Pour les fans de Eels, voir son groupe préféré est toujours une expérience surprenante. Les tournées se suivent sans jamais se ressembler. Quatuor à cordes, garage band, big band, blues rock, le groupe se renouvelle sans cesse, au sens propre comme figuré.
An evening with Eels est le petit nom de cette tournée. Mark-Oliver Everett, E, ou Mr E ça dépend des affinités, n’a jamais caché l’aspect autobiographique de son œuvre. Et il semble non seulement l’assumer de plus en plus mais en faire son fond de commerce. Cela dit, le gars a une vie des plus étrange, marquée par le sceau du malheur: toute sa famille est décédée et son histoire est un roman… mais on y reviendra.
En février dernier, Eels lançait sa tournée européenne par une date sold-out au Bataclan, et, un gros mois plus tard, concluait cette même tournée par une date, sold-out encore, à la Cigale. La tournée 2006 était rock, en toute logique, celle-ci se devait d’être calme.
Calme ce-fût. Eels se présente dans sa formation quasi minimale. Mr E accompagné du multi-instrumentaliste The Chet. Oui, The Chet. Guitare, batterie, piano, glockenspiel et scie musicale. Instrumentalisation dépouillée, ambiance chandeliers, musique de chambre. Point de première partie mais une diffusion de l’excellent documentaire narrant la vie de Hugh Everett III, papa de Mr E et génie précurseur en physique quantique (l’homme a élaboré la théorie des mondes parallèles). Pour la petite histoire, notons que le public du Bataclan a magnifiquement ignoré le documentaire quand celui de la Cigale l’a suivi religieusement, avec applaudissements à la fin.
Quelques minutes ensuite, E arrive sur scène, seul, vêtu d’un simple bleu de travail et d’une casquette. « Grace Kelly Blues » pour le Bataclan. Croustillant lorsque l’on sait que ce titre a été composé à Paris, quand Everett vit un clown crevant de chaud dans une rue, un jour d’août. Il s’installe ensuite au piano pour un plus rarissime « Ugly love » de toute beauté. Dit bonsoir et se demande si le public est là car il est le fils d’un célèbre génie des sciences. Et c’est là le secret de la tournée : les incontournables et les titres plus rares du répertoire et une bonne dose d’humour, souvent potache voire à deux balles. C’est ainsi que disséminés sur les deux dates parisiennes, les fans ont pu avoir en dehors des classiques des titres comme le glauque « Elizabeth on the bathroom floor » qui parle de la première tentative de suicide de sa soeur, le poignant « Fucker » à l’origine une lettre que E a mis en musique, « Bus stop boxer », l’antiquité « Strawberry blonde » (une obscure face-b de l’époque où E opérait en solo), « The sound of fear », le superbe «Last time we spoke», « After the operation », « I want to protect you », « Jeannie’s diary » ou « Ps : you rock my world ».
Eels étonne toujours, notamment lorsque Mr E entame une version ralentie du furieux « Souljacker part 1 » tout en poussant des cris de possédé ou lorsque l’agonisant « I’m going to stop pretending that I didn’t break your heart » (ouf) est effectué au piano…
Le public du Bataclan est aux anges et applaudit à tout rompre dès que E entame une chanson avant de sombrer dans une écoute quasi religieuse, créant ainsi un moment d’intimité fort prenant. Le sac d’os barbu est là et chaque membre du public partage le même sentiment : il ne chante que pour moi. Et tant mieux si les chansons ne sonnent pas comme le disque: aucun intérêt d’aller à un concert où un disque sera recréé à la note près…
Des interludes sont prévus. E lit des lettres de fans qu’on imagine fausses mais qui sont hilarantes. Il en profite pour faire la petite promo de son autobiographie, le très recommandable Things the Grandchildren should know. The Chet en lit quelques extraits avec humour et mimes, un spectateur vient traduire un passage mais se fait vanner par E à longueur de temps…
Mais là où cet intermède prend tout son sens, c’est lorsque The Chet lit un passage racontant le retour de E de l’enterrement de sa sœur (c’est fun un concert de Eels, non ?): sa concierge, qui ignore la raison de son voyage, lui confie avoir vu un fantôme de femme entrer dans sa chambre… Et c’est « Last Stop This Town » qui commence. En effet, c’est l’anecdote contée juste avant qui a inspiré la chanson, peut être la plus belle du groupe.
De superbes interprétations de « I like birds » repris en chœur par le public, « My beloved monster » (Shrek oblige) et « Novocaine for the soul » est comme d’habitude quasi méconnaissable en live. Mais le grand moment du concert est le très Danny Elfman « Flyswatter ». E au piano, The Chet à la batterie. Mais là où le titre devrait s’arrêter, The Chet continue le beat. E se lève, s’approche de la batterie, et sans jamais perdre le rythme prend la place de The Chet à la batterie et se livre à un impressionnant solo à la Keith Moon avant de rendre sa place, encore une fois sans perdre le rythme. Excellent et ovationné par le public.
L’émotion est souvent palpable dans la salle lors des titres les plus calmes: le très beau « I need some sleep » transporte la Cigale là où « Dirty girl » l’avait fait pour le Bataclan. Le plus beau moment est probablement « Bus stop boxer ». E est au piano, tapote doucement l’arpège des couplets avant d‘écraser avec de plus en plus de violence les accords du refrain, faisant ainsi monter la tension dramatique du titre qui est inspiré de l’enfance d’un technicien studio du groupe.
Les surprises ne sont pas finies puisque The Chet se lance dans une interprétation convaincante de « Good times, bad times » alors que E fait son Bonham derrière. « Somebody loves you » et « Souljacker part2 » plus tard et les deux quittent la salle.
A la bataille de rappels, c’est le Bataclan qui l’emporte : deux reprises « Can’t help falling in love » et « Girl from the north country », totalement réappropriées, et ensuite « PS : you rock my world », la clef de voûte du catalogue de Eels, celle où il dit qu’après tous les malheurs « it’s time to live ».
Vivant car heureux, c’est le sentiment de tous les spectateurs. Malgré le halo de déprime qui entoure les albums de Eels, le groupe parvient à transcender ses concerts en célébration de la vie et c’est sourire aux lèvres qu’on assiste à un phénomène uniquement Eels-ien (en tout cas de mémoire, c’est la troisième fois que je vois le groupe, trois fois que cela se produit, je ne l’ai jamais vu ailleurs) : les spectateurs refusent de quitter la salle, aussi bien au Bataclan qu’à la Cigale, un bon quart d’heure de standing ovation, les lumières allumées, que seuls les gros bras écervelés de la sécurité (ah le courage d’être caché derrière un écran…) parviendront à endiguer, faisant sortir quasi manu-militari certains fans.
Dans l’absolu le concert du Bataclan était peut être plus réussi là où celui de la Cigale sentait un peu la fin de tournée : moins d’interventions rigolotes de Mr E, moins de lectures, mais toujours, et finalement il n’y a que cela qui importe, une grande émotion et un bonheur incomparable grâce à ces chansons, à la fois dures et douces, déprimées mais jamais déprimantes.
Set list Bataclan :
Grace Kelly Blues
Ugly Love
Lecture de lettres de fans
Strawberry Blonde
Dirty Girl
Fucker
Souljacker Pt.I
Elizabeth On The Bathroom Floor
Flower
My Beloved Monster
I Like Birds
Lecture d’extraits du livre
Jeannie’s Diary
In The Yard, Behind The Church
Lecture d’extraits du livre
Last Stop: This Town
I Want To Protect You
I’m Going To Stop Pretending That I Didn’t Break Your Heart
Flyswatter
Bus Stop Boxer
Novocaine For The Soul
Good Times, Bad Times [Led Zeppelin]Somebody Loves You
Souljacker Pt.II
Girl From The North Country [Bob Dylan]I Can’t Help Falling In Love With You [Elvis Presley]
P.S. You Rock My World
Set list Cigale:
A Magic World
It’s a Motherfucker
Strawberry blonde
Last Time We Spoke
After the operation
Souljacker part I
Elisabeth on the bathroom floor
Climbing To The Moon
My beloved monster
I like birds
Lecture d’extraits du livre
I Need Some Sleep
The sound of fear
Lecture d’extraits du livre
Last stop : This town
I want to protect you
Flyswatter
Bus stop boxer
Novocaine for the soul
Good times, bad times
Somebody loves you
Souljacker part II
I’m going to stop pretending that I didn’t break your heart
Blinking Lights
