Smashing Pumpkins – Gish / Siamese Dream Deluxe

On l’a déjà écrit et on y retourne : ce qu’il y a d’épanouissant avec les Smashing Pumpkins, c’est que ça raconte une histoire. L’élément humain y est fort. En supervisant les rééditions de Gish et Siamese Dream, c’est manifestement cet angle narratif que Billy Corgan a choisi. Du fait de la logorrhée du grand chauve, des inédits des Smashing Pumpkins, il y en a plus sur le net que pour n’importe quel autre groupe (on tourne facilement autour des 300 chansons, un tour sur spfc.org saura étancher toutes les soifs) et il aurait été aisé pour Corgan et satisfaisant pour les fans de compiler les meilleurs sur les disques bonus de ces rééditions. C’est oublier à qui nous avons affaire. Non ce que Corgan veut avec ces ressorties, c’est montrer comment il est sorti du monde indé qu’il méprise et qui depuis le méprise. Voire l’a toujours méprisé.

Inutile de trop s’appesantir sur les qualités intrinsèques de ces deux disques, ils n’ont pas changé depuis la dernière fois où vous les avez écoutés : Gish reste globalement ce disque gauche et maladroit qui doit énormément à Jane’s Addiction sans le côté crossover (impossible de ne pas penser aux solos de Dave Navarro en entendant « Siva ») mais qui montre déjà un groupe plus rêveur que la moyenne. Les tics d’écriture de Corgan sont déjà là notamment le point de rupture calme avant la nouvelle explosion tout de même un peu plus malin que l’opposition couplet calme, refrain rock dont il n’a jamais abusé même s’il sait l’utiliser à bon escient (Today, Bullet with butterfly wings). Surtout, sur Gish son écriture reste encore prisonnière de ses idoles hard rock et là débute la méprise car le petit monde indé -sur le point d’être à tout jamais changé par Nevermind– ne comprend pas ce groupe au look psyché étrange et à la musique si influencée par les dinosaures du rock. Les Pumpkins n’ont jamais été cool au sommet de leur gloire, ils ne l’ont sûrement pas été à leurs débuts.

Pour Corgan le jugement est sévère. Il a essayé de se conformer aux règles en vigueur tout en y apportant sa touche et résultat son groupe passe pour les idiots du village, les mecs qui ont tout faux. Et là, au milieu d’une grosse dépression, il trouve littéralement en lui-même les réponses à ses questions. En écrivant coup sur coup Today et Disarm, il réalise que la seule chose dont il a envie, c’est d’être lui (la phrase centrale du disque : « can anybody hear me ? I just want to be me »). Alors il fait de Siamese Dream sa déclaration d’indépendance, sa profession de foi, son « c’est comme ça et je vous emmerde ». Avec l’aide de Butch Vig dont la production est parfaitement mise en valeur avec le travail de remasterisation (écoute au casque obligatoire, chaque instrument sonne à la fois distinctement et dans l’ensemble), Corgan créé un disque de fièvre blanche, à la fois lourd et léger, sérieux et délirant, on parle d’un groupe qui s’appelle les Super Citrouilles, il ne faut pas l’oublier. Une mignonne petite pop-song sur le suicide, un délire cucul sur l’indépendance d’esprit, un moment épique sur une enfance difficile, surtout Corgan réveille le mélodiste en lui. Même les moments les plus abrasifs et lourds du disque se sifflotent comme une comptine, la distortion fuzz et robotique (que Muse essaie vainement de recréer depuis, Origin of symmetry n’est au final qu’une tentative de refaire Siamese Dream) est parfaitement équilibrée par les solos mercuriens. Siamese Dream marque aussi la fin de la lucidité du groupe qui part définitivement sur une autre planète comme dans la chanson Rocket : le disque est rempli de petites intros rêveuses, droguées, de breaks hallucinés (Geek USA ou Mayonaise), de paroles qui font plus ressentir quelque chose qu’elles ne le disent. Et étrangement c’est par ce disque touffu que les Smashing Pumpkins vont entrer dans le monde des grands et surtout des gros vendeurs.

Mais tout ça, vous le savez probablement déjà (ou comment admettre que les 3.300 caractères de texte précédents sont inutiles).

Les disques bonus sont eux aussi narratifs. Celui de Gish -qui s’appelle Trippin’ through the stars- semble vouloir montrer un groupe aux multiples possibilités et personnalités mais qui s’affine. Le superbe shoegaze Honeyspider, l’acoustique Jesus is the sun (qui devrait faire taire ceux qui reprochent à Corgan de chanter sa spiritualité, preuve est là qu’il l’a toujours fait) ou encore Pulseczar sont autant de chemins potentiels à suivre et qui auraient pu faire de Gish un bien meilleur disque. Au niveau raretés on se réjouit d’entendre enfin l’excellente version acoustique de Blue qui devait à l’origine figurer sur Pisces Iscariot, la démo de Daydream chantée par Corgan et bon nombre de nouveaux mix de choses connues (Plume, La Dolly Vita ou encore Starla) qui à chaque fois mettent en avant de nouveaux éléments, souvent le jeu de guitare de Corgan d’ailleurs… Les bonus de Siamese Dream eux se concentrent plus sur la création du disque, on débute par des démos brutes pas toujours réussies d’ailleurs (Today, Siamese Dream, STP, Luna) pour arriver à des versions alternatives qui soulignent l’énorme travail de production et d’arrangements du disque (Spaceboy sans violon, Disarm sans guitare, Soma en instrumentale) en passant par des plus ou moins inédits (Apathy’s last kiss, USA, USSR), du live (Quiet) et l’inévitable et irrésistible cover de Never let me down again que les fans connaissent déjà bien. Les livrets contiennent des notes de Corgan himself qui sont souvent cryptiques, parfois éclairantes (en une phrase on comprend que Luna parle de Courtney Love) et les dvd live valent aussi le détour à commencer par la férocité de la prestation de Siamese Dream. Le concert de 1990 lui mérite une analyse visuelle poussée : un groupe chevelu, un James Iha qui secoue la tignasse loin de l’image placide qui lui colle à la peau et un Jimmy Chamberlin qui bouge comme un Sirkis derrière un synthé. Corgan malgré son atroce chemise est déjà un incroyable guitar-hero alors que D’Arcy -plus jeune fille que sexy- est cette présence discrète au milieu de ce groupe qui ne ressemble à aucun autre tant ses membres n’ont l’air d’avoir rien en commun entre eux là où tous les autres groupes dégagent une sorte d’unité naturelle, comme tous ces gangs de potes où tous ont la même allure.

Les mauvaises langues dont nous ne faisons évidemment pas partie aiment à souligner que tout cela nous rappelle pourquoi on a aimé ce groupe. Plus justement, on serait tenté d’écrire que ces rééditions nous montrent que Corgan a peut être enfin trouvé une bonne manière de juxtaposer son passé et son présent car l’excitation de ces rééditions a aussi pour effet de stimuler le fan avant le nouvel album prévu pour mars. Et si ce dernier déçoit tant pis, d’autres réjouissances sont prévues pour 2012.