PJ Harvey – Let England Shake

Ce qui est jouissif, dans la chronique que vous allez lire, c’est que son auteur est un total néophyte de Polly Jean. Deux ou trois skeuds écoutés en furtif, quelques morceaux live choppés sur le net à force d’avoir des copains fans, ça fait pas de moi un grand connaisseur du cas PJ. C’est à peine suffisant pour savoir que, depuis quelques années, l’anglaise a troqué ses riffs de blues féminin crado pour une robe de communiante folk qui n’emballe pas du tout la libido pourtant bien verte d’un public rock en peine d’icônes crédibles. Fin d’années 2000, tu pues.

PJ Harvey a donc basculé, c’est trop tard, ne rappelez plus, pas la peine d’espérer une bardée d’accords bien gras. Bon, plutôt que de partir sur ce constat catastrophé et de descendre d’une traite Let England Shake pour homicide d’identité rock avec préméditation, pourquoi ne pas prendre ce disque pour ce qu’il est : la musique de PJ Harvey au présent ? Juste un disque, comme un autre, fruit d’un drôle de chemin mais avec assez de gueule pour pas être l’oubli du mois.

Let England Shake a la couleur de sa pochette : pop en noir et blanc un peu névrosée. Peut-être que la fille bien rangée comme il faut stocke sagement les frustrations jusqu’à explosion. Ca ne sera pas pour tout de suite : les pianos mi-figue mi-raisin et les guitares sèches de White Chalk hantent toujours les morceaux. Hanging The Wire, On Battleship Hill ou England sentent la terre mouillée et le foin : ça se traîne et ça passerait pour la BO de Braveheart si la voix de Polly Jean n’allait pas chercher bien profond dans la poitrine à certains moments de pure grâce. Let England Shake est heureusement bâti avec une petite tension qui rend la majorité des morceaux sautillants. La chevauchée de The Glorious Land, avec son sample énervant de trompette de cavalerie, répond à la folk emballée de Bitter Branches. Quand ce n’est pas la batterie qui tient toute la chanson par les parties génitales, c’est un soupçon de distorsion dans les guitares qui ravive la flamme.

Au milieu de cette fresque campagnarde et rétro (The Last Living Rose, c’est un peu le mort-vivant des sixties), il y a quand même du bon. Surtout ce titre perdu, In The Dark Places, qui rappelle PJ Harvey à ce qu’elle peut faire de mieux maintenant : des hymnes pop interminables mais franchement beaux. On dirait que le refrain veut courir à travers tout le disque pour lui souffler un bon coup dans les bronches, alors que les voix se multiplient pour former une chorale céleste. Et avec cette idée en tête, on arrive à se dire que Let England Shake, finalement, c’est pas trop mal. C’est peut-être la fin d’une époque laborieuse pour aboutir à une révélation. C’est peut-être juste un test, pour voir. Et puis c’est peut-être juste une déception.

Moi j’ai choisi : ça sera un album sympathique, habité, racé, mais encore trop transparent.