Qu’est ce qui fait que ce qui nous horripile chez certains nous fascine chez les autres ?
En 2008 il y a eu trois disques chroniqués dans ces colonnes avec un enthousiasme réel même si mesuré et étrangement, on remet plus facilement ces trois là sur la platine que ceux célébrés avec faste il y a trois ans. Non, pas de retournement de veste à signaler, simplement encore un signe que préféré ne signifie pas meilleur. Parmi ces trois disques se trouve The Seldom Seen Kid qui est devenu un petit classique à la maison alors qu’il est devenu un grand classique outre Manche et ça tombe bien car c’était là tout le mal que l’on souhaitait à Elbow.
Elbow ou le groupe qu’on aime malgré tous ses défauts parfois horripilants : Elbow n’est pas fun, Elbow n’est pas beau. Elbow fait du prog, Elbow fait de la soupe. Elbow te donne des leçons de vie, Elbow a été couronné groupe du peuple. Elbow utilise des chorales sur tous ses albums (de mémoire) et adore que tout le monde chante avec eux. Elbow ne sait pas écrire de singles dignes de ce nom. Elbow est adoré de la critique. Les textes de Guy Garvey sont considérés par beaucoup comme la poésie du quotidien, rayon de soleil des petites gens. Elbow est content de son succès parce que maintenant, Elbow a du succès.
Et pourtant on les adore. Build a rocket boys ! en est l’illustration parfaite. Un disque très calme avec des chorales (With love, Open arms) partout pour tenter de refaire le coup de One day like this, des chansons prog longues(The birds, Lippy kids), des ballades contemplatives aux paroles leçon de vie (Jesus is rochdale girl, The night will always win), un single (Neat little rows) excessivement médiocre et une critique en session de rattrapage du disque précédent (« Zut, on n’a pas dit assez de bien de Seldom Seen Kid, ne prenons pas de risques et célébrons le nouveau comme un chef d’oeuvre pour compenser ! »). Rien de bien transcendant a priori donc pour Build a rocket boys ! et sa pochette en hommage au CHU d’Amiens.
Et pourtant ça marche. Le disque est simple et beau comme un dimanche matin ensoleillé. Positif. Pas sirupeux. Ok ça pue la leçon de vie mais Guy Garvey est un parolier incroyablement doué pour dénicher la poésie dans le quotidien. Sans préchi précha. Simplement. On en profite -session de rattrapage- pour dire que les paroles de Starlings sur le précédent disque sont incroyables. Elbow n’a toujours aucun sens de la chanson géniale ni du single à écouter en boucle, mais pris dans son ensemble Build a rocket boys fonctionne à merveille. Et avec tout plein d’idées, il se passe tellement de choses dans With love qu’on s’étonne de voir que la chanson ne dure que 3minutes 30 là où tous les Arcade Fire et Coldplay du monde y auraient vu leur grand moment prog. Lippy Kids, The River ou Jesus is rochdale girl démontrent que Elbow sait faire simple et ne va jamais trop loin même lorsque se bataillent guitares floydiennes et trompettes mariachis sur la mélodie de la SNCF (High ideals). Dear Friends et The Birds sont assez superbes en clôture et ouverture pour compenser les moins bons moments du disque. Là est le grand talent de Elbow: la transcendance. Faire des disques à la fois sophistiqués, charmants, intelligents, accessibles et bons. Maitrisés mais pas guindés. Généreux. Certes pour la première fois ce nouvel album n’est pas indiscutablement meilleur que le précédent -en même temps de nos jours combien de groupes font encore ça ?- mais pour Elbow le sans faute continue. Profitons de ce groupe avant que les fans d’Arcade Fire et The National ne mettent la main dessus et nous les transforment en Elbobo. Mais même avec ça on les aimerait.
On appelle ça le talent.
