Jim James – Regions of Light and Sound of God

Sur le papier, le titre du nouvel album de Jim James n’est pas des plus emballants. Les quêtes spirituelles de toute sorte ont beau s’imposer comme de grandes sources d’inspiration, elles ne conduisent pas toujours à de très bons disques. Ou du moins pas plus que d’autres sujets de chansons hors du domaine de l’extase mystique comme par exemple s’ennuyer à la campagne, prendre des cuites ou se faire larguer. Ajoutons à cela certains risques: méditations prétentieuses, messages subliminaux foireux, références bibliques téléphonées… Grâce à Dieu ce n’est pas le cas ici. Regions of Light and Sound of God est bel et bien un disque cérébral, plein d’esprit et de questions existentielles, mais la lourdeur du titre n’annonce heureusement pas un voyage religieux ampoulé et barbant. On peut d’ailleurs en faire une lecture assez libre.

Tout commence par un State Of The Art dense et contrôlé, captivant et expertement développé qui part de trois fois rien, un petit riff tout simple au piano. Le morceau prend de sacrées proportions mais s’achève à peine cinq minutes plus tard, juste au point de rupture où un beau crescendo peut par mégarde basculer dans l’hymne à rallonge. I really mean it: the power is going out!, et puis plus rien. Cette fois-ci Jim James s’abstient, ce qui n’est pas toujours le cas chez ce songwriter aventureux capable d’étirer et de triturer une idée basique jusqu’à l’infini. Quinze ans après The Tennesse Fire on reste assez impressionné par le talent brut de ce chanteur barbu à la drôle de dégaine, ce fin mélodiste reconnu pour les caméléonismes de son groupe My Morning Jacket: country-soul un jour, shoegaze le lendemain, prog-pop le surlendemain, même s’il a parfois tendance à court-circuiter la cohérence et la bonne tenue de ses albums avec de surprenantes décisions. Hélas, on ne dira pas que cet album fait exception, et c’est d’autant plus regrettable que Regions of Light and Sound of God montre une retenue et une sobriété inhabituelles.

Les effluves funk et soul de State Of The Art (A.E.I.O.U) se font encore plus intenses sur un Know ‘Til Now langoureux et long en bouche. Un peu plus tard, Of The Mother Again et surtout Actress culminent avec brio cette approche musicale. James parvient encore une fois à puiser dans l’essence d’un style sans se laisser aller à des singeries bas de gamme. On l’avait déjà remarqué lors de ses nombreuses relectures du répertoire de Neil Young et on ne change pas d’avis: le mec a du goût, une vision bien à lui et une belle ambition. Dans l’ensemble l’album renoue avec les tendances art-pop des dernières sorties de MMJ, sans les guitares parfois rugueuses du groupe.

C’est en partie pour cette raison qu’on ne pige pas la parenthèse folk en plein milieu de Regions qui donne l’impression d’une régression vers un default mode pour James: A New Life est un très joli hommage à George Harrison mais reste étrangement déconnecté de tout ce qui précède en terme d’ambition et de style, tandis que le tout aussi esthétique instrumental Exploding n’apporte rien à l’ensemble si ce n’est une baisse de tension au moment précis où l’on attend que l’auteur donne du mordant et une ligne directrice plus évidente à ce premier album solo. Pour ne rien arranger le final est un peu laborieux même si l’on distingue toujours de solides lignes mélodiques, et c’est dans ces derniers mètres qu’on sent Jim James un peu éreinté. Il est considérablement moins en voix qu’à l’accoutumée et étrangement distant. On ne sait pas si le manque d’emphase dans son chant et dans certaines parties instrumentales est voulu ou accidentel, mais on soupçonne le songwriter de s’être un peu emmêlé les pinceaux en jouant et produisant tout lui-même à l’exception de la batterie et des cordes.

Sorti du contexte de My Morning Jacket, Jim James a fait mieux avec le disque des Monsters Of Folk en 2009 en compagnie de Conor Oberst et M. Ward. Mais en dépit des inégalités et quitte à choisir, on préfère garder cet artiste tel qu’il est: erratique mais capable de pondre régulièrement des joyaux comme The Bear, Xmas Curtain ou Gideon entre autres. Le barbu ne tient pas en place, continue de tenter des trucs un peu improbables et c’est tant mieux. Comme il le dit si bien lui-même sur le quelque peu cynique mais superbe Actress: I believe in the concept of you. On se permet de retourner ces mots à Jim James sans aucune ironie.