Midlake – Antiphon

L’art doit-il être beau‘? Le nouvel album de Midlake aura fait remonter des souvenirs cocasses du bac de philo et de sa question qui tue (épreuve sanctionnée par un presque fatal 6 sur 20 mais remontée in extremis au repêchage avec tout le brio d’un Didier Deschamps). De l’eau a coulé sous les ponts depuis, et c’est un peu par hasard mais avec davantage de perspicacité que l’on se repose la question aujourd’hui, en y ajoutant une nuance: ‘ est la beauté dans l’art’? Pour qui connaît un tant soit peu le parcours de Midlake, ‘Antiphon‘ est évidemment – prévisiblement a-t-on envie de dire – un disque regorgeant d’évidences mélodiques et d’élégants arrangements, toujours très plaisant à l’oreille, mais dans ce cas tellement lisse et sans aspérités qu’il finit par anesthésier les sens. Le vice de la coquetterie de studio poussé encore plus loin que d’habitude. En cela le groupe ne parvient pas à faire oublier le départ récent du chanteur et songwriter Tim Smith, dont l’éloquence et la personnalité viennent à manquer, ni à redonner un vrai souffle à la musique après un ‘The Courage Of Others‘ déjà léthargique, bien que de façon plus légitime. Après tout, il s’agissait d’un hommage assez réussi à la folk hippie des années 70, à mi-chemin entre la béatitude peace & love californienne et les rêveries pastorales des anglais de Fairport Convention. Dans un souci compréhensible de redéfinir leur identité, les texans jouent ici la carte du renouveau avec une plongée dans le ‘rock psychédélique’, terme que l’on gardera entre guillemets car au final les chansons sentent toujours autant les mocassins à franges, le fromage de chèvre et les promenades champêtres. C’est, dirons-nous, du psychédélisme gentiment ambiancé aux encens et aux bougies tel un magasin Nature Et Découvertes, et à peu près aussi trippant qu’une tasse de thé vert. Un disque bio idéal pour un moment de plénitude karmique, soigneusement produit, bien sous tout rapport. Mais que de ‘land unknown‘, de ‘fields full of gladness‘ et autres platitudes écolo-mystiques. Le guitariste Eric Pulido s’en sort fort bien au chant, d’un point de vue purement esthétique là encore, mais au final son style impersonnel et ses paroles anodines évoquent plus volontiers une sorte de Sting indé en pleine méditation transcendantale que le lyrisme pénétrant de Tim Smith auquel nous étions habitués (et attachés). Inutile bien sûr d’attendre un retour à la pop hirsute des débuts, quelque part entre Sparklehorse et Grandaddy, ou une suite au brillant ‘The Trials Of Van Occupanther‘, mais difficile d’accueillir cette transition vers le bon goût calculé avec enthousiasme. Oui, c’est beau, particulièrement sur la première moitié de l’album (‘Provider‘, ‘The Old And The Young‘, ‘It’s Going Down‘), et on ne peut pas dire que des titres comme ‘Ages‘ ou ‘This Weight‘ soient médiocres dans l’absolu. L’expérience du groupe et la prod’ aux petits oignons de Tony Hoffer font même d »Antiphon‘ le disque le plus apprêté et bien gaulé de Midlake. Mais certainement pas le plus sexy, ni le plus stimulant. En fin de compte, pas besoin d’être philosophe pour discerner une certaine décadence artistique sous le vernis, et une absence gênante de fond sous la forme. On est en quelque sorte devant le meilleur album le plus nul de l’année. Une jolie déception, mais une déception quand même.