Zone Libre – L’Angle Mort

Depuis la fin des années 80 et le duo Aerosmith / Run DMC, les barrières entre rap et rock ne cessent de tomber. Si évidemment il reste encore des imbéciles pour lesquels l’opposition catégorique de ces deux styles sonne comme une évidence fondamentale, nombreux sont les artistes qui balayent les prétendues incompatibilités d’un revers de la main. Les trois musiciens de Zone Libre (dont Serge Tessot-Gay, guitariste de Noir Désir) comptent parmi ces artistes. Ils ont contacté les rappeurs Casey et Hamé (de La Rumeur) pour une rencontre singulière qui a débouché sur un album, puis une véritable tournée.

A quoi faut-il s’attendre ? Une fusion groove rock tendance Red Hot Chili Peppers ? Un neo métal bling bling façon Limp Bizkit ? Ou alors, un Noir Désir au chant rappé ? Rien de tout cela. ‘L’Angle Mort‘ est un album de hip hop pur jus. En tous cas, il semble construit comme tel: les musiciens de Zone Libre mettent en place les instrus à la manière des beatmakers, avant que les MCs ne posent leurs textes dessus. Les instrus sont résolument sobres et épurées, à l’image de la prod en général. Les lignes mélodiques sont simples et efficaces, la rythmique fait son boulot consciencieusement; Zone Libre ne cherche pas la grandiloquence, mais trouve ses appuis dans une ambiance saturée, inventive et sereine, encadrée par un tempo lourd et une basse imposante. On retrouve ainsi des parties très noise dans l’esprit de Sonic Youth (‘Purger sa peine‘, ‘L’angle mort‘), des riffs rappelant Noir désir époque Tostaky (‘E.L.S.A.‘) ou la mouvance grunge, aussi bien par le son des guitares que par les fulgurances des inspirations punk (‘Les mains noires‘).

Ce travail instrumental conséquent permet aux deux MCs de s’exprimer pleinement – du moins est-ce valable pour Casey qui virevolte grâce à son flow rageur et hypnotique (‘Purger sa peine‘, ‘La chanson du mort-vivant‘, ‘Une tête à la traîne‘). Elle mettrait presque son collègue à l’amende. En effet, Hamé a un phrasé bien plus lent, proche du slam, manquant par moment d’énergie. Fort heureusement, l’association des deux rappeurs sur un même titre est redoutable, l’un reprenant au vol la balle lancée par l’autre (‘1/20‘, ‘L’angle mort‘).

L’album s’ouvre sur un discours d’Aimé Césaire sur les origines des colères qui animent ceux qui sont ou (ont été) colonisé. Le ton est donné, on navigue dans un activisme conscient et incisif. Oubliez le moralisme bien pensant de Grand Corps Malade ou Abd Al Malik. Oubliez également les postures outrageantes et faciles du hip hop tape à l’oeil. Hamé et Casey affichent leur conviction et leur mal-être de façon intelligente et intelligible, avec une telle intensité qu’il est difficile de ne pas y réagir.

Avec ‘L’Angle Mort‘, Zone Libre, Hamé et Casey font exploser les frontières culturelles communément admises entre public rock et hip-hop, et posent les bases d’un débat malheureusement trop sclérosé aujourd’hui.

C’est là que tout commence
Avec cette marche forcée vers une certaine idée de la France