INTERVIEW – FAT WHITE FAMILY

Cela fait déjà plus de dix ans que la Fat White Family sévit et l’heure du septième album est venue avec Forgiveness Is Yours. Une gestation compliquée pour un résultat ambitieux et surprenant que l’on a pu évoquer avec Lias Saoudi, chanteur et grand manitou de cette drôle de famille.

Forgiveness Is Yours est très aventureux, curieux et joueur. C’est un disque dont on a envie de connaître l’histoire, l’univers et qui appelle à la réécoute. Avec le doublé John Lennon / Bullet of Dignity en guise introduction, ça donne de suite un aperçu de ce qui nous attend pour la suite. 

C’est comme une règle tacite, tu dois pouvoir soigner le début d’un album avec deux premiers morceaux qui fonctionnent comme en duo afin de pouvoir garder l’auditeur. Aujourd’hui, il faut savoir faire avec les problèmes d’attention : les gens ne vont plus vraiment acheter un disque en boutique, s’asseoir et l’écouter en entier d’une traite. On est pourris gâtés en termes de choix et ça en devient assez ridicule. 

Ce concept d’introduction nécessaire via les deux singles, ce n’est pas nouveau.

Oui et je ne l’ai pas fait seulement pour ça mais c’est l’une des raisons pour laquelle j’ai mis en guise de premier titre ‘The Archivist’ qui est une sorte de spoken word qui peut décevoir à la première écoute. Je voulais que les gens se demandent pourquoi on avait fait ça. 

L’album joue vraiment aux montagnes russes en passant d’un titre immédiat à une interlude. D’ailleurs, ‘Work’ qui est l’un des titres les plus évidents est à la toute fin du disque. Comment s’est déroulé le tracklisting pour ce disque ?

Il y a toujours un ordre évident qui se dessine en cours de fabrication. Parfois, tu penses avoir un ordre en tête mais ça finit par s’imposer à toi en fin de parcours. Pile au moment où tu crois avoir assez de matériel pour en faire un album. Tu n’as donc plus qu’à aligner les pièces du puzzle. 

‘Mais l’incohérence est la seule cohérence dans ce disque. Il n’y a pas de thème particulier ou de fil conducteur mais plutôt une cohérence en termes de voix et de paroles.’ 

 

Le disque est vraiment habité par une énergie particulière et Feed The Horse encapsule bien l’ambiance générale. Tu peux nous parler de sa création ?

Elle vient de mon petit-frère Nathan. Il en avait sorti une version avec son propre groupe, Brian Destiny. C’est une entité qu’il utilise pour pouvoir déployer d’autres idées. Cette chanson traite de son addiction à l’héroïne dont il a réussi à s’échapper. C’est comme une ode à ça et il en profite pour la traiter de manière assez enfantine et mignonne avec notamment l’allusion d’un cheval volant. J’ai réécrit une partie des paroles avec l’intention de donner un style à la Elizabeth Hardwick. Pour la musique, c’est sa manière d’y insérer des rythmiques très européennes assez brutales : il aime quand les choses vont vite et lentement à la fois. Ce qui rappelle les sensations quand on est sous héroïne.

On a revu vos clips pour cet interview et on y a retrouvé des thèmes récurrents : les tenues militaires, les références cinématographiques, la viande crue… Comment travaillez-vous pour vos clips  : portés par une envie graphique ou par la chanson ?

Pour ‘Religion For One’, mon ami Michael William West avait réalisé un film appelé the Dream Machine. Un très bel hommage au film noir et aux images de Man Ray, ça me paraissait évident qu’il allait faire du beau travail. En lui demandant s’il pouvait réfléchir à quelque chose, il est revenu le lendemain avec tout ce concept autour de la trahison. Ce qui avait aussi un rapport avec ce qui se passait à l’intérieur du groupe, il était au courant. C’était parfait parce qu’il avait déjà tout écrit dans sa tête et on avait plus qu’à le suivre.

Pour ‘Bullet Of Dignity’, je souhaitais rendre hommage au duo de photographes Pierre et Gilles. On a donc collaboré avec le réalisateur pour arriver au résultat final. 

Inspirations et représentations

D’ailleurs pour ce clip, vous avez utilisé l’intelligence artificielle. Est-ce que c’est une solution que tu as envie d’essayer comme terrain de jeu pour t’inspirer des thèmes de chansons ou des paroles ? 

On a évoqué l’idée de faire un album complet à partir de ça mais nous sommes vite passés à autre chose. Je pense que c’est un moyen qui peut être utile lorsque tu commences à galérer. J’ai fait une démarche similaire avec un poète : on s’envoyait des textes sur un thème particulier, tous les jours. Au début, ça coince et ensuite tu y arrives plus facilement et ça devient une obsession.

Est-ce que tes sources d’inspiration ont évolué avec le temps ?

Lorsque j’écoute de la musique, ça se résume à la techno, de l’électro, de la folk et de la musique ambient. Sinon, je me retrouve à lire nettement plus qu’avant. De l’auto-fiction comme les livres d’Emmanuel Carrère et de Jeff Dyer. J’aime lire des gens qui sont à la poursuite de leur propre queue. J’ai aussi beaucoup aimé Teaching A Stone to talk d’Annie Dillard

La politique ou l’actualité ne rentrent pas en ligne de compte ? 

Non, juste ces écrits qui me mettent dans un certain mode de pensée et je combine avec des envies que j’ai en termes de mélodie.

Pour la pochette, vous avez opté pour quelque chose de très minimaliste. 

C’est ma compagne Anna McDowell qui s’en est chargé. Notre approche vis-à-vis de l’art est très opposée : elle est vraiment patiente, silencieuse, méditative. Ici, son travail évoque une notion de vide, de deuil. J’ai adoré et j’aime aussi ce que ça évoque. On pourrait croire que l’on va écouter un album de musique ambiant ou de classique. Et tu te retrouves avec ce Frankenstein très cartoonesque.

Il s’est passé 5 ans depuis Serf’s Up, c’est un album très solide et un vrai retour aux prestations scéniques, vous étiez partout cette année-là en salles comme en festivals et ça a pu vous ouvrir à un nouveau public. Comment regardes-tu cette période a posteriori ? 

De l’intérieur, je ne l’ai pas sentie si différente des autres tournées. J’avais réussi à garder un peu plus le contrôle qu’à l’accoutumée peut-être. En vieillissant, je m’entraîne de plus en plus en amont. C’est un rythme de vie très intense physiquement donc j’essaie d’être en forme pour pouvoir tenir le choc. Être sur la route peut vite te coûter et devenir moche si tu ne prépares pas suffisamment…

What’s That You Say’ m’a rappelé un de vos potes Baxter Dury avec qui vous avez partagé quelques featurings.

En effet, on a essayé de lui rendre la monnaie de sa pièce sur cette chanson ! 

Je voulais qu’on évoque votre ancien QG, le pub The Queen’s Head. Un endroit devenu populaire via votre fréquentation et qui a été aussi le lieu des premières répétitions de Shame. Quels souvenirs en gardes-tu ? 

Le premier qui me vient, c’est que j’y ai bossé en cuisine ! On a répété là-bas, fait des concerts, fait des pizzas, pris de la drogue, baisé, tombé malade, dormi. Tout s’est passé là-bas pendant toute une période de ma vie. Depuis, l’ancien proprio a revendu et c’est devenu un pub gastronomique. 

 

La France a été l’un des premiers pays à vous apprécier. Quelle est ta relation aujourd’hui avec une ville comme Paris ?

J’ai vécu ici plusieurs fois. En 2019 notamment. J’ai toujours pris l’intérêt que la ville nous porte comme un privilège mais aussi déçu qu’une ville comme Berlin ne nous apprécie pas plus. Peut-être que c’est lié aux références aux nazis, je ne sais pas. J’adore Paris mais je ne pourrais pas rester trop longtemps. Je pense que tu te ramollis en tant qu’artistes. Il y a trop de belles personnes, de bonne bouffe. C’est le cliché du rocker anglais qui vient s’installer lorsqu’il est au top de son game. Pour moi, ça dénote un manque de caractère. 

‘Jamais Mark E.Smith ne se serait installé à Paris. Paris, c’est bon pour boire du vin rouge, manger de la viande rouge et avoir une liaison. C’est trop élégant, les rues te demandent d’avoir un peu de respect, de style. Tu as besoin d’un endroit plus mort, morne, industriel, dur. Comme Detroit par exemple.’

En parlant de ça, est-ce que tu prêtes attention à la scène musicale actuelle indépendante ou rock ? 

Je n’y prête pas attention, je m’en fous. Je vais au Windmill de temps à autre voir jouer mes potes ou des groupes mais je n’y porte pas trop d’intérêt. Je n’arrive pas à m’énerver non plus, je suis assez apaisé. Je suis plutôt du genre à lire un livre dans mon bain en ce moment.

Quelle est la dernière chose qui t’as fait rire avec le groupe ? 

Il n’y a pas eu grand chose de drôle ces derniers temps. On ne rigole plus en tant que groupe, c’est impossible : le rire veut dire qu’il y a de la joie et de la communion. Récemment, on est allés tourner un clip au Nigeria avec un budget très serré pour le titre de l’album qui parle de la circoncision de mon frère. Je l’ai filmé avec mon grand frère, ce sera sûrement la pire vidéo qu’on ait faite mais on s’est bien marrés. 

Et parmi tes autres projets, quelles sont les prochaines étapes ? 

On vient de finir un album de Decius. Il y aura sûrement un nouvel album de The Moonlandingz d’ici l’hiver prochain et je viens de terminer une collection d’essais. Tout ça va m’occuper pour les 18 prochains mois. 

 

Au plus la Fat White Family vieillit, au plus leurs disques gagnent en consistance. Fiers de leur nouveau bébé, Lias Saoudi et ses compères semblent bien armer pour le défendre bientôt en tournée et notamment dès ce samedi en showcase au disquaire Balades Sonores.