Joe Haege est sûrement l’un des hommes le plus talentueux que vous ne connaissez pas. Associé à au moins 4 groupes hormis ces projets solos, il porte quasiment à lui seul le mythe qu’il peut y avoir autour de la scène de Portland et des galériens géniaux qui gravitent autour tant bien que mal. Quand la chanson la plus écoutée sur Spotify plafonne à 34 000, il est préférable d’être conseillé. Dans une carrière aussi accidentée que jalonnée de voyages à travers les États-Unis et l’Europe nous allons t’aider à y voir plus clair et te conseiller une playlist sous forme de best-of.
Connu sur la route lors d’une tournée sur l’album Mines de Menomena, l’ingénieur du son et roadie Fritz est la raison pour laquelle Joe part des États-Unis. Sans le sou, ni projet à 40 piges et divorcé, rien ne le retient et il se décide à ouvrir un nouveau chapitre sous un groupe au nom double : Vin Blanc dans un premier temps puis, White Wine par la suite. Encore dans ce mélange de son torturé, d’interrogation sur la vie à travers un regard très particulier et de ses fameuses loops caractéristiques de toute cette scène, ce nouveau trio ne déçoit pas.
Chroma Key est sûrement le plus abordable des disques avec des compos toujours plus portées par les synthés et incursions électro se multiplient avec le temps. Dire que Joe est arrivé les mains pleines n’est pas une exagération et les pépites se précipitent dans la tracklist. “The Party Never Started” et “Red Thread” qui semblent sorties d’une version sous ketamine de The Eraser de Tom Yorke sont un aperçu de ce qu’il peut proposer de plus low-fi en reposant beaucoup de la réussite de ce disque sur son interprétation, plus calme mais aussi plus juste.
In Every Way But One est une déclaration d’intention, jusqu’à la pochette de son vinyle. Affirmant par un texte sous forme d’éditorial que la musique ne l’a jamais aidé à payer son loyer, il décide de tout miser et de continuer sa vie ainsi plutôt que de s’obliger à reprendre un itinéraire “normal”. Moins bricoleur que le précédent, il porte toujours autant les marques de son auteur. A savoir un sens schizophrénique du chant entre l’accalmie et le cri habité, des percus sèches et abruptes, de la dissonance. Au milieu de tout ça, “Make Do” et “Temple Of Lines“, délicieux théâtre bordélique percussif que l’on voit ci-dessous dans une version live très fidèle au spectacle unique que l’on peut voir lorsque le bonhomme est en scène. La jolie balade “Losing Sweet Permission” est une preuve qu’il peut ne pas perdre son coffre et son goût pour la bidouille, tout en passant par la case émotion.
Le meilleur équilibre se trouve sûrement sur Who Cares What the Laser Says? Autour de 10 titres, Joe enchaîne les perles et envoie certains de ses meilleurs titres avec notamment les pop songs “Where’s My Line” et “Is This Weird“. La dernière cuvée date de 2017 avec Killer Brilliance, plombé par des interludes assez vaines mettant presque de côté les réussites incontestables que constituent les « vrais » morceaux. “Broken Letter Hour” attaque tambour battant sans jamais resserrer son étreinte, “Hurry Home” et sa voix doublée sur les couplets, l’énumération d’ “Abundance“, Ia folle épopée d'”I’d Run” : on pourrait citer l’intégralité des morceaux où Haege réussit à mêler toutes ses influences, envies et digressions pour sortir son disque le mieux dosé.
Cette épisode aviné compte aujourd’hui quasiment 3 heures de musique pour 45 titres sous 3 noms différents. Si White Wine est le projet le plus présent numériquement dans notre playlist, ce n’est pas un hasard. Non seulement Joe a tendance à se bonifier avec le temps mais au moins il est entouré, au plus son talent jaillit. Ses concerts sont toujours aussi intenses sous cette mouture. Parfois occupé à la guitare et aux claviers en même temps, il s’offre toujours des balades dans la fosse en se jetant au sol, attrapant des membres du public tout en leur hurlant dessus. Un plaisir de tous les instants que l’on a pu voir régulièrement, notamment par deux fois à Paris dans un Espace B bien trop vide.
Hélas, il jette l’éponge en 2019 et annonce un concert d’adieu avant de repartir aux Etats-Unis pour se refaire la cerise pour payer une opération de la main avec des petits boulots et un peu d’acting. Comme son appétit pour la vie de saltimbanque semble intarissable, nous ne sommes sûrement pas au bout de nos surprises et d’un énième revirement de situation et c’est tant mieux car la scène indépendante américaine a bien besoin d’un énergumène pareil. On vous laisse avec la vidéo chtarbée mettant en avant son dernier projet, Peace & Panic entièrement instrumental, au piano mais tout ça il vous l’explique bien mieux que nous.
34 titres et 2h20, voilà notre résumé de la carrière à cet instant d’un homme prolifique, talentueux, méconnu, fou et attachant.