The War On Drugs – Lost In The Dream

On dira ce qu’on voudra des années 80 (souvent du mal), mais elles sont dans l’air du temps et plus prisées que jamais. Prenez un groupe ordinaire comme The War On Drugs: il y a encore quelques années ce nouvel album évoquant Dire Straits avec une touche new-wave ou Tom Petty dans un brouillard de vieux synthés aurait provoqué plus d’une grimace. Il y a dix ans, en plein boum de l’americana 2.0, ‘Lost In The Dream‘ aurait très certainement été stylé à la manière d’un disque de Wilco ou My Morning Jacket. En 1994, on aurait eu droit à un hybride grunge-folk tout en guitares rustaudes et sans chichis, à la Neil Young. Pour résumer, le fait que cet album soit encensé en grande partie pour sa production clinquante et ses ressemblances au rock FM du Boss période ‘Born In The USA‘ / ‘Tunnel Of Love‘ sent la tartufferie à plein nez.

Mais sans justifier les vigoureuses accolades de la critique, les américains signent ici leur meilleure heure de musique. Si le son et les arrangements sont éternellement sujets à débat, selon les modes, les influences sont en revanche intemporelles et le frontman Adam Granduciel se montre plutôt bon élève, appliqué à défaut d’être brillant. Et certes bien moins talentueux, inspiré ou original que son ex-acolyte Kurt Vile, parti peu après la formation du groupe en 2008: on n’atteint jamais la classe insolente de ‘Smoke Ring For My Halo‘, ni la personnalité du pourtant très inégal ‘Wakin On A Pretty Daze‘ de l’an dernier, mais des progrès ont été faits. Né d’une dépression et du besoin d’exorciser la douleur d’une séparation, le confessionnel ‘Lost In The Dream‘ fait dans l’épique onirique de bout en bout et s’y emploie avec plus de panache qu’à l’accoutumée, grâce à des chansons nettement plus abouties et un sens du groove souvent contagieux (‘Red Eyes‘ et ‘Burning‘, entre autres). Au rayon des reproches on déplore surtout une tendance un peu lassante à rabâcher encore et toujours la même formule, à savoir une progression de trois ou quatre accords jouée en boucle sur plusieurs minutes, en crescendo jusqu’à plus soif. Un disque un peu trop convenu et conservateur au final, qui malgré ses prétentions alternatives se rapproche à fond de la vieille tradition ouvrière américaine et capture l’esprit du bon blaireau citoyen ayant terminé dignement sa journée à l’usine, et ce malgré ses problèmes. Bruce Springsteen donc, c’est-à-dire Bob Dylan avec une carte de syndiqué, des gros bras et un capital sympathie mais sans fantaisie ni génie, ni rien de très intéressant à dire. Album correct par un groupe assez limité.