relation amour/haine, je me trompe ?
Pete : On aime notre ville, on en est fiers, il y a une bonne scène, c’est cool.
Richard : C’est assez grand et assez petit. Tu viens d’où toi ?

S’en suit une discussion lyrique sur Amiens que le groupe connaît ( ! )

Visual : En 2005, vous êtes un des rares groupes à l’avoir ouverte à propos de la guerre, Bush et Blair. C’était votre devoir de citoyen ou de musicien ? Ou les deux ?
Pete : C’était énorme ce qui se passait, on ne pouvait pas l’ignorer et puis c’est un titre plutôt cool pour un album (« Leaders of the free world« ). C’est bien de dire quelle est ta position en tant que groupe sans toutefois faire du prechi-precha…
Richard : On a eu envie de le faire, on ne s’est pas sentis obligés.

Visual : Rien à voir avec GreenDay ?

Richard : (rires) Non ! Quand un groupe arrive à ce stade, la seule envie c’est de lui dire de fermer sa gueule, on est au courant de ce qui se passe, merci bien.
Pete : Et puis on aime penser que les gens qui écoutent Elbow sont assez malins pour ne pas se laisser dicter une opinion. Comme je te disais tout à l’heure, nos disques parlent de nos vies. A l’époque, ça en faisait partie, tout simplement.
Richard : On ne l’a fait que sur le titre de l’album et la chanson, on ne voulait pas devenir un groupe chiant. Le mec qui écoute Elbow le soir après une journée de merde n’a peut être pas envie qu’on le saoule avec la guerre. On veut autre chose.

Visual : Il y a quelques années j’écoutais « Ribcage » (de l’album « Cast of thousands« ) en boucle tous les soirs et ça me faisait oublier tout le reste…
Pete : C’est ça qui nous fait avancer tu sais. A certaines périodes de ta vie, on se sent toujours plus proche d’un groupe que d’un autre. On aime tous l’album de Spiritualized, « Ladies & Gentlemen« , on adore ce disque, on veut produire un effet similaire. C’est cool que tu dises ça, on est heureux d’avoir cet effet sur les gens.

Visual : Pourquoi « The Seldom Seen Kid » a mis un an à traverser la Manche ?
Pete : J’en sais rien, on a aucun contrôle là dessus…Mais là, on a un effet boule de neige. On marche bien à la maison, donc on sort ailleurs. Pourtant la France est un grand pays, un grand marché comme ils disent chez les labels. On aime bien la France en plus. Ok on a mis le temps, mais on est là !

Visual : Vous connaissez des groupes français ?

Pete : Phoenix, ils sont excellents ! J’imagine qu’ils cartonnent ici.

Visual : Pas vraiment… C’est comme Thierry Henry, meilleur à l’étranger qu’en France !

Pete : C’est marrant ça… On était en Australie il y a peu et là-bas, ils ont honte des groupes qui cartonnent hors Océanie ! Sinon on connaît Daft Punk, Air.
Richard : MC Solaar.

Visual : Ce n’est pas bizarre d’être en train de faire la promo d’un disque sorti il y un an alors que vous avez peut être envie de passer à autre chose ?
Pete : Oui et non parce qu’on était censés tourner jusqu’en septembre 2008 mais ça marche si bien qu’on y est encore donc on ne va pas se plaindre.
Richard : C’est bon pour nous, on ne radote même pas.
Pete : Oui, on a beaucoup de chance, encore une fois on s’en sort super bien !

Visual : Les plans d’avenir, c’est quoi ?
Richard : On tourne en Europe et les festivals. On fait un gros concert à Manchester en septembre pour marquer la fin du cycle.
Pete : Et puis on ouvre pour U2, ce n’est pas rien, on a grandi au son de leurs albums.

Visual : Un rêve devient réalité !

Pete : A fond ! Tu vois, tout marche bien mais on est tellement plongés dedans que j’ai l’impression qu’on n’en profite pas assez. En septembre, ce sera bizarre de s’asseoir et réfléchir à tout ça et…
Richard : … essayer d’écrire un putain de nouvel album ! En février on est allés faire un tour sur l’ile de Mull dans une ancienne chapelle reconvertie en studio au bord d’un lac, c’est super beau, c’est au milieu de nulle part. On a passé quinze jours là-bas à picoler et à essayer de mettre en place quelques idées… On en a profité pour faire un peu le point entre nous, se retrouver. Je sais ça sonne un peu cucul de dire ça mais tant pis ! (rires)
Pete : En fait, il faut se rendre compte que cela fait un an que le disque est sorti, quoiqu’on fasse, il y a toujours une quinzaine de personnes autour de nous donc ce n’est pas forcément inutile de se retrouver comme tu dis. On essaie de faire ça avant chaque nouveau disque.
Richard : En même temps, en tournée on essaie toujours de se prendre ne serait-ce qu’une demi-heure par jour rien qu’entre nous, pour discuter un peu. Pour revenir à ce prochain album, là on est bien, on a confiance en nous du coup, on est à la fois impatients de s’y mettre mais on a aussi envie de prendre notre temps pour sortir un album encore meilleur.
Pete : On flippe un peu, il faut avouer… Tu vois, on a toujours été des outsiders et là, tous les regards sont tournés vers nous, il va falloir qu’on fasse notre meilleur album. On se sent comme après notre premier disque…

Visual : Vous êtes d’accord si je dis que Elbow crée de l’intensité avec de tous petits détails ?
Pete : Hum, c’est intéressant que tu dises parce que au sein même du groupe, il y a deux groupes : Richard, Craig et Mark qui sont à fond impliqués dans le moindre petit détail. Un truc de dingues. Je me souviens d’un soir où je suis allé au studio et ils étaient en train de réenregistrer toute une chanson que moi je trouvais bien à cause d’une histoire de détails que seuls eux entendaient ! Guy et moi, on est plus dans la vue d’ensemble. Au final, ça crée un bon équilibre entre notre côté brut et leur sens de la précision.

Visual : Et ça marche bien parce que on moment favori du disque doit être le piano martelé du deuxième couplet de « Grounds for divorce« . On ne l’entend pas forcément la première fois mais maintenant je n’entends plus que ça !

Pete : C’est cool ! On est tous fans de Talk Talk et quand je les ai écoutés au casque la première fois, je suis devenu dingue avec tous ces détails.
Richard : On fait attention, on essaie de capter l’ambiance de la pièce dans laquelle on enregistre pour que l’auditeur soit avec nous…
Pete : Comment tu baratines ! (rires)
Richard : On veut faire des disques qu’on écoute de A à Z et pas juste 12 chansons sans lien. On est nos pires critiques.

Visual : Vous avez le sentiment d’appartenir à une scène ? On peut lire ici où là que Elbow est le chaînon manquant entre Radiohead et Coldplay.
Pete : Ouais, tout le monde fait ça parce que c’est plus simple. Moi aussi, plutôt que de me lancer dans une grande explication métaphysique de notre musique, je compare avec machin ou truc. On a plus à voir avec Radiohead qu’avec Coldplay
Richard : Heureusement !
Pete : … mais je comprends ces comparaisons.
Richard : Le truc cool avec le succès de « The Seldom Seen Kid« , c’est que maintenant les gens savent comment on sonne.

Visual : Comment c’était de battre Radiohead au Mercury Prize ?

Pete : C’était énorme !
Richard : On les a battus pas mal de fois depuis un an !
Pete : Oui, ça en devient embarrassant pour nous !
Richard : Ils sont super sympas. Quand on a gagné le Mercury, Ed et Colin étaient les premiers se lever pour nous applaudir.
Pete : En plus c’est bizarre on l’a gagné à l’unanimité, d’habitude c’est toujours très controversé… Je regardais la vidéo sur Youtube l’autre jour et il faut voir la tronche qu’on fait. On a tellement eu l’habitude d’être les seconds couteaux qu’on a du mal à y croire. Le retour à Manchester était super, tout le monde semblait fier de nous.

Visual : De cette année, vous retiendrez quoi ?
Richard : Un contrat avec une maison de disques ! (rires)
Pete : Le concert à Abbey Road avec l’orchestre était génial. On n’a jamais été aussi nerveux je crois ! Au départ, il ne devait pas y avoir de public, on enregistrait une autre version du disque, c’est tout. Le public, ça s’est décidé assez tard. Les nouveaux arrangements n’ont pas été écrits par nous et on a découvert tout ça la veille. 24H pour tout mettre en place mais à la fin ça valait le coup ! Je retiendrais ça je crois, et toi ?
Richard : Je suis assez d’accord, ça et le Mercury, on a l’impression d’être au top de notre forme et on espère que ça va durer !

Et rester au top, c’est tout le mal qu’on leur souhaite.
Des mecs chanceux, heureux, conscients de vivre un grand moment de leur carrière, c’est ainsi qu’on peut décrire les 2/5 d’Elbow. Des types ordinaires qui te posent des questions après l’interview. Le monde à l’envers.

Un grand merci à Virginie de TheHours (et à Hilikkus pour ma photo avec Guy!)