MOTOCULTOR 2023 – VENDREDI 18 AOÛT ★ CARHAIX

Bienvenue aux Hell Charrues

Qu’est-ce que je disais dans mon précédent report sur l’orga aux petits oignons ? En arrivant aux abords du site je remonte une file impressionnante de festivaliers faisant la queue pour rentrer… Encore un problème de manque de staff pour les fouilles ou de consignes trop strictes, mais le résultat est là : ce vendredi, il y a eu jusqu’à 2h de d’attente avant de pouvoir assister aux concerts ! Je précise que la sécurité chargée de contrôler les entrées a été exemplaire durant tout le week-end, très vigilante, réactive et humaine malgré leur fatigue évidente. J’ai notamment assisté au refoulement d’un imbécile essayant de rentrer avec un gilet pare balle et au faux pistolet, et ça s’est fait avec un merveilleux sens du dialogue (le gars ne comprenait pas pourquoi, c’est vous dire les teubés avec lesquels ils doivent composer parfois). La faute revient donc à l’orga, et celle-ci a par ailleurs bien réagi après ce calamiteux incident puisque dès le lendemain tout est rentré dans l’ordre.

Fort heureusement pour moi je dispose d’un pass presse et j’ai donc pu éviter de faire la giga queue et profiter directement des concerts. Je reste quand même sur mes gardes en pénétrant dans l’enceinte de Kerampuilh, car pour fêter les 100 ans du gwenn ha du, le festival a LUI MÊME demandé aux festivaliers de ramener leurs drapeaux bretons. L’idée m’effleure de leur tendre un piège en prétendant vouloir battre le record de la plus grande galette pour les enrouler tous ensemble tels une saucisse géante et les livrer aux autorités, mais admettons que les drapeaux bretons sont quand même nettement plus tolérables en Bretagne qu’ailleurs, et je n’en croiserai pas plus que ça au final.

Déluge

Le vent se lève juste avant le début du show, transformant la bruine ambiante en volutes éthérées traversant la foule. Une mise en scène naturelle inespérée pour les Messins, qui bénéficient encore d’un coup de pouce des cieux en milieu de set lorsque la pluie commence à tomber sur Carhaix, comme si leurs riffs plombants avaient tabassé les nuages. Est-ce un simple hasard ou est-ce que ces gars sont sous la protection de St Alain Gillot-Pétré ? Mais au moment où l’on se laisse emporter par les ténèbres, on entend des “vous êtes là le Motocultor ? Faites du bruit !”*. Oh ben ça casse le truc, là. Pendant tout le concert, le groupe laisse de grandes pauses entre les morceaux durant lesquelles il nous enjoint à gueuler ou à mettre les mains en l’air. Ils auraient tellement gagné à déployer plus religieusement leurs excellentes compositions black metal teintées d’une émotion prenante, en les enchaînant sans nous laisser respirer, comme un… déluge, quoi. Dire qu’on était à deux doigts du ciné concert naturel…

*Retranscription approximative.

GGGOLDDD

Alors qu’un bon crépuscule sous chapiteau aurait été parfait pour voir jouer les néérlandais, on les retrouve placés sur la mainstage principale, en plein air et à l’heure du goûter. Pas l’écrin idéal pour leurs airs gracieux et torturés,mais je suis quand même très content de voir en chair et en os la frontwoman Milena Eva, qui incarne chaque chanson avec des danses d’un style unique, entre femme corbeau et mime androïde, assurant une présence à la fois fragile et inquiétante. Sa gestuelle et sa voix magnifique font indéniablement leur effet, mais l’ambiance dans la fosse est palpablement gênante par moment… Il y a bien sûr le cadre non adapté, mais la communication entre le groupe et le public souffre aussi d’un terreau peu propice à la communion : Milena parle beaucoup, avec une douceur presque timide, et on sent bien que la petite latence dans les réactions du public non anglophone la déstabilise. Pour tout vous dire heureusement que j’étais là pour répondre spontanément à ses questions sinon on courait à la catastrophe (ceci est vrai, sachez-le, j’étais quasi le seul à donner de la voix dans ces moments-là et elle me répondait personnellement, voilà que voulez-vous je dialogue avec les groupes dans les concerts, jugez-moi). J’apprendrai plus tard que des mecs se marraient et gueulaient des “à poil !” notamment pendant une chanson sur le viol qu’elle a subi, et ça peut expliquer le petit feeling cringe latent. Dommage qu’une minorité de crétins puissent pourrir la beauté diaphane d’un groupe comme celui-ci, mais je ne désespère pas que cela change car j’ai repéré un groupe de merdes humaines lancer des “à poil !” dans plusieurs concerts de ce weekend et ne recevoir en écho que la consternation peinée de leur entourage immédiat. Dans 3 ans ça n’existe plus, on y croit.

Humanity’s Last Breath

Vu le nom du groupe et leur style (Deathcore / Djent bien bresson), je ne m’attendais pas à être frappé d’entrée par leur énorme sex appeal. Le regard vicieux et les lèvres purpurines du guitariste, la soyeuse chevelure de jais dépassant de la capuche du frêle chanteur, et les tenues moulantes du bassiste sportif… Un tel charisme mis au service d’une brutale convocation apocalyptique fait définitivement son petit effet, et je suis embarqué du début à la fin du set dans un maelström décadent. La haine se diffusant encore plus vivement chez les faibles d’esprits, on assiste à des pogos d’une rare intensité au cœur du pit : se jeter là-dedans revient à affronter des bœufs aux yeux meurtriers, contaminés par la malveillance turgescente qui suppure de la scène. Incroyable ambiance, incroyable prestation, mais définitivement pas pour les enfants de chœur.

Lili Refrain

Une de mes plus belles découvertes sur ce festival ! Heureusement qu’elle bénéficie d’un excellent bouche à oreille car je n’aurais pas eu l’idée d’aller découvrir sinon… C’est à cause de ce maudit nom de scène, qui  m’évoque davantage le groupe que la chanteuse de Superbus aurait créé si elle faisait la tournée des maternelles en solo plutôt qu’un one woman band mystico-païen. En effet, Lili est totalement seule sur scène et entame progressivement une litanie occulte qu’on croirait sortie de Witcher. La voir créer ses boucles superposées est complètement hypnotisant, et je me laisse happé comme un perdreau de l’année. Ses incarnations tribales se construisent dans la longueur, et tout le concert tient en 3 morceaux de plus de 10 minutes et d’un court rappel. Après nous avoir fait vibrer comme jaja (les applaudissements et les cris du public m’ont conforté dans l’idée que je n’étais pas le seul à en avoir pris plein les mirettes), elle salue chaudement le public en sautillant comme un cabri et je décide à ce moment là de devenir son meilleur ami pour la vie.

Health

Rock, electro, indus, shoegaze, Health fait fusionner les genres de manière très organique, dans des orchestrations à la fois froides et sensuelles. Et quel plaisir de les revoir sous chapiteau dans de bien meilleures conditions que leur concert au Hellfest de 2022 (en plein air, à 14h30 pendant une averse) ! Les californiens nous livrent à Carhaix un show d’une coolitude magistrale. Juste la définition du cool en fait. Imaginez la scène de la rave de Blade mais réalisée par Sofia Coppola, et vous avez à peu près le tableau.

Wardruna

Assister à un concert de Wardruna c’est un peu du quitte ou double : on peut passer totalement à côté et ne voir qu’une kermesse pour adultes ayant trop lu Thorgal, ou réussir à plonger comme moi dans les récits vikings jusqu’à ressentir les embruns des mers du Nord fouetter son visage (c’était en fait de la bière qu’on m’avait jeté à la gueule par mégarde, mais j’y ai cru pendant un instant). Ce qui est beau avec ce groupe, c’est que pour peu qu’on ait les chakras ouverts il n’y a pas besoin de s’y connaître en culture nordique pour comprendre la philosophie des légendes contées sur scène. Inutile de parler la langue ou de savoir lire la moindre rune, tout passe par la musique. Et quelle scénographie ! Mention spéciale pour ce sublime jeu de lumière qui projette une à une les ombres des musiciens sur une toile, nous mettant dans la peau d’un villageois écoutant les bardes de son village autour d’un grand feu de camp. Seul petit bémol : ce sera exactement la même setlist et le même spectacle que les deux autres fois où je les ai vu, mais ça n’empêche pas la magie de prendre à nouveau. J’aimerai ce groupe jusqu’à ce qu’ils jouent au Puy du Fou, ce qui risque hélas d’arriver un jour ou l’autre, ne nous leurrons pas.

Icepeak

Après une journée full déprime & traditions, j’ai envie de profiter du dernier concert pour danser comme un demeuré. J’esquive donc la folk celtique de Brieg Gueverno et jette mon dévolu sur IC3PEAK, car c’est un groupe en majuscules qui utilise des chiffres pour faire des lettres (et donc forcément un peu demeuré). Après un début plutôt froid et lyrique, le duo russe sera fidèle à mes attentes en multipliant les poses de chat noir sur fond de d4rk r4ve c0re aux rythmiques trap. On pense pas mal à Die Antwoord en entendant la voix de petite fille flippante de la chanteuse, mais en dehors de cette troublante ressemblance, on a droit à une prestation très dépaysante et plus que bienvenue pour s’aérer un peu le cerveau dans un festival estampillé “metal”. Vous savez à quoi ça me fait penser ? À la scène de la rave dans Blade mais cette fois-ci adaptée pour l’Eurovision. Je donne mon corps entier sur l’hymne Dead but Pretty, un banger d’une redoutable efficacité et rentre ensuite me reposer le sourire aux lèvres, après une journée riche en émotions.