Michael Jackson – Michael

vm5
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Les historiens en débattent depuis un bon moment. Le monde est entré dans une nouvelle ère à la chute du communisme plutôt qu’à celle du World Trade Centre, indiscutablement les deux plus grands événements mondiaux des 25 dernières années. A notre niveau moins intellectuel, notre degré de réflexion plus terre à terre consiste à ce gonflant échange d’anecdotes. « Tu faisais quoi toi le 11 septembre ? ». Dans ce genre de discussion, on se contrefout finalement de savoir que machine était en train caresser son chat en réfléchissant aux prénoms de ses futurs enfants. On attend que ce soit son tour de parler pour livrer sa propre anecdote, forcément plus intéressante. Ce qui nous amène aux deux morts les plus marquantes des dernières années. Lady Di et Michael Jackson. Avant on parlait Kennedy, premier pas sur la Lune… Aujourd’hui ce sont les enfants des paparazzis qui font l’Histoire. L’Histoire et l’inconscient collectif ont été transformé le 25 juin 2009. Souvenez-vous du 24 juin 2009. Tout allait bien dans le meilleur des mondes post 11 septembre. Michael Jackson ? Ouais le tripoteur de gamin, top has been, si tu es fan, caches-toi malheureux. 24heures plus tard, le monde avait changé. Les fans honteux ont fait leur coming-out. Tout le monde a ressorti son ‘Thriller‘ et allons-y. La suivante, tout le monde l’a entendue.

-Moi j’ai toujours a-do-ré.

Je me souviens du lendemain. La brune que je conduisais au boulot m’a dit qu’elle était sous la douche quand elle a appris la news. Ma première pensée a été pour elle, nue, sous la douche. Nue. Et ensuite, je me suis dit que merde, c’était parti. L’anecdote.

-J’ai toujours plutôt bien aimé, m’a-t-elle dit alors que j’étais toujours englué dans une vision d’elle sous la douche. Nue.

Et depuis ce jour, il est excessivement difficile de parler sérieusement de notre Jacko. D’un côté les fans honteux ou les nouveaux convertis qui sont persuadés du génie total du monsieur. De l’autre les rebelles au cerveau étriqué qui sont persuadés de l’imposture totale du monsieur. La mesure est écrasée par la démesure de l’événement, du bonhomme, de ses ventes (on parle là du seul artiste ayant approché ce qu’a dû être la Beatlemania) à peine relayé par les médias.

La démesure ne cesse pas. Le plus grand artiste du monde lit-on un peu partout. ‘Thriller‘ le meilleur truc de tous les temps, ‘Bad‘ ou la bande son des années 80, ‘Dangerous‘ invente le R’n’B moderne, ‘History‘ et les derniers tubes et ‘Invincible‘, saboté par la maison de disques -les salauds- alors que c’était un chef d’oeuvre que personne n’a écouté.

Mouais.

Il y a toujours un moment où il faut séparer ce qu’on aime et ce qui est bien. Et assumer. Entre Haute Fidélité et Les Hauts de Hurlevent, je sais lequel est l’oeuvre. Mais je sais aussi lequel je préfère. En ce sens, le père Jackson est intéressant. Un peu avant Noël 91, ma mère m’a offert ‘Dangerous‘ et j’ai épuisé ce disque jusqu’à la moelle, comme un gamin de 9 ans peut le faire. Ces doux souvenirs me seront toujours chers. C’est de loin mon album préféré de Jackson. Est-ce le meilleur ? Non, évidemment. C’est trop long, trop produit, une bonne moitié est bien merdique. Et c’est précisément cette distinction que tout le monde semble incapable de faire. On ne va pas revenir sur les à côtés de la mort qui transcendent tout. La mort de Michael Jackson n’a pas validé son art. On n’est pas chez Elliott Smith ou Kurt Cobain. Dans le cas de Michael Jackson, on navigue dans eaux plus proches de celles dans lesquelles s’est noyé Jeff Buckley… ‘Invincible‘ est toujours un disque de brin. ‘History‘ idem. ‘Bad‘ porte bien son nom. ‘Thriller‘ manque d’âme et une chanson comme ‘Beat It‘ est tellement mauvaise qu’elle pourrait être reprise par les Foo Fighters et si ‘Off The Wall‘ n’a jamais trop tourné sur la platine, il y a peut être une raison. La qualité de la production discographique de Jacko allait en descendant, c’est rien de le dire. La funk-soul endiablée (‘Wanna be starting something‘, ‘Don’t stop till you get enough‘) a laissé place à une musique on ne peut plus synthétique et sans âme (‘Jam‘, ‘Bad‘), les tubes nous ont été imposé au lieu de s’imposer d’eux mêmes, les balades main dans la main (‘Rock with you‘, ‘The girl is mine‘) sont devenus des pensums moralisateurs insupportables (‘Heal the world‘, l’horrible ‘Earth song‘) et les thèmes universels (‘Human nature‘, ‘The way you make me feel‘) se sont transformés en chansons lénifiantes sur un mec piégé par sa célébrité (‘Scream‘, ‘Childhood‘ etc), le lot quotidien de tout un chacun, à n’en point douter. Alors lorsqu’une série de dix albums posthumes a été annoncée, on n’a pas retenu notre souffle pour autant. Entendre dix nouveaux ‘Invincible‘, merci mais non merci. A peine subsistait le petit espoir qu’en entendant ces inédits, les gens redescendront peut être sur Terre et réaliseront qu’à part les tubes usés, il n’y a pas grand chose à sauver chez l’ami des enfants. Il n’y a pas deux ‘Billie Jean‘ dans sa discographie ni deux lignes de basse aussi chouettes.

Bingo. Prenant assez ouvertement les fans pour les vaches à lait qu’ils sont, les gens s’occupant de Michael, premier album de la série de dix, ne se sont visiblement guère cassé la tête pour essayer de faire quelque chose d’à peu près digne à défaut de faire quelque chose de qualité. Il y a un mois, Sony envoyait ‘Breaking News‘ en éclaireur. La réunion marketing a dû ressembler à quelque chose comme ce qui suit :

Requin 1 -On lance quoi en premier single ?

Requin 2 -Breaking News. C’est sur Jacko et les médias. Les gens l’ont pris en pitié maintenant, pauvre tcho gars avec les paparazzis tout ça, jurisprudence Lady Di, ça fait chanson à contenu…

Stagiaire café – Ouais mais elle est nulle…

Requin 1 – On ne t’a pas demandé ton avis.

Requin 2 – En plus ça va nous donner une crédibilité du tonnerre. La chanson parle du cirque autour de lui. En lançant ça, on montre qu’on ne cherche pas à capitaliser sur sa mort, tu vois on ne peut pas se tirer une balle dans le pied comme ça, ça montre qu’on est pas dans l’exploitation mais dans l’artistique avant tout…

Stagiaire café – Ouais mais elle est nulle et les producteurs l’ont tellement tunée au mixage qu’on reconnaît à peine la voix, les gens vont hurler au scandale…

Requin 1 – Tant mieux. En plus du buzz ça fera polémique donc on en parlera d’autant plus. Et t’es viré.

Et ce disque est arrivé un beau jour. Dès le début, c’est foireux. Des beaux violons et Akon -cet homme ferait autorité dans son domaine paraît-il- qui nous sort d’un ton mielleux « Akon & MJjjjjjjjjjjjjj ». Comme ça tu sais qui va chanter, tu n’as pas acheté par inadvertance le nouveau Sardou. On ne va pas douter du fait que Akon est sûrement un bon gars, un bon fan faisant partie de la multitude qui ne se réclamait pas de Jacko avant le 25 juin 2009 et qui le cite à tire-larigot depuis comme sa plus grande influence et un exemple pour la communauté afro-américaine (en mourant, Michael est redevenu noir, au paradis son vitiligo s’est auto guéri). Comme Usher aperçu récemment, on l’imagine facilement donnant des concerts portant un gant blanc. Akon nous donne donc sa lecture de ce qu’est une bonne chanson de Michael Jackson. Il opte pour la balade vaguement gospelisante à la ‘Will you be there‘ avec une mélodie moins joliment gnangnante mais après vérif’ sur Spotify, le tout sonne plus comme du Akon que comme du Jackson. Du faux lover donc. Le reste du disque est produit soit par Neff-U (mon érudition soul s’arrête à la mort de Marvin Gaye, j’ignore donc qui est ce bonhomme) pour les moments tendres, soit par Teddy Riley, l’homme derrière les disques de Jackson post Bad. Les titres produits par ce dernier sonnent tous comme des chutes de studio de ‘History‘ et pas comme des trésors cachés. D’ailleurs si Jackson, pourtant peu critique envers lui-même si l’on juge par ses deux derniers disques, ne les a pas publié, il y avait peut être une raison. De la démo boostée, un featuring quelconque pour masquer les blancs et l’affaire est dans le sac. Quiconque se souvient de choses comme ‘2 bad‘, ‘Can’t let her get away‘ ou les trucs de ‘Ghosts‘ se fera une idée du niveau de brillance de ces… hum, choses. Tous les vampires du showbiz viennent se taper une part du mythe : Tricky produit une balade cucul, 50 Cent vient faire le méchant sur une des rares choses qui sonne à peu près élaborée. Comme Van Halen ou Slash en leur temps, Kravitz et Dave Grohl viennent cachetonner à coup de guitares javelisées et de batteries nazes faite par le logiciel Loop pour donner une caution rock à deux balles. On les imagine déjà promouvoir leurs prochains bouzins en évoquant avec des trémolos dans la voix leur rencontre historique avec le King of Pop, ça fera les choux gras du NME.

Les gens en charge de ce projet n’ont visiblement à aucun moment pensé à une quelconque cohérence, à ce à quoi est censé ressembler un album de Michael Jackson, à savoir un truc plus gros, plus ambitieux. Non, ils ont enfilé les dix titres les plus présentables en l’état et ont songé à appeler l’album « ça fera l’affaire ». De manière amusante, ils ont combiné l’aspect dépouillé de Quincy Jones (une dizaine de chansons) avec le son Teddy Riley. Sauf qu’il n’y a ni le talent du premier et si l’approche sonore du second était moderne, tape à l’oeil et parfois cache misère en 91, force est de constater que comme toutes les choses à la pointe de la mode, le temps y a fait ses ravages. D’où une impression de projet monté à la va-vite, de sélection de chansons peu pertinentes (franchement les mecs, vous avez mieux que ça ?), d’un disque sans aucun intérêt. On n’y trouve même pas vraiment ses moments ultra cucul involontairement comiques, ni le gros tube imparable(ment calibré), ni le moment digne sorti de nulle part. Un gros foutage de gueule.

Et, là est la bonne nouvelle, tout le monde semble le remarquer. A trop prendre les gens pour des cons, il fallait bien que des voix s’élèvent. Des artistes, enfin des chanteurs et producteurs, fustigent la chose et les gens y participant, la presse descend le disque, les fans sont déçus. Nous on s’en fout. Toujours est-il que ce rejet qu’on espère général entrainera peut être de la part des ayants droits une reconsidération de la chose. On espère que les adeptes du « c’était trop bien MJ » réaliseront que sa dernière vraie bonne chanson (écrite par lui et tout) date d’avant la première guerre du golf, que ses projets mégalo et son sens de l’auto mise en scène l’avaient ruiné aussi bien mentalement que musicalement, que même son meilleur disque -‘Thriller‘- contient sa part d’horreur (‘Beat it‘, franchement…). Bref, il serait bon que ‘Michael‘ soit le moment où tout le monde se calme un peu avec Michael Jackson, si vendre beaucoup et avoir les paparazzis au cul étaient un signe de talent indéniable cela se saurait, on dit cela dans l’intérêt des gens de Sony parce que parti comme cela, pas dit que les neuf prochains disques d’inédits trouveront acquéreur.

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