The Dresden Dolls – The Dresden Dolls

Imaginez-vous dans un saloon au début du siècle dernier. Une chanteuse en bas résilles s’égosille au piano, accompagnée d’un sosie de Charlie Chaplin à la batterie. The Dresden Dolls, c’est un duo venu de Boston qui joue un cabaret punk brechtien, genre improbable mêlant piano, voix et batterie dans un style très théâtral inspiré de Bertolt Brecht. Bref, une musique écrite et pensée pour faire taper de l’éperon tous les apprentis Lucky Luke du Far West…

Ce duo atypique se compose d’Amanda Palmer (chant, piano) et de Brian Viglione (batterie), deux individus qui se sont rencontrés il y a 4 ans, par un beau soir d’Halloween. Leur musique, tragique et intimiste, ne ressemble à nulle autre : sur ce disque aux ambiances très marquées, la linéarité n’est en effet pas de mise, et l’on passe allègrement de morceaux survoltés (‘Girl Anachronism‘) à des mélodies plus minimalistes (‘The Perfect Fit‘, ‘Slide‘, ‘Truce‘). La chanteuse se dit influencée par Nina Simone et Patti Smith, mais on décèle dans sa voix grave un désespoir et une sensibilité dignes de Bjork. Son chant très expressif oscille entre murmure et hystérie (‘Half Jack‘), et il se fait parfois enfantin comme sur ‘Coin-operated Boy‘, sorte de comptine aux paroles très équivoques. Le piano est la pièce maîtresse de cette musique d’un autre âge, et qu’il soit dansant (‘Missed Me‘), grandiloquent ou étouffant, jamais il ne lasse. Sur cet album, pas de basse, pas de guitare, mais plutôt des instruments aussi démodés que le violon. De quoi dérouter pas mal de monde à la première écoute…

Les paroles sont à l’image du groupe, brutes et déjantées : sur ‘The Jeep Song‘, Amanda la paranoïaque s’imagine ainsi hantée par la Cherokee de son ex, alors que ‘Truce‘ dépeint d’anciens amants en train de négocier un improbable traité de paix ! Une dizaine de contes autobiographiques criants de vérité nous font ainsi entrer dans l’intimité brûlante d’Amanda (n’y voyez aucune allusion de quelque sorte), en traitant de thèmes aussi universels que l’amour, l’enfance, la peur et la souffrance.

Ces poupées venues de Dresde sont donc une véritable bouffée d’air pur dans la musique contemporaine. Avec un genre rétro délicieusement kitsch et ambitieux, le duo américain parvient dépasser le cadre de la musique pour faire vivre à l’auditeur une expérience artistique unique en son genre. Sous ses allures faussement simplistes, ce disque éponyme produit par Martin Brisi (Sonic Youth) se démarque du lot par la structure de ses compositions tout en contraste et par l’interprétation hors normes de sa chanteuse. Malgré l’absence de guitares et la prédominance du piano, l’esprit rock et rebelle est bel et bien présent sur ce disque absolument enivrant.