Iggy & The Stooges – Ready To Die

Selon un vieux cliché, le rock et la jeunesse sont deux utopies qui vont main dans la main. Et pourtant dès la fin des années 70 le rock à papa est aussi devenu une réalité, le temps qu’Elvis devienne obèse et que les Rolling Stones approchent de la quarantaine. Ce n’est pas un hasard si le punk a explosé à ce moment là. Depuis, les nouvelles vagues musicales se sont succédées mais le rock à papa, lui, est resté confortablement souverain. En 2013, les Stones continuent de tourner à guichets fermés. Les Stooges aussi, tiens. On est un peu partagés entre le désir de revoir les vieilles légendes, malgré leur décrépitude, et notre fascination pour ce qui est mort jeune, et donc intouchable. Jusqu’à 2003, les Stooges en tant que groupe appartenaient à cette catégorie d’icônes intemporelles, jeunes pour toujours. Depuis leur reformation, les voilà redevenus simples mortels.

Bien sûr, on trouvera toujours quelqu’un pour dire que ces croulants assurent plus que des gamins 40 ans plus jeunes, ce qui est vrai. Et puis les Stooges, ce n’est pas U2, nous sommes bien d’accord, ou n’importe quel groupe déjà sénile à 30 ans. Mais la perspective de se retrouver à un concert à côté d’un sexagénaire entonnant Gimme Danger à tue-tête n’a rien de très excitant. Le rock n’est pas fait pour rassembler les générations, et encore moins celui des Stooges. Prenons I Wanna Be Your Dog, TV Eye et Search & Destroy: il y a plus de sauvagerie et de fougue juvénile dans ces trois titres que dans les 40 ans de rock qui ont suivi. Les contradictions et les décalages sont nombreux chez ces Stooges ressuscités, et ce Ready To Die en apparence tellement fataliste montre paradoxalement un groupe qui s’accroche à la vie. Imposture ? Nous n’irons pas jusque-là. Par respect.

Si les premiers rugissements de la guitare-tronçonneuse de James Williamson font plaisir à entendre, l’effet s’estompe assez vite. C’est sans doute une autre histoire en live, mais sur disque c’est un peu désespérant. Une petite tuerie incendiaire de 3 minutes succède à une autre petite tuerie incendiaire de 3 minutes, sans relief ni originalité. Et au beau milieu des débats une très vilaine ballade folk, Unfriendly World, qui donne envie de tordre le cou à Iggy Pop. Pour l’essentiel, on repassera si l’on s’attendait à quelques détours menaçants dans la veine de Penetration, pourtant pas un grand titre mais bon sang, quelque chose d’un peu décadent au moins. Non, on se dirige tout droit vers un final classic-rock, Beat That Guy, suivi d’un The Departed en forme d’hommage crépusculaire qui tombe à plat. I can’t feel nothing real nous lâche Iggy, et c’est aussi notre sentiment.

Ça, c’est dit. Les Stooges ont été réactivés pour redonner la trique à une rock star usée et fatiguée de bosser avec des session musicians. Ready To Die est le caprice d’une diva de 66 ans désireuse de poser sa toujours excellente voix sur le son d’un vrai groupe. Depuis une dizaine d’années Iggy Pop, dans sa version rock, ne s’est plus montré qu’en compagnie des frères Asheton. Puis avec Williamson. Une décision à la fois respectueuse de l’oeuvre stoogienne et un brin opportuniste. Le comble, c’est qu’à présent le groupe comptabilise plus d’années d’activité dans sa phase troisième âge que dans sa première étape révolutionnaire.

Le défunt Ron Asheton n’aura eu le temps de participer qu’aux quatre titres de Skull Ring et au très décevant The Weirdness de 2007, qui était tout sauf weird et pas spécialement bien produit par Steve Albini. Ready To Die est un bien meilleur disque, avec de meilleures chansons dans l’ensemble et un son plus tranchant. Mais quelle douce ironie de constater que ces vieux Stooges – qui ne savaient pas vraiment jouer en 1973 – sont maintenant des bestiasses plus que compétentes. We had 40 years to get it right s’est excusé Iggy Pop sur scène il y a peu. Ça tombe mal parce que justement, on n’attendait pas que ce soit pro. Sans demander un fabuleux désastre à la Raw Power, on n’aurait pas craché sur un peu plus de saloperie et de pourriture. Mais on se verra au concert entre vieux, jeunes et moins jeunes. Rock on, papa.