Nasum – Shift

Nasum, l’air de rien, commence vraiment à avoir quelque chose du groupe mythique. L’influence de Mieszko Talarczyk, hurleur guitariste, sur la scène musicale suédoise et donc, par la même occasion, mondiale, grandit de jour en jour, le combo est de plus en plus considéré comme le digne succésseurs des créateurs du genre, j’ai nommé Napalm Death et pour ne rien gâcher leurs album se vendent comme des petits pains. Leurs albums, justement, parlons-en : ‘Inhale/Exhale‘ et ‘Human 2.0‘ avaient posé les bases de l’édifice d’un grindcore nouveau, ‘Helvete‘ l’avait encore élevé d’un étage, et autant le dire sans détours, ‘Shift‘, le petit dernier, est d’une puissance telle qu’il va tout raser jusqu’aux fondations. Mais avant de rentrer plus en détails dans ce petit chef-d’oeuvre, il est nécéssaire de s’attarder sur un détail qui n’en est pas vraiment un. Car oui, quelle surprise de découvrir à côté du logo Relapse habituel désormais celui de Burning Heart ! Nasum aurait-il basculé du côté du punk ?? Impossible…même s’ils n’en ont jamais été bien loin, leur brutalité les en a toujours assez éloignés et c’est avec cette petite appréhension de fan qui a peur que son groupe favori n’ait trop changé que l’on appuie sur play.

Particles‘ ouvre l’album et là, c’est tout simplement un plaisir immense de se rendre compte qu’on retrouve le groupe au sommet de sa forme : le son est toujours aussi…mais au lieu de donner des adjectifs à la pelle qui ne rendront de toutes manières par compte de la réalité, on pourrait plutôt dire que le son de ce ‘Shift‘ possède approximativement les mêmes qualités qu’une ponçeuse (pas le bruit de la ponçeuse elle-même, non, c’est une métaphore…) : il use, il arrache, il déchiquette, il est irritant et abrasif et un contact prolongé avec lui peut entraîner des séquelles irréversibles. Alors c’est sur, un son comme ça, c’est pas forcément évident à apprécier à la première écoute mais il fourmille de tant de subtilités au-delà de son côté extrême qu’il devient vraiment une drogue sur le long terme.

‘Quelles subtilités ?’ se demandera le métalleux lambda dont les fragiles oreilles se seront mises à saigner au bout de quelques minutes d’écoute. Commençons par les guitares : les riffs s’enchainent frénétiquement sans qu’un seul ne ressemble au précédent ni à rien d’autre de déjà fait, en mélangeant sur un même titre de moins d’une minute trente des sonorités death et des mids tempos hardcore (‘Creature‘, ‘Wrath‘, etc…). Les intros et les outros quand à elles, comme toujours avec Nasum, prennent une place considérable (ba oui, avec des titres aussi courts, comment faire autrement…). Et on peut dire que le groupe sait y faire pour marquer les esprits : entre le ‘You have the right to remain silent…’ de ‘Like Cattle‘, la fin en fusillade au milieu d’une foule de ‘The Clash‘ ou encore le ‘You’re such a whore !’ hurlé sur un riff heavy oldschool de ‘The Smallest Man‘, il y a de quoi faire. La batterie, élément central de tout groupe de grind est ici pourtant plutôt effacée, mais c’est aussi ça qui fait sa force, car calée sur une basse à la disto exacerbée, elle redouble de puissance. Pas (vraiment) de double pédale, et c’est plutôt des schémas punks accélérés jusqu’à saturation que bats Anders Jakobson la plupart du temps. Miezsko hurle toujours de manière aussi vindicative et convainquante ses messages politiquement incorrects entre incitation à la révolte, nihilisme (‘Closer To The End‘) et haine de l’humanité toute entière (‘Pathetic‘).

Shift‘ est donc plus que le meilleur album de Nasum, c’est la confirmation du fait qu’ils sont désormais un groupe politiquement engagé à part entière, au-delà de tout anti-américanisme gratuit et non fondé. C’est d’ailleurs plutôt ironique que ‘Helvete‘, le précédent opus, avait pour titre de clôture ‘Worst Case Scenario‘, titre dans lequel le groupe prophétisait déjà la réélection de Bush comme la pire chose qui puisse arriver au monde. Voilà, c’est donc arrivé, Mieszko a trouvé là une source d’inspiration presque intarrissable et ‘Shift‘ est le produit de ce pire des scénarios, un produit plein de rage (‘High On Hate‘, ‘Fury‘, …), de revendications et aux qualités musicales et plus largement artistiques indéniables.