Beady Eye – Different gear, still speeding

Dans le genre cause perdue avant la bataille, Beady Eye se place bien. Inutile de vous faire un schéma trop complexe mais résumons simplement : qui irait dire que Beady Eye c’est mieux qu’Oasis ? On ne tient pas Oasis dans les plus hautes sphères de notre estime musicale chérie malgré les évidentes qualités des premiers albums et quelques très grandes chansons ici ou là méritant amplement leur succès. Par contre on les aime d’amour (ou on déteste cordialement) ces deux frangins terre à terre pour ce qu’ils sont plus que pour ce qu’ils font. Moi, j’aime Be Here Now d’amour justement parce que c’est un disque de merde et que c’est là finalement que les Gallagher ont été le plus touchant : dans leur incapacité à devenir une machine, des U2, des Coldplay ou des Rolling Stones post Some Girls. Dans leur incapacité à être ce qu’ils ne sont pas. Ce sont ces mêmes limites qui font qu’aujourd’hui, on écoute tous les jours Different Gear, Still Speeding.

Reprenons. Beady Eye mieux qu’Oasis ? No way, this is pas possible à cause non pas du talent du groupe mais à cause de la personnalité de Liam Gallagher. Liam c’est le charisme à l’état pur -quiconque l’a vu sur scène confirmera- mais dans l’inconscient collectif, les dés sont jetés depuis belle lurette : le talent c’est l’autre qui l’a. Liam pourra écrire tous les Born on a different cloud qu’il veut, il restera la grande gueule arrogante et incapable qui a bien profité de son frère. Son bouclier de frangin n’étant plus là, le retour de bâton est assuré. On aurait imaginé un Liam un peu moins fanfaronnant, se la jouant un peu plus profil bas du coup. On avait tort. Et tant mieux. Liam Gallagher humble ? Et puis quoi encore ! Beady Eye va écraser Oasis, on écoutera encore Beady Eye dans 50ans, Beady Eye durera mille ans… Alors forcément, en entendant un petit disque comme Different Gear, Still Speeding le petit intello musical de base, celui qui ne jure que par « ils n’ont rien inventé », va y aller de son avis assassin. Les fans d’Oasis ? Entre l’envie de descendre celui qui est responsable du split de leur groupe favori et l’impossibilité de sous entendre du mal de Noel, ils ne savent plus où se mettre. Le cas Beady Eye est réglé depuis longtemps, croyez-moi.

Ici l’approche est différente. Ne considérant pas Noel (sans tréma, par pitié) Gallagher comme un génie du songwriting ni Liam (prononcez Li-am et pas Layame, par pitié) comme un crétin congénital et n’ayant finalement que faire de qui est le plus cool/con/comique/couillu/clownesque comme George entre Liam et Noel , on ne ressent aucun besoin de descendre l’un pour faire remonter l’autre. Pour Beady Eye, le premiers mots qui viennent à l’esprit sont décomplexé, naïf, touchant… Oui, il y a quelque chose d’excessivement touchant dans la certitude exprimée de Liam d’écrire des grandes hymnes rock’n roll alors que son nouveau groupe ne produit que de la chansonnette. Touchant et naïf quand en pompant les Who sur Beatles & Stones il déclare qu’il passera le test du temps à l’image des groupes pré-cités. Touchant, naïf et décomplexé lorsque Beady Eye n’hésite pas sur le franchement trippant Bring the light à faire durer 3minutes30 une chanson qui pourrait s’arrêter une minute plus tôt uniquement pour jouer aux questions-réponses avec les choeurs en imaginant probablement tenir une sorte de final à la Hey Jude. Bref, ce qui va énerver tout le monde, ici on kiffe parce que Beady Eye va à fond dans sa vision du rock’n roll et balaye toute forme de cynisme au passage.

Niveau son, pas de surprise, une sorte de dépouillement à la Plastic Ono Band (sans l’émotion) et un volonté d’être rock comme T-Rex (sans le groove sexy) et quelques clins d’oeil à l’image des quelques idées, poussifs (Beatles & Stones, The Roller, For anyone, Wigwam) mais le tout baigne dans une sorte d’apaisement, de légèreté -on imagine que les inévitables tensions fraternelles ne se ressentent plus dans la musique- faisant de Different Gear, Still Speeding un disque très agréable à écouter, ça ne braille pas, le son est clean, bref, ce n’est pas Owen Morris (Noel?) qui produit dieu merci. Liam n’a jamais aussi bien chanté, on le sent enfin concerné par ce qu’il raconte et il semble que nous ayons fini la distribution des bon-points… Parce que oui, il ne faut pas déconner non plus, on parle d’un disque qui s’entend mieux qu’il ne s’écoute, un disque sans vraies têtes d’affiche, si tout est de qualité, la transcendance est absente, on se passerait même volontiers de deux ou trois choses et on parle d’un bon petit disque, rien de plus (c’est déjà ça) avec des chansonnettes. Toutefois, dans chansonnette il y a honnête et Beady Eye nous paraît plus valable à ce niveau que 90% de la concurrence. Il y a une envie, il y a un souffle dans Different Gear Still Speeding et surtout cette volonté ou plutôt cette incapacité à être, à faire autre chose que ce que ses membres aiment. On n’est pas chez Arcade Fire, on n’est pas chez Radiohead, on a presque envie de dire qu’on n’est pas chez Noel Gallagher, plus sensible à ce que l’histoire retiendra de lui. Beady Eye n’essaie pas d’être ce qu’il n’est pas. Beady Eye ou le groupe dont les limites font la force. Par conséquent, Different Gear Still Speeding ou le disque le plus rock du moment parce qu’il n’a pas peur de passer pour un con. CQFD.