Il n’était pas spécialement inscrit au programme une chronique du nouvel album de Paul Weller, de même son album n’était pas exactement attendu tel le messie, peu importe l’amour qu’on porte à The Jam. Parce que The Jam, ça déchire sa race. Important de le dire. On aime The Jam. On avoue une lacune sur Style Concil. Faiblesse pardonnable pour ceux qui aiment tellement qu’ils craignent en permanence le moment fatidique où la déception guettera. Après tout pourquoi aller chercher ailleurs que Marquee Moon ?
Mais ce qui se passe lorsqu’on écoute 22 Dreams surpasse presque toutes les émotions connues en écoutant des disques cette année. Parce que ce disque est tout simplement génial. Tellement génial qu’il se permet de démarrer par deux titres justes bien. Sans plus. Déroutants même. Et que Paul Weller enchaîne avec une série de chansons à se damner. D’une beauté divine. Sans nom. On ne l’avait pas spécialement prévu on ressent un besoin quasi viscéral d’écrire sur ce disque. Paradoxal compte tenu de la probabilité énorme de sombrer dans une réflexion de l’ordre de « les mots me manquent ». Tant pis, il faut essayer, on en a saoulé pour moins que ça et personne n’est prié de rester, d’autant que le nouveau Weezer est sorti et que ce profile la bêtise Subways. Dire quoi au juste, et surtout comment ? Comment réussir à exprimer ce qui se passe dans un cerveau, dans un coeur lorsque résonnent les notes de 22 Dreams ?
Overdose émotionnelle ? Sorte de providence ? Deux Ex Machina ? Epiphanie ?
Simplement, on comprend. Tout est clair. On pense à tous les meilleurs songwriters du moment (Jeff Tweedy, Stephen Malkmus, Tim Rogers, Paul Westerberg) et d’hier (Ray Davies, Holland-Dazier-Holland, Bacharach, Hazlewood, Randy Newman) durant ce disque qui en exploite le meilleur. Alors quand 22 Dreams défile, entre balade bouleversante au piano, titres de soul blanche (ce divin ‘Have you made up your mind ?‘), hymnes à chanter le poing levé, instrumentaux jazzy en hommage à Alice Coltrane, même lors de l’énième tentative de Noel Gallagher de recréer les harmonies subliminales « Tomorrow never knows », on écoute totalement pétrifié. Qu’on l’écoute ou qu’on l’entende, la magie opère. Cette voix doucement brisée par l’age, ces arrangements, ces choeurs, tout est d’une beauté indescriptible. Comme lors d’un étouffant après-midi, when the air is damp and warm, qu’un courant d’air traverse la pièce… Pour citer Eels, on sort de 22 Dreams avec une idée fixe : ce monde, cette vie, tout cela n’est pas si dégueu finalement. Doux comme une soirée d’été, intense à la manière d’un amour naissant. A chaque morceau, cette réflexion : ce n’est pas possible, il ne tiendra pas la route. Et pourtant, toutes les chansons semblent se surpasser en beauté (‘Empty ring‘), en qualité d’écriture (‘Cold moments‘), en délicatesse (‘Lullaby für kinder‘).
C’est bien simple, on ne voit presque rien de superflu dans ces 21 chansons, même le poussif ‘God‘ (le titre nul pour faire chier comme dirait un pharmacien bien connu). Le sentiment est qu’on peut vivre des mois dans ce seul disque à la beauté fragile dont le vingt-deuxième est rêve est finalement celui de l’auditeur. Fabuleux.
