Interview ☭ Aston Villa

Dans une scène rock francophone qui ne semble vivre que par à-coups au rythme des nouveaux phénomènes du mois lancés par les Inrocks, Télérama, Le Mouv’ ou Oüi Fm (entre autres), Aston Villa fait figure de métronome. Quand nombre de jeunes groupes se révèlent rapidement n’être que des feux de paille aussi retentissants qu’éphémères, Aston Villa suit son chemin depuis bientôt 15 ans, suivi par un public fidèle, sans s’être laissé brûler les ailes par l’inattendu succès du titre « Raisonne » sur leur Live Acoustique. Entretien avec Fred, le chanteur, au moment ou le groupe sort un CD Live accompagné d’un DVD relatant leur tournée en Indonésie.

La sortie de ce CD/DVD Live intervient 2 ans après la tournée de l’album De jour comme de nuit. Que s’est il passé ces 2 dernières années ?
Fred: On a continué à tourner, mais on a surtout travaillé sur cet objet qui aurait dû sortir dans la foulée de De jour comme de nuit. Ça s’est pas passé comme on l’aurait voulu avec notre maison de disque, donc ça a pris du temps. On est pas resté sans rien faire : on a écrit des chansons, et on a fait ce CD / DVD avec nos propres moyens, aussi bien le son que l’image, ou même la réalisation du DVD. On l’a fait tout seul.

Au début du DVD, il y a des images du Concert Sauvage que vous avez fait. Quels souvenir as-tu de ce concert ? (ndr : Concerts Sauvages était une émission sur France 4 dont le concept était de faire un concert dans un lieu public très connu. Pour Aston Villa, ce fut sur le parvis du Trocadéro, face à la Tour Eiffel)
Fred: Il faisait très froid et j’ai chanté comme une patate ! Ce n’est pas un bon souvenir artistiquement, mais je parle juste pour moi, c’était une catastrophe totale. Par contre le lieu était magique, l’idée était géniale, si c’était à refaire, ce serait quand ils veulent. Je ferais attention à mieux chanter (Rires)

Parlons un peu du voyage en Indonésie. Dans le DVD, on t’entend faire la réflexion « On était venu pour voir de l’exotisme, au final c’est nous qui sommes exotiques ». Etiez-vous perturbé par le regard des gens ?
Fred: Oui, parce que c’était un beau regard. C’était assez inattendu de voir un tel engouement, une telle curiosité à notre égard. On ne s’imagine pas qu’un petit groupe de rock français arrive là bas et joue les stars. On a été super surpris. En Indonésie, ils n’ont pas l’habitude d’être visités par des artistes français ou même européens, ce qui fait que les salles étaient pleines non pas d’expatriés mais de locaux. Il n’y avait aucune barrière de langage, seule l’émotion primait, l’énergie qu’on se renvoyait mutuellement. Dès le premier concert à Hanoi, on a pris une claque monumentale. On sentait qu’on allait vivre un grand moment.

Pour les concerts à Surabaya, on voit une commission de censure, un concert plus ou moins organisé par l’armée…
Fred (me coupant): Pas organisé par l’armée, mais je vois ce que tu veux dire. Ça nous a vachement choqué d’ailleurs. C’était un concert gratuit sur la grande place de Surabaya, il y a eu 8000 personnes qui sont arrivées. On voit s’installer d’un seul coup tous ces militaires qui se placent devant nous, avec le public derrière. Il est hors de question que ça se passe comme ça, on leur explique gentiment que normalement c’est le public qui doit être devant. On ne va pas jouer pas devant des militaires. Ça s’est très bien passé, parce que le dialogue s’est fait très facilement, qu’on a expliqué les choses clairement, c’était… fluide. Le truc qui nous a bluffés, c’est quand on a terminé le concert, tu prends le temps de te détendre, de t’essuyer, tu ressors 20 minutes après pour prendre l’air ou rencontrer des gens, et tu t’aperçois qu’il n’y a plus personne. En 20 minutes, les 8000 personnes étaient reparties dans la ville, c’était monstrueux, absolument génial. En plus, on nous avait prévenus que les indonésiens n’avaient pas l’habitude de manifester leur joie ou d’applaudir lors des concerts, ce que pourtant ils ont fait à chaque concert. On a vécu un moment particulier.

J’avais vu un documentaire sur la tournée de FFF en Indonésie peu avant la chute du dictateur Suharto, et le bassiste Niktus disait ceci: « Dans un pays où la liberté ou la démocratie n’est pas assurée, l’artiste a un statut ambigu qui peut basculer vers une forme de contre pouvoir« . Que t’inspire cette réflexion ?
Fred: On aurait pu s’attendre à ça vu qu’on ne savait pas du tout comment ça allait se passer, ni la situation dans laquelle on allait se trouver face aux organisateurs, aux hommes politiques locaux, à l’administration indonésienne. Nous faisions un concert gratuit sur la place publique pour les gens de la ville, ce n’est pas la même démarche qu’un concert dans une ambassade. On est donc loin de ce que tu évoques par cette citation. On est vraiment dans le partage, on est dans une politique d’offrir à la ville un concert d’un groupe étranger. On a même rencontré le maire de Surabaya qui bizarrement est jumelé avec la ville de Marseille. Venant moi même de Marseille, il était ravi de nous rencontrer ! Il n’y a eu aucune tension, c’en était même déstabilisant, parce qu’on s’attendait à quelque chose de plus conflictuel peut-être. Là, c’était vraiment la rencontre entre 2 cultures, tout simplement. (Après un petit silence) On a su par l’Alliance Française que d’autres artistes, à qui il avait été proposé de venir là-bas, avaient refusé par peur. Mais l’appréhension qu’on pourrait avoir – c’est le plus grand pays musulman au monde – s’efface quand on voit que ce ne sont que des couleurs et des sourires. J’invite chacun à aller en Indonésie, pour aller voir comment se vit l’Islam là-bas. Cela n’a rien a voir avec la vision violente propre à l’extrémisme, et je suis ravi d’avoir rapporté ces images, de voir qu’à Bandung sur le campus universitaire, les filles qui étaient devant, ce sont celles qui sont voilées, qui lèvent les mains, qui ont un string, qui ont des talons, qui sont souriantes, qui viennent te demander des autographes, qui t’embrassent !

Dans le DVD, on voit aussi une version lo-fi de la chanson « Prière » dans la salle de réception d’un hôtel… C’est comme ça que vous payiez les hôtels ?
Fred: (Rires) Non, c’est un délire. On était dans un hôtel paradisiaque à Surabaya, on avait fini de dîner, il n’y avait plus grand monde dans la salle. On a décidé de se faire un petit plaisir, on a demandé si pouvait prendre leurs instruments complètement faux, désaccordés et brinquebalants pour jouer un petit truc. On a été reçu comme des rois là-bas. L’Alliance Française nous connaissait déjà un peu vu qu’on avait tourné en Amérique centrale 3 ans auparavant. Au Costa Rica, Salvador, c’était une toute autre ambiance. C’était bien plus tendu, d’ailleurs.

Outre le DVD, il y a également un CD Live, avec une playlist qui couvre les 4 albums studio. Parmi les morceaux choisis, on note une version électrique de « Raisonne« . Ça faisait longtemps !
Fred: Oui, exactement ! D’abord, il fallait qu’on se surprenne un petit peu et qu’on propose une version inédite de cette chanson qui est incontournable pour le groupe. On est revenu à la version électrique de 1996, façon Aston Villa 2008. Ça m’a plu, parce que c’est pas évident de d’avoir un vrai plaisir à chanter la même chanson depuis 15 ans.

Il y a une chanson inédite sur le DVD qu’on ne retrouve pas sur le CD. Pourquoi ?
Fred: Parce qu’on avait juste un soir pour enregistrer ce Live. Ce titre, on le rate sur scène, on ne le garde pas, comme certains autres titres. On a pas eu les moyens de prendre plusieurs dates, d’enregistrer plusieurs soirs pour avoir x versions du set. On avait le jour du concert plus la veille, ce n’était pas les moyens à l’américaine.

Aston Villa fait aussi pas mal de reprises, comme « J’aime regarder les filles » de Coutin ou « All Apologies » de Nirvana. Quel plaisir vous prenez dans cet exercice ?
Fred: Quand j’ai commencé la musique, je n’avais jamais fait de reprises. Je ne connais aucune chanson pour faire un jam avec des potes, aucun texte d’aucun standard. C’était un choix dès le départ. Je m’étais dit que je ne ferais que ma musique. C’est débile, c’est comme ça. Puis finalement, je me dis il y a 5-6 ans que je devrais apprendre quelques chansons, histoire au moins de pouvoir jouer pendant une soirée avec des potes. « All apologies« , j’avais envie de la jouer à la guitare, ce que je ne peux pas faire a cause de mon handicap au bras. J’avais entendu sur un disque de Sinnead O’Connor une version de cette chanson là juste avec une corde à la guitare, et j’ai eu envie de la faire moi aussi. De là nous est venue l’envie de faire des reprises, et par exemple sur la tournée actuelle, on a repris « Sorry Angel » de Serge Gainsbourg, qui est proche de celle de Franz Ferdinand. On a repris aussi du Arno, du Police

Il y a « Hurt » de Nine Inch Nails aussi.
Fred: C’est la version de Johnny Cash. En 1994, quand le premier album d’Aston Villa sort, The downward spiral est un album de chevet pour nous. Nine Inch Nails a toujours été une référence au niveau du songwriting. Et quand Johnny Cash sort son album The man comes around, là c’est la claque. L’interprétation est sublime. C’est en voyant le clip de « Hurt » que j’ai eu le frisson. C’est une rétrospective sur sa carrière, où tu vois sa femme qui lui a inspiré le tube qui fait qu’il est devenu ce qu’il est devenu. Sa femme est décédée 2 ans avant cet album, donc il lui rend hommage à travers cette chanson et ce clip, avant de mourir à son tour 6 mois après. Ça donne la chair de poule. Sans oublier la production de Rick Rubin qui est monstrueuse.

Je finirais par une question qui en amène une autre : est-ce que lorsque tu as débuté dans Aston Villa, tu pensais que le 7 juillet 2008 tu jouerais encore dans Aston Villa ? Et la question corollaire : qu’as-tu fait le 7 juillet dernier ?
Fred: J’ai emmené mon chien chez le vétérinaire… (Rires) Non, mais je n’ai rien fait spécial. C’est une question qui revenait souvent, « qu’est ce que vous allez faire le 7 juillet 2008 ? » ! Mais pour revenir au fond de la de la question, quand on a écrit « L’âge d’or« , j’avais envie que la chanson commence par une date. J’ai trouvé l’idée dans une biographie de Victor Hugo: sa première pièce de théâtre commence par une date, et l’idée m’a plu. On voulait proposer une date, mais pas dans un avenir lointain. On a écrit cette chanson en 1998, donc se projeter 10 ans après, c’est un avenir à court terme. Qu’est-ce que c’est passé vite ! (Rires) Maintenant, vu la situation dans laquelle est la France et le monde, « Je rêve l’age d’or / Un poste, une place« , c’est quand même gravement d’actualité.

Justement, tu ne songes pas à changer la date, maintenant qu’elle est passée ? Vu le contexte actuel, on ne peut pas vraiment dire que ce soit l’âge d’or…
Fred: C’est vrai. On peut se dire aussi qu’à l’heure où le chômage explose, la chanson est visionnaire, ça correspond complètement. Mais c’est une très bonne idée d’essayer de changer la date, ça pourrait être super fun. Je n’aimais pas 2008, mais 2008 nous aime plus en cette fin d’année, avec l’élection d’Obama qui a suscité un engouement, qui a fait verser des larmes de joie. J’espère que ce n’est pas juste symbolique et qu’il va vraiment se passer quelque chose. En tous cas, je lui dédie une chanson à chaque concert. Ça s’appelle « Un homme bien« .

Merci à [team]Virginie[/team], à Lara d’Ivox et à Lionel pour avoir organisé cette interview.