Head Automatica – Decadence

Il y a de ces albums qui font voyager, qui prennent par la main et emmènent là où les oreilles n’avaient guère l’habitude de s’aventurer : si tel était le projet d’Head Automatica, alors le pari est gagné. Si il m’est difficile de parler d’eux en tant que groupe, c’est que j’ai tendance à ranger sous ce nom une formation composée de musiciens prêt à évoluer ensemble, à créer sur la durée quelque chose qui les définira et qui grandira avec eux ; or l’album qui tourne sur ma platine en ce moment ne semble pas issu de la même démarche, ce qui n’était pas pour me rassurer. C’est plutôt un projet, l’idée folle d’un accro du décibel et d’un chirurgien du son de s’associer pour voir ce que chacun peut apporter à l’autre dans leur recherche respective du kiff absolu. Les deux psychopathes en question sont Dan the Automator et Daryl Palumbo. Le premier est l’un des producteurs les plus inspirés et éclectiques dispo sur le marché (reconnu pour son travail sur Gorillaz, Eels, The Jon Spencer Blues Explosion, De la Soul, Mike Patton…) et le second, le chanteur de ce formidable groupe emo hardcore qu’est Glassjaw. La coopération peut paraître surprenante, mais attendez un peu d’avoir écouté le résultat. Si vous ne connaissiez pas la dance garage, donnez donc une chance à l’electro sombre et futuriste de ce ‘Tokyo Decadence‘.

Les fans pourront s’amuser à chercher la Glassjaw touch dans cet album mais il n’y a pas grand-chose de la sorte au-delà de la voix et des petits clins d’oeil tel que le titre ‘Everything You Ever Wanted To Know About Straight Edge‘ (rappelant le nom du premier album de Glassjaw, ‘Everything You Ever Wanted To Know About Silence‘), ici pas de HxC qui tienne, fini la frustration et la rage : ce soir on sort les platform boots.

Il est vrai que plus qu’une musique, ‘Tokyo Decadence‘ semble offrir toute une série d’ambiances et d’univers inattendus, à commencer par un voyage à travers New York avec ‘Brooklyn Is Burning‘ et sa pop-funky sortie d’une sitcom 70’s revue et corrigée par un duo de choc qui pour le coup pourrait ressembler à des Starsky et Hutch du troisième millénaire. Le morceau se termine et déjà il faut abandonner la partie de corde à sauter entamer avec une fratrie du coin sous l’eau rafraîchissante des lances à incendie cassées, faire ses adieu au studio 54 et traverser le pays direction l’ouest. ‘Solid Gold Telephone‘ et ‘Zack morris is my hero‘ rappellent un reggae-pop à la No Doubt qui se serait tiré une latte de talents et d’hormones masculins ; décidément nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

C’est en effet pas tous les jours qu’on se retrouve avec un son comme celui là, une oeuvre de musiciens, de mélomanes, de maniaques du son dans ses aspects les plus violents comme dans ses expériences ‘danceflooriques‘.Cette fois-ci, maman pourra pas dire que vous écoutez du bruit… par contre elle risque de vous poser des questions quant à votre vie privée. ‘Tara reid is a whore‘,alors faites la monter à bord de la Dolorean pour un voyage dans les 80’s que l’on était pas sur de vouloir accomplir mais qui s’avère étrangement palpitant. ‘Doc’ the automator pilote tandis que Daryl ‘McFly’ nous emmène dans un Hollywood malsain et excitant, sous les spotlights d’une boite sortie d’un roman de Brett Easton Ellis. Une envoûtante basse apprend à votre corps qu’il existe quelque chose au-delà des frontières du headbang alors que l’ambiance limite new wave se charge du reste. Le morceau se termine et l’embarquement est immédiat pour le soleil du ‘Mu-shu pork empire‘ qui malgré un titre très Glassjaw, flirte plus avec le reggae enfumé et décalé de Sublime qu’avec l’émo survolté des New-Yorkais.

Toutes ses atmosphères parviennent cependant à s’enchaîner de manière cohérente et ne larguent jamais l’auditeur en route, suspendu à la voix d’un Daryl Palumbo aussi à l’aise dans cet exercice funky que dans le cri viscéral. Du piano de ‘Young Hollywood‘ aux sonorités échappées des jeux vidéos de notre enfance dans ‘I shot Andy Warhol‘ , le résultat est toujours une espèce de pop enthousiaste et décontractée, originale et dangereuse, intrigante et entraînante qui ne se prend pour rien d’autre que de la musique, qui ne rêve pas de la gloire offerte par MTV (‘You want a monument erected in your name,When you leave as quickly as you came, You want a place in the history books, But noone has changed history With double talk and dirty looks‘).

La basse infaillible est ici au service d’un groove incroyable, et la 4 cordes prend chez Head Automatica une dimension qu’elle n’a pas souvent l’occasion d’avoir, trop souvent éclipsée par des murs de guitares saturées ; rien de tel dans ‘Tokyo decadence‘ même si le résultat est indiscutablement rock’n’roll. La preuve, Tim Armstrong monte sur le podium aux côté de Palumbo sur ‘Dance Party Plus‘ et la comparaison avec le groupe du même créteux de Rancid, The Transplants devient frappante. L’album progresse tranquillement à travers les genres et il est trop tôt pour zapper la rock’n’roll attitude ; ‘At The speed of a yellow bullet‘ est pour cette raison un morceau excellent, comme la rencontre d’un James Brown sous speed échappé des 70’s perdu dans le son d’un jeune Hardcoreux mélomane à la recherche de créativité et d’innovation. Rebelote avec ‘Negro spiritual‘. Les violons de ‘Sound System‘ effleure un semi trip hop pour 5 minutes d’envol et bientôt l’avion se posera a Tokyo peut être, à Valenciennes, à Paris, où que vous soyez, sûrement.

On ne peut alors que conclure que cet album porte merveilleusement bien son nom ; Tokyo, cette ville qui ne s’arrête jamais et qui ne recule devant aucune fantaisie et expérimentation ; et décadence… Me dites pas que vous aviez déjà bougé votre corps de cette façon ? Donc un disque pour tout ceux qui aiment scratcher avec les vieux vinyles de papa, danser sur des podiums en boîte et baver la tête collée à l’ampli basse du groupe de HxC qui répète dans le garage d’en face. C’est avant tout une histoire de talents qui se rencontrent et qui décident de prendre leur pied en envoyant balader les règles de conduite sectaires qu’on reproche souvent aux mouvements underground pour le seul amour de la musique … C’est beau non ?