Wilco – Alpha Mike Foxtrot: Rare Tracks 1994-2014

Alpha Mike Foxtrot: jargon d’origine militaire signifiant adios motherfucker ou adios my friend.

Wilco se déleste de presque 80 raretés avec ce coffret, comme pour faire table rase du passé. Rien n’indique que de beaux inédits ne viendront pas gracier de futures rééditions mais, pour la première fois, le groupe se permet de vider quelques tiroirs tout en contemplant sa propre histoire. Un parcours somme toute assez fascinant que les non initiés aborderont mieux avec le best of ‘What’s Your 20?‘ sorti en même temps, raccourci opportun pour se familiariser avec l’americana un peu timide de ‘AM‘, la montée en puissance de ‘Being There‘, le virage pop de ‘Summerteeth‘, le chef d’oeuvre ‘Yankee Hotel Foxtrot‘, le cérébral ‘A Ghost Is Born‘ et ainsi de suite jusqu’à la maîtrise implacable mais plus pépère des derniers albums. De leur côté les convertis se dirigeront tout naturellement vers ‘Alpha Mike Foxtrot‘, son sympathique livret et ses quatre disques bourrés de curiosités, de perles méconnues et de petites révélations, ou comment revisiter une oeuvre entière en empruntant les chemins de traverse. Entre faces b et bonus hétéroclites, titres offerts en téléchargement, contributions à des bandes originales de films et autres reprises, versions live ou démos tirées de diverses compilations, le but n’est pas d’assommer le client à coups de merveilles jamais entendues dont personne ne soupçonnait l’existence. Le fan basique a déjà croisé certaines de ces raretés. Un fan obsessif aurait très bien pu compiler amoureusement le tout sur quelques CD-Rs et créer son propre patchwork. C’est ce qui fait le charme de l’objet. Pris individuellement ces enregistrements tombent parfois dans l’anecdotique, d’autant plus que les albums studio sont peu ou prou irréprochables. Mis bout à bout et bien agencés, en revanche, ils documentent en détail l’exceptionnel altruisme du groupe et le talent presque visionnaire de Jeff Tweedy, avec plus d’un émoi à la clé.

AM‘ – ‘Foxtrot’, dans un premier temps. La tradition folk-rock en point de départ, la pop à tendance expérimentale en point de fuite. Les deux pôles de la musique de Wilco sont mis en perspective lentement mais sûrement, sans omettre les hésitations, les imperfections et les tâtonnements ayant permis d’évoluer entre l’un et l’autre. Cet ‘envers du décor’ est particulièrement captivant sur les 40 premiers titres. Du lo-fi acoustique de ‘Childlike And Evergreen‘ ouvrant timidement le premier disque au remix farfelu du classique ‘A Shot In The Arm‘ perpétré par David Kahne (l’oiseau de mauvais augure qui rejeta ensuite ‘Yankee Hotel Foxtrot‘) il y a déjà un monde, d’évidentes convulsions artistiques au sein d’un groupe qui se cherche, se fait plaisir aussi, et l’éclosion progressive d’un grand songwriter dont on ne louera jamais assez la finesse et l’humilité. Son interprétation de ‘Thirteen‘ de Big Star – chanson pourtant reprise plus que de raison – laisse sur le cul. Le temps d’arriver à la version live de ‘At Least That’s What You Said‘ sur le troisième disque, Tweedy livre ce qui est probablement le meilleur solo de guitare noisy du 21ème siècle, émulant et écrabouillant Sonic Youth simultanément, non sans avoir lâché l’une de ses plus belles chutes de studio au préalable (‘Cars Can’t Escape‘) ou défiguré ‘Kamera‘ en plan punk. Cette compilation gargantuesque s’attarde évidemment beaucoup sur la période la plus aventureuse et culte de Wilco, l’enchainement ‘Summerteeth‘ – ‘Yankee Hotel Foxtrot‘ – ‘A Ghost Is Born‘, laissant au final peu de place aux développements plus sereins des trois derniers albums. L’équilibre trouvé en studio comme sur scène avec l’incorporation du virtuose Nels Cline est pourtant palpable, même si l’on ne peut s’empêcher de penser que le line-up très stable et perfectionniste de ‘Sky Blue Sky‘, ‘Wilco (the album)‘ et ‘The Whole Love‘ a le potentiel et presque le devoir de surprendre davantage. Mais en attendant la suite, ‘Alpha Mike Foxtrot‘ n’a pas fini de nous rappeler pourquoi ce groupe mérite toute notre estime. Adios? Jamais de la vie.