Eels ✖︎ A l’étranger

vm5
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9 min. de lecture

C’est un weekend idéal pour un concert de Eels. À une époque de l’année où la ville est normalement inondée de soleil et de filles courtement vêtues, il pleut des cordes sans interruption jour comme nuit et les premières chaleurs ne sont pas au rendez-vous. Le Barça s’est pris un vilain 4-0 à Munich quelques jours plus tôt et vient tout juste de concéder un frustrant match nul à Bilbao. Rien de « Wonderful » ou « Glorious » là-dedans. Du coup on a hâte d’aller se réfugier dans une salle de concert et d’oublier toutes ces disgrâces. L’humeur est maussade aux alentours des bars de l’Avenue Parallel qui viennent de retransmettre la rencontre, et avec ce temps de chien on ne traîne pas trop avant de se diriger vers l’ancien Teatro Arteria (rebaptisé El Barts depuis peu), devant lequel se masse déjà une légion de sosies de Mark Oliver Everett. Des dizaines, peut-être des centaines de bruns à barbe et lunettes. Certains semblent être venus en groupe. Du jamais vu depuis les concerts d’Oasis et les traditionnels gangs de Liam Gallaghers de pacotille.

Comme la plupart des salles de Barcelone, le lieu est accueillant et soigné, spacieux mais pas trop, et l’acoustique est irréprochable. Nicole Atkins assure une très digne première partie seule à la guitare, sa voix chaleureuse accompagnant parfaitement des chansons aux couleurs rétros qui fleurent bon les vieux tubes de Nancy Sinatra et Lee Hazlewood, Patsy Cline ou encore Roy Orbison. Une belle présence sur scène, pas de chichis, et une évidente générosité à l’ouvrage qui lui valent l’approbation d’un public majoritairement barbu, dans les 30-40 ans, plutôt réservé mais attentionné. Pour une première partie au caractère si intime, Nicole Atkins s’en sort vachement bien à l’applaudimètre. On n’a même pas vu la salle se remplir, tout rêveur que l’on était devant cette petite découverte. La capacité de 1000 personnes est largement atteinte. « Oyé, esta super sold out ! » s’étonne un mec.

À 21h03 pétantes, les cinq membres de la version actuelle de Eels déboulent sur scène, tous en survêtement noir Adidas et lunettes de soleil. C’est à la fois vulgaire, grotesque, drôle, et évidemment très cool. Enfoncé sous son béret, E garde le blabla pour plus tard et se lance dans une version explosive et jouissive de « Prizefighter« , enchainée avec un « Kinda Fuzzy » qui, on l’imagine, aura fait se trémousser bien des culs et frisé pas mal de barbes sur cette tournée. Le set démarre sur un ton résolument blues-rock, et l’on sait déjà qu’Everett ne fera pas d’interludes solo à la gratte ou au piano ce soir. La combinaison jogging-piano aurait pourtant eu de la gueule. Mais de toute façon, rien dans « Wonderful, Glorious » – et a fortiori dans le set-up live de cette tournée – n’indique autre chose qu’une envie de ressusciter la notion de Eels en tant que groupe. L’idée de l’uniforme vestimentaire va dans ce sens. Le noir et blanc des survêtements et les lunettes de soleil font inévitablement penser aux Blues Brothers. Les Eels Brothers, en quelque sorte. Entre ça et l’énergie positive qui se dégage de la musique on s’attend à entendre une version de « Everybody Needs Somebody To Love » à tout moment. Fort heureusement, les Eels n’enfoncent pas le clou avec une putasserie de ce genre.

On ne dira pas que les reprises sont les moments les plus forts du concert, mais de justesse. « Oh Well » de Fleetwood Mac est une tuerie pure et simple, tout à fait dans l’esprit vindicatif du nouvel album, et le coolos « Itchycoo Park » des Small Faces avec ses « it’s all so beautiful » fait sourire benoitement l’assistance. Le groupe est carré comme c’est pas permis, bien rodé, pas trop rigide. E tient le public dans le creux de sa main dès les premiers titres, vociférant comme un soulard entre les chansons, sommant un à un les membres du groupe de venir lui faire un câlin. La routine est impeccable, et tout le monde se poile. Ou du moins jusqu’à la scène de « mariage » un peu longuette entre E et son vieil acolyte Jeff « The Chet » Lyster: les deux gugusses s’échangent des vœux sous serment à la « E, jurez-vous bonheur et fidélité à The Chet ? » en plan spoof. Cette petite comédie préméditée ne s’étend pas assez pour briser la continuité du concert mais votre chroniqueur est par nature assez insensible à ce genre de cabotinage extra-musical.

Les highlights ? C’est la grande satisfaction de la soirée: à part les reprises, presque tous les titres de « Wonderful, Glorious » font mouche, à commencer par la chanson-titre, divinement funky et balancée avec un feeling revigorant par nos faux brothers. La setlist est organisée autour des atouts de ces nouvelles chansons et si l’on regrette l’absence de vieux classiques, au-delà du très habile et délicat medley entre « My Beloved Monster » et « Mr E’s Beautiful Blues« , il faut reconnaître que l’accueil un peu tiède du nouvel album contraste avec l’excellente tenue de titres comme « Open My Present » ou « New Alphabet » à côté de tubes comme « Souljacker« . En l’absence de vrais moments d’intimité, c’est la sensible « That Look You Give That Guy » d’ « Hombre Lobo » et l’angoisse exacerbée et noisy de « The Turnaround » qui nous prennent par les sentiments. À côté de moi une nana sans âge, de toute évidence peu familière avec le nouvel album, prend fébrilement son téléphone pour y noter les mots « six bucks in my pocket ». C’est la crise en Espagne, certes.

Au bout d’une heure trente de plaisir non dissimulé E continue de gueuler comme un pilier de bar entre les chansons, insistant lourdement sur son besoin de faire une « siesta », devant l’hilarité générale. Il en fait des tonnes, mais ça marche. Même les blasés dans mon genre ricanent comme des débiles. « I need SIESTA ! Goodbye ! ». Après deux superbes rappels, le groupe quitte la scène, les lumières se rallument et les barbus à lunettes commencent à sortir. Mais un bon moment plus tard, alors que les deux tiers du public sont déjà dehors, les Eels Brothers reviennent sur scène, reprennent leurs instruments et entament un ultime rappel avec « Dog Faced Boy« . C’est un dernier pied-de-nez plutôt malin qui en fera râler plus d’un sur le trottoir ensuite. Et puis les Eels décampent à nouveau, pour de bon cette fois. Hasta la proxima, amigos.

SETLIST :
1. Prizefighter
2. Kinda Fuzzy
3. Open My Present
4. Oh Well (Fleetwood Mac)
5. Tremendous Dynamite
6. That Look You Give That Guy
7. Dirty Girl
8. Peach Blossom
9. The Turnaround
10. On The Ropes
11. Fresh Feeling
12. The Sound Of Fear
13. New Alphabet
14. Go Knuckles !
15. Itchycoo Park (Small Faces)
16. Souljacker
17. Wonderful Glorious

Rappel

18. I’m Your Brave Little Soldier
19. My Beloved Monster/Mr E’s Beautiful Blues « Medley »

Rappel 2 :

20. Fresh Blood

Rappel 3 :

21. Dog Faced Boy
22. GO EELS ! (jam)

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