MOTOCULTOR 2023 – JEUDI 17 AOÛT ★ CARHAIX

Bienvenue aux Hell Charrues

Depuis sa création en 2007, le Motocultor a changé 4 fois de site et connu moults péripéties avant de trouver asile à Carhaix-Plouguer, sur le même site que les Vieilles Charrues. Un déménagement qui accompagne aussi une hausse d’ambition pour le festival : cette année c’est plus de 54 000 festivaliers qui se sont pressés à Carhaix (contre 44 000 l’année précédente), en grande partie motivés par l’affiche incroyable que les programmateurs ont réussi à assembler pour cette édition 2023, à la fois pointue, éclectique, festive, et faisant la part belle à de nombreux groupes très actuels (Brutus, Birds In Row, Scarlxrd, Worst Doubt, etc.). Pour autant, le “Motoc” entend bien rester “à taille humaine”, et ne veut surtout pas devenir un simple Hellfest bis. Il est en effet tentant de le comparer à son aîné d’un an seulement qui adore inviter Johnny Depp, mais si ce dernier s’est progressivement transformé en Disneyland, côté organisation la réputation du Motocultor semble davantage le rapprocher de l’Action Park

Quiconque s’est déjà frotté au festival breton en revient avec une anecdote sur le manque de chiottes, l’ouverture des portes en retard, des bénévoles pas toujours bien accompagnés ou défectionnaires, une grève de staff, etc. Si bien qu’à côté de l’implacable machine clissonaise, la fête de Yann Le Baraillec (qui a peut-être une petite phobie administrative, comme tous les gens bien) devient une promesse d’imprévu, d’aventures sauvages et même d’un brin de souffrance. C’est donc avec un mélange d’appréhension et d’excitation que je suis allé vérifier si la légende était vraie.

À la recherche de la douleur

L’arrivée à Carhaix, en ce matin du jeudi 17 août 2023, se fait sans trop d’encombres. Malgré une signalisation rare et imprécise, on se repère aisément jusqu’au festival en suivant l’affluence ou en demandant son chemin aux bénévoles postés aux rond-point. Une fois garés, on se rend vite compte d’un aspect ô combien agréable de la configuration de ce festival : parking, camping et scènes sont tous situés à 5-10 minutes à pied les uns des autres.

Arrivé tôt, je retire mon pass presse sans difficulté et attend patiemment l’ouverture des portes. Le site de Kerampuilh est bucolique, il fait beau, et l’ouverture des portes se fait à l’heure et dans une superbe décontraction, sous les humbles binious du bagad de Carhaix. Je m’attendais à en chier, je me retrouve à chiller.

Une fois rentré je reste sur mes gardes et profite de l’heure qu’il me reste avant le 1er concert pour inspecter le site et trouver quelques failles que je pourrai pointer du doigt en m’écriant tout seul “Ahah, typique Motocultor ça !”. Mais hormis l’insuffisance flagrante de toilettes et de points d’eau (heureusement que le temps fut clément pendant le weekend) et l’absence de programme papier (en vrai la proximité des scènes et l’accessibilité du point info rend les programmes inutiles à mon humble avis), pas grand chose à signaler… Je pars faire un tour au market pour décrypter les très beaux t-shirts des lisbonnais de Credo Quia Absurdum ayant fait le déplacement afin de m’assurer qu’ils ne soient pas secrètement nazis, et pour admirer le taf des artistes de l’Atelier du Grand Chic pour cette édition du Motocultor. J’ai même le temps de faire un aller retour pour me débarrasser de mes achats avant le début du 1er concert… C’est vous dire le luxe insolent dans lequel je me suis baigné.

Grade 2

On attaque ce week-end avec du classic punk anglais s’inspirant de Motörhead et des Misfits. Sur le papier, ce concept anachronique me fait autant envie qu’un groupe de reprise de Téléphone, mais mon a priori négatif s’estompe toutefois avec le plaisir d’entendre résonner les 1ers riffs du weekend et je décide de ne pas bouder mon plaisir face au style efficace des anglais, qui rajoute quand même ça et là des touches modernes à leurs compos. Il me font aussi franchement marrer quand ils annoncent bravement vouloir faire le plus gros circle pit de tout le weekend ici et maintenant, alors que la Dave Mustage est encore clairsemée, mais des dizaines de courageux festivaliers tentent de relever ce défi impossible et c’est beau comme du Homère. Chapeau aux anglais, qui me font sortir du concert avec le sourire et une haine renouvelée envers Margaret Thatcher.

Lost In Kiev

Le batteur met du temps à se mettre en place (difficile d’ignorer ce douloureux pain d’entrée en tout début de set), mais la sauce prend petit à petit et atteint de belles montées en puissance harmonieuses. Pas un set mémorable pour les parisiens, mais pas de quoi rougir non plus, et encore une fois pas évident de jouer en tout début de festival alors que le public continue doucement d’affluer. J’apprendrai plus tard que l’entrée sur site est difficile à cette heure-ci pour les festivaliers, en raison de fouilles particulièrement méticuleuses et de staff en sous-effectif (typique Motocultor ça !), expliquant ainsi que les scènes mettent du temps à se remplir.

Psychotic Monks

Ah, si Philippe Manoeuvre pouvait les voir (envie de l’entendre dire “Psychotic Monks”… Paix à son âme). Il n’aurait pas tari d’éloges sur ces quatres parisiens foufous, qui se sont accaparés la Bruce Dickinscène avec un mélange de riffs sauvages, de gestuelles théâtrales, et de délires bruitistes semblant improvisés et aléatoires. Mais surtout, j’ai rarement vu des gens prendre autant de plaisir sur scène. Beaucoup de sourires complices et de marrades contagieuses, qui éclipsent largement les passages un peu mous du genou en fin de set. Mentions spéciales au trompettiste et à ses grimaces jouisseuses et au moment où le batteur a piqué une sieste sur sa grosse caisse. Un groupe résolument rock’n roll (elle est pour toi celle-là, Philippe) à découvrir en live, et la première bonne claque du weekend.

Worst Doubt

Encore des parisiens rigolos, mais ceux-là sont venus pour casser des trucs (nos bouches). Je ne m’y connais pas assez en hardcore pour savoir si Worst Doubt révolutionne quoi que ce soit dans le domaine, mais je suis ultra sensible à l’énergie qu’ils déploient sur scène, c’est une leçon de bagarre à chaque fois. L’exécution très rentre-dedans et le gueulage dents serrées du frontman déchaînent les bas instincts du public. Très vite, le spectacle est autant dans le pit que sur scène. Je ne peux m’empêcher de bénir à nouveau la prog, car selon moi ce genre de communion directe n’est possible qu’avec des groupes actuels, qui permettent au public de s’approprier le moment sans avoir le poids de l’Histoire sur le dos, de ne faire qu’un avec ce qui se joue et d’être corps et âme dans le moment présent. Je place ça ici par rapport à Hatebreed, vous allez voir.

Hällas

Un concert d’Hällas c’est une glorieuse chevauchée en moule bites sous les étoiles, c’est pénétrer dans un temple sacré avec ses copains elfes sylvains pour y défier un dragon, c’est avoir 20 en charisme et prendre du LSD avec Gandalf… Du rock progressif High Fantasy impeccable, lumineux, doux comme la soie, qui a en plus cette fois parfaitement accompagné le soleil se couchant sur Carhaix. Un bonheur sans faille.

Zeal And Ardor

On ne présente plus ce projet de Manuel Gagneux qui a transformé une blague de forum (mélanger black music et black metal) en un des groupes les plus populaires du moment dans la scène metal. Et j’adore ce groupe, je le chérie de toute mon âme, m’entendez-vous ? Mais il y a vraiment un truc qui me chiffonne avec leurs concerts ces dernières années. Déjà quand on compare la setlist de ce Motocultor avec celle du Hellfest 2022, on constate que c’est quasi la même. Mais surtout, ce ne sont QUE des morceaux bourrins. C’est vraiment frustrant quand on sait que leur répertoire plus atmosphérique et expérimental possède aussi de très bonnes choses (Sacrilegium Part II, Built On Ashes, Emersion) et qu’ils pourraient alterner plutôt que de ne montrer qu’une seule facette du projet. Surtout que 3 fois pendant le concert Manu nous a demandé si on voulait qu’il continue à jouer des chansons violentes. Eh bien non. Non Manuel. Je veux un break. Un peu de calme, de transe. Ça fait 150 ans que tous les experts en setlist se sont accordés sur le fait qu’il faut alterner violence et douceur, qu’il faut contraster sa setlist, faire des montagnes russes pour que chaque moment soit impactant. Si ça tabasse à fond de cale tout le long, on se fatigue dès la moitié du set. Et le public du Motocultor, aussi enthousiaste et réactif soit-il (on sent que Zeal And Ardor a pris du galon ces dernières années, malgré leurs concerts de boeufs sous stéroïde ne sachant pas équilibrer leur set bordel est-ce que c’est si compliqué que ça Manuel bref je m’emporte encore) est effectivement moins réactif au fur et à mesure du concert. Quelques bangers et un jeu de lumière très travaillé viendront redonner des soubresauts de vigueur au public en fin de set, mais on sent bien que ça tire. Faut démuscler ton jeu, Manuel !

Kadavar

Après tant d’émotions, je décide de me laisser rouler dessus les riffs gondolés de Kadavar en me rendant sur la Colline de la Sieste que j’avais repérée plus tôt dans la journée. C’est un petit écrin de verdure surplombant la Massey Ferguscène, un renflement vert interdit où s’échouent les plus bourrés, les plus vieux, les plus doux et les plus fainéants des festivaliers. Ce havre de paix est officiellement mon endroit préféré de Kerampuilh. Vous l’aurez compris, je n’ai pas trop de souvenir du set de Kadavar… mais cette colline, mama !

Hatebreed

Il était important de se reposer un peu avant Hatebreed, tête d’affiche principale de cette 1ère journée et véritable monument du hardcore. La foule est dense aux abords de la Dave Mustage et je ne réussis pas à m’avancer au cœur du pit, mais l’ambiance en périphérie reste très chaleureuse. Le combo américain délivre comme à l’accoutumée un imparable cassage de nuque, donnant irrémédiablement envie de donner des coups de poing au sol ou d’apprendre à danser le two-step correctement. Par contre le public du Motocultor ne semble biter aucun mot d’anglais, et Jamey Jasta veut absolument nous faire chanter ou nous raconter des anecdotes d’anniversaire et d’albums qui sortent à des dates (je n’ai pas tout suivi non plus). C’est là que je réalise que c’est peut-être le concert le plus “Hellfestesque” de la journée. Un groupe “culte”, qui arrive en terrain conquis et joue ses classiques vieux de 20 ans devant une foule plus là pour voir que pour vivre. Rien de mal à ça, mais après avoir été plongé dans la connexion organique qui existe entre Worst Doubt et la fosse plus tôt dans la journée, difficile de ne pas se sentir un peu déphasé.

Long Distance Calling

Le groupe me fait l’effet de darons trop à fond sur leur post-rock mollasson et peu inspiré, je décroche donc rapidement (vous l’avez ? Rapport à l’appel longue distance…). Ainsi s’achève ce 1er jour déjà bien rempli où se sont enchaînées belles surprises et valeurs sûres, et hormis quelques couacs d’orgas par ci par là, l’aventure carhaisienne semble pour l’instant être un pari gagnant pour le Motocultor.