Interview ☭ Be My Weapon

« Nirvana a un succès phénoménal en ce moment, et Pavement sera le prochain; mais le suivant pourrait bien être Swell ». Ces prophéties de l’illustre John Peel ne se sont pas réalisées mais les californiens de Swell ont continué à briller tout au long des années 90 et au-delà, pas toujours à l’abri des coups de pute de labels lancés tête baissée dans la ruée vers l’or, à la recherche du next Nirvana. Le label American Recordings de Rick Rubin bloqua notoirement la sortie de « Too Many Days Without Thinking », album jugé pas assez commercial à l’époque. Et désormais culte, évidemment.

Culte, c’est bien l’un des mots qui vient à l’esprit pour définir le parcours et la musique de David Freel, songwriter unique en son genre, slacker en puissance bien de son temps devenu homme discret, marginal, éloigné du cirque du show-business, mais toujours aussi inspiré. Le personnage reste fermement attaché à ses idéaux, à sa vision artistique et à son label PsychoSpecific sur lequel vient de sortir « ¡¡Greasy!! » (Mollusc Records pour l’Europe), deuxième album de son nouveau projet Be My Weapon. Petit échange et mises au point avec un héros et survivant de la grande génération lo-fi des années 90.

J’ai hélas loupé ton concert la dernière fois que tu es passé à Barcelone. Peut-on espérer une tournée européenne d’ici peu?
David Freel: Moi j’espère. Pourquoi pas toi ?

Revenons loin en arrière. J’ai lu des histoires un peu énigmatiques sur la « genèse » de Swell à la fin des années 80 où il est question d’une longue odyssée en Espagne et de concerts improvisés, souvent dans la rue. Quel était le but de ce voyage? Est-ce que cela a contribué à façonner le groupe ou ton style musical?
Sean, qui avait joué de la batterie sur le premier album de Swell, était prof d’anglais en Espagne à l’époque. Printemps 1990. Et donc mon ami Mark et moi sommes partis le rejoindre là-bas avec l’intention précise de passer quelques mois à jouer comme des musiciens ambulants un peu partout en Europe. C’est ce qu’on a fait, et cela semble avoir fait de nous un groupe eurocentrique puisque nos premiers tourneurs et labels étaient en Europe.

Tu as toujours eu un public fidèle en Europe, et pas mal de fans français. Certains de tes disques ont même été distribués par un label français (Talitres). Quel est ton meilleur souvenir de la France?
Un sacré souvenir de la France c’est quand on est descendus du van pendant une tournée pour prendre le TGV de Lyon à Lille (si mes souvenirs sont bons), on a rencontré un représentant en vins et spiritueux dans le train et bu du vin à l’œil pendant tout le chemin.

Et le pire?… Je me souviens que tu étais à Paris la nuit où la France a gagné le Mondial de foot et que tu n’as pas pu fermer l’œil de la nuit… Bon, on te le promet, ça ne risque pas de se reproduire!
Je n’ai jamais apprécié les « gardes de sécurité » qui trainent aux stations de péage sur les autoroutes. Ils peuvent vraiment ne pas être fun du tout.

Parlons de ta musique. Tu faisais du lo-fi longtemps avant que le terme ne soit à la mode dans les années 90 et ne devienne un mouvement musical. En tant que pionnier, le mot lo-fi a-t-il de l’importance pour toi? Est-ce que tu l’utiliserais pour décrire ta musique comme l’ont fait les gens et les médias?
Lo-fi ne veut pas seulement dire « low fidelity », ça veut aussi dire « low finance ». On avait très peu d’argent donc on se débrouillait pour enregistrer avec le matériel qu’on pouvait se payer. Quoique, pour te dire la vérité, quelque soit le prix et la qualité du matériel mes enregistrements finissent toujours par sonner lo-fi. Je dois aimer ça.

On remarque que tes disques, même les plus anciens, ont bien vieilli par rapport à pas mal de rock alternatif grungy et torturé en vogue à l’époque. Swell a toujours été un groupe plus subtil et décontracté. Certains albums comme « For All The Beautiful People » ont ensuite bénéficié de productions plus sophistiquées mais le son est resté affûté, sec, intemporel. Est-ce que tu as consciemment toujours évité de renier tes origines lo-fi ou est-ce qu’il y a des albums que tu aurais aimé enregistrer ou produire différemment?
Il n’y a pas d’albums ou de chansons que j’aurais aimé produire plus. En revanche, j’aimerais que certaines chansons soient moins produites (je ne vais pas les citer).

Quel est ton album préféré dans ta propre discographie? Et celui que tu aimes le moins, pour une raison ou une autre? Est-ce que ton opinion sur certains d’entre eux a changé avec le temps?
Je préfère toujours le dernier, au moins pendant la première année après sa sortie et ensuite c’est celui que je déteste le plus pendant les cinq ans qui suivent. Puis je l’aime à nouveau. Ils vont et viennent dans mon estime. Certaines chansons sont pour moi les pires sur certains albums et puis je reçois des lettres de gens qui disent que CETTE CHANSON, celle que je n’aime pas, est leur préférée de l’album. En fait, ce que j’essaie de dire c’est que je suis la pire personne pour juger une de mes chansons ou un de mes albums parce que ces chansons/albums se mélangent à des situations particulières ou des émotions qui n’ont rien à voir avec la vraie nature de ces chansons/albums – capiche?

Depuis l’album « South Of The Rain And Snow » de 2007 tes chansons semblent plus personnelles et intimes que jamais. « Wendell Davis » est un disque particulièrement poignant. « ¡¡Greasy!! » est plus noisy et grinçant mais a le même genre d’impact émotionnel. Tout cela est très urgent par moments. Comment expliques-tu cette évolution dans ton songwriting?
Je ne peux pas l’expliquer.

Il y a deux ou trois ans tu m’avais dit qu’un nouvel album était en travaux mais que tu ne savais pas encore s’il sortirait sous le nom de Swell ou Be My Weapon. C’est une décision que tu prends suivant la direction que prend la musique? Est-ce que tu comptes continuer à utiliser tes trois alias à l’avenir (Swell, Be My Weapon et Wendell Davis)?
Ouais, ça dépend du son ou de l’intention derrière le disque. Et de l’instrumentation. Wendell Davis est plus folk, Be My Weapon peut être n’importe quoi. Swell est à la retraite.

Beaucoup de groupes et de line-ups classiques se reforment ces temps-ci. Est-ce que retravailler avec Monte Vallier et Sean Kirkpatrick est une possibilité?
Ce serait vraiment difficile de travailler avec eux à nouveau. C’était déjà assez dur à l’époque et maintenant ça semble impossible… Pour être clair, dans le travail c’était probablement moi le plus difficile. Donc ces mecs ont toute ma compassion (mais pas mon amour).

« ¡¡Greasy!! » est vraiment surprenant à première écoute, riche en détails soniques et en beaux moments bizarres, et très séduisant au final. On dirait que tu t’es amusé à l’enregistrer et à jouer avec de nouvelles idées? Ou était-ce un album compliqué à terminer à cause des multiples détours de la musique? Savais-tu dès le départ que tu étais en train de composer une drôle de bête ?
La difficulté était de trouver 10 chansons qui fonctionnaient ensemble et partaient naturellement dans la même direction – j’ai écrit et enregistré au moins 30 chansons pendant cette période. Ça a été fun de sculpter l’album, j’avais une idée très précise en tête depuis le début et ça m’a pris un moment pour m’en approcher (non, je ne te dirais pas quelle est cette idée, juste que c’est très simple à expliquer et très dur à faire).

Est-ce que cet album marque le début d’une nouvelle phase dans ta créativité ou tes méthodes de travail après les sorties plus mesurées et calmes des dernières années? As-tu travaillé sur d’autres choses?
Probablement. Oui. Mais j’écris aussi toujours des chansons simples sur la guitare acoustique. Et j’espère d’ailleurs les rassembler sur « Wendell Davis II ».

Depuis les années 80 tu as fait le tour de l’industrie du disque. Tu as d’abord fondé ton propre label PsychoSpecific, Swell a ensuite été signé par Rick Rubin, puis Beggars Banquet, et enfin retour au contrôle artistique avec PsychoSpecific. Sauf que les fans peuvent dorénavant trouver ta musique en ligne et tu en as d’ailleurs profité pour offrir un tas d’albums en téléchargement, vieux et récents. Est-ce que cela a eu un effet sur ta manière d’écrire et de faire de la musique? Ou de penser à la musique?
Ça n’a pas vraiment d’effet sur quoi que ce soit. Je dirais qu’il y a plus de liberté maintenant que le monde, la scène et l’industrie de la musique sont complètement fragmentés. C’est comme pour les chaînes câblées, tu peux trouver quelque chose de différent bien plus facilement de nos jours.

Allez, deux questions un peu clichées pour la route. Quel album t’a donné envie de prendre une guitare et de jouer dans un groupe ?
« The Snow Goose » de Camel.

Y’a-t-il des groupes actuels que tu aimes et que tu voudrais recommander?
Nah.

Un « nah » définitif et pas faux-cul qui résume bien le flegme attachant et l’attitude quelque peu désabusée de David Freel. On sourit encore en pensant à sa réponse laconique en amont de cette interview : « yes, send me some questions, I will try to answer them« . De la part de VisualMusic: merci d’avoir essayé, David.