« Tu sais, t’es pas obligé de faire rentrer toutes les idées dans une seule chanson. Tu peux aussi en mettre de côté pour faire plusieurs chansons. » aurait un jour lancé Nate Newton à Kurt Ballou.
C’est un peu le sentiment qu’on ressens en lançant pour la première fois le morceau d’ouverture « Shreds ». Une minute de nappes de guitares vaporeuses avant que n’entre doucement un chant doux amer rappelant l’esprit de GGGOLDDD, puis une montée accompagnée d’un chant clair à la puissance incontestable, qui débouche sur un lourd break donnant naissance à des cris là encore impeccables, abruptement interrompus par une phase post-rock qui revient progressivement relever l’édifice jusqu’à atteindre un riff aussi ample qu’aérien quasi Year of no Lightesque, qui finit par mourir dans un langoureux solo de guitar hero.
Si on résumait l’album à ces lignes on pourrait arguer que Matrass a bâti sa cathédrale comme une démo technique, tentant de présenter tout ce qu’ils savent faire sans rien oublier, quitte à faire rentrer ça au chausse pied.
Sauf que…
Sauf qu’on ne peut pas résumer ça aussi facilement. Parce que malgré le grand écart des styles pratiqués, le résultat n’est jamais schizophrène et fait preuve d’une incroyable cohérence.
Leur spectre est super large et convoque tous les post-trucs, partant de la douceur contemplative post-rock pour aller jusqu’aux riffs pharaoniques post-metal et gros breaks post-hardcore. Le liant se fait avec une bonne dose de djent progressif. Mention spéciale à « Adrift » qui ressemble à un improbable passage de relais entre Animals As Leaders et Envy.
Matrass utilise tous les outils à sa disposition pour servir son propos mais parle d’une même voix, de la première à la dernière minute. Un tour de force probablement permis par un gros travail sur les textures et une production ultra léchée. De ce point de vue là, la comparaison ne serait pas à aller chercher chez tous les métalleux sus-cités, mais plutôt chez des groupes polymorphes comme EZ3kiel, qui utilisent tous les instruments possibles pour atteindre l’ambiance recherchée. Tout comme eux, Matrass se forge une identité singulière avec un son aussi moderne qu’organique. On a un parfait exemple de cela avec le saxo de Clémentine Browne sur le monumental « Silence », qui restera probablement comme la pièce maîtresse de l’album.