Shellac – Dude Incredible

C’est bien simple, tous les disques de Shellac sonnent à peu près pareil et le premier (‘At Action Park‘, 20 ans déjà) reste sans doute le meilleur. Steve Albini le musicien tourne en rond depuis belle lurette mais là où d’autres vétérans noise rock courent après leur jeunesse sonique évanouie et débandent un peu plus à chaque album, le trio de Chicago a encore la trique. ‘So I’m fucking you‘ halète le frontman de façon typiquement évasive sur ‘You Came In Me‘, tandis que son groupe ferraille, grince, pétarade et percute comme un vieux tank en rut. On ne sait toujours pas contre ou pour qui ces outsiders bataillent, Shellac ayant toujours été plus dévoué à un son qu’à une cause concrète, et ce n’est pas plus mal: pas de morale derrière leur agressivité, pas de cris de ralliement idéologiques, c’est à peine si l’on discerne une signification à cette prose cryptique et acide empruntée sans vergogne au punk cérébral de Wire et des Minutemen, et ce depuis les premiers pas d’Albini au sein de Big Black (ah, les années 80…). Ce qui nous amène à la personnalité de l’illustre ingé son et mercenaire indépendant, qui lui est un peu tout l’inverse, aussi rouspéteur qu’un délégué syndical, à cheval sur ses principes, toujours prêt à s’indigner contre les rouages de l’industrie, et pas la dernière des langues de pute. Un ascète qui produit comme un fonctionnaire et sort ses propres disques au compte-gouttes, adepte du less is more, et esthète incontournable du panorama rock des 30 dernières années (faut-il vraiment énumérer une fois de plus les ‘Surfer Rosa‘, ‘In Utero‘ etc.. ?). ‘Dude Incredible‘ n’est pas à proprement parler excellent, pas plus que son prédécesseur ‘Excellent Italian Greyhound‘ n’était incroyable, mais passons sur ce petit abus de superlatifs et saluons la bonne tenue de l’album, suffisamment riche en jams tendus, incisifs et brillamment déséquilibrés (‘Riding Bikes‘, ‘The People’s Microphone‘…) pour valoir le détour. 32 minutes d’incessantes frappes chirurgicales et de cordes métalliques tortueuses et torturées. À leur grand dam Steve Albini, Bob Weston et Todd Trainer n’ont toujours pas sorti un truc aussi fort que ‘Fun House‘ ou ‘Spiderland‘ – l’absence totale de mélodie et l’aridité des arrangements sont parfois suffocantes sur les titres moins réussis – mais tant qu’ils distillent un son aussi pur avec autant de panache, bienvenus soient-ils.