Speedy Ortiz – Foil Deer

C’est l’un des secrets de Polichinelle du moment: le nouveau Speedy Ortiz est un putain de bon disque. Déjà remarqué avec ‘Major Arcana‘ en 2013, le groupe aurait pu s’empresser de pondre un deuxième album identique histoire de faire reluire sa capacité à riffer sans relâche, comme un ado avec sa première pédale fuzz. Sadie Dupuis ne l’a pas entendu de cette oreille. Oui c’était fun, catchy, bien senti et pas prise de tête, un décalque inspiré bien qu’assez simpliste de tout ce qui faisait le charme hirsute de Pavement, The Breeders, Helium et compagnie dans les années 90. Prometteur. Mais se contenter de restituer un son qui a fait ses preuves n’est pas une fin en soi et ‘Foil Deer‘ est heureusement un tout autre animal. Un qui ne se mord pas la queue, plus instinctif, imprévisible et incertain que son prédécesseur, et plus attachant en fin de compte.

Si les influences de base restent grosso modo les mêmes, un changement de line-up a vu l’envahissant (et paraît-il un brin machiste) Matt Roubidoux perdre les faveurs de Sadie Dupuis, désormais souveraine et libre de suivre sa muse, mieux complémentée par le nouveau guitariste Devin McKnight. C’est un groupe sans doute un peu moins noisy et abrasif que l’on retrouve ici, mais qui laisse intelligemment la chanteuse prendre ses aises, tenter des choses surprenantes et peser émotionnellement sur les chansons. Les magnifiques singles ‘Raising The Skate‘ et ‘The Graduates‘ prouvent d’emblée que ce Speedy Ortiz nouvelle mouture ne perd pas au change, toujours capable d’envoyer du tube power pop les doigts dans le nez mais avec une écriture et des textures bien plus fines. La suite ne se fait pas prier pour bousculer les clichés et éviter les schémas du premier album avec des chansons souvent tortueuses, contrastées, angoissées pour la plupart, parfois difficiles d’accès mais qui débouchent sans cesse sur de superbes moments. Le groove hip hop étrange, limite malsain de ‘Puffer‘ met un peu la misère aux derniers Nine Inch Nails, les ballades vénéneuses ‘Dot X‘, ‘My Dead Girl‘ et ‘Mister Difficult‘ sont hautement addictives, cette dernière étant d’ailleurs perversement touchante. ‘Foil Deer‘ tente manifestement d’exorciser tout un tas d’attractions et de sentiments contradictoires, au couteau de préférence (‘Watch your back, because baby’s so good with a blade‘ est-on prévenu en introduction), expérimente sans lasser, et surtout émule l’indie rock américain d’il y a 20 ans avec une fraicheur épatante et en ayant compris l’essentiel: ‘we’ve got the vision, now let’s have some fun‘ comme dirait MGMT. Putain de bon disque.