INTERVIEW ☭ POINTU FESTIVAL

Cette année, tu as sûrement entendu parler du Pointu Festival. Son affiche de qualité, son cadre exceptionnel et sa gratuité en font une nouvelle adresse de choix pour les festivaliers et amateurs de rock indé. Nous nous sommes entretenus 3/4 d’heure avec Vincent Lechat, programmateur de l’événement, pour en savoir plus sur un événement qui ne va pas rester caché longtemps. 

On dispose de peu d’infos sur vous pour l’instant donc la première question est plutôt simple : comment est né le festival ? 

Il est soutenu par la ville de Six-Fours et le service des affaires culturelles. Pendant des années, il y avait Les Voix du Gaou, arrêté il y a 4 ans avec notamment les Cure, Coldplay, Chemical Brothers et d’autres. Ensuite, on a continué en tant que service municipal à organiser des dates à la salle Malraux avec traditionnellement, une grosse fête de la musique chaque année jusqu’à organiser une forme de festival chaque 21 Juin. Itinérant dans plusieurs lieux de la ville au début, puis pour raisons pratiques et budgétaires sur l’île du Gaou. On a renoué de ce fait avec l’histoire de ce lieu magique qu’on avait envie de faire vivre par l’art et la musique. 

C’est donc notre quatrième édition même si pour beaucoup, c’est la deuxième grâce à l’exposition médiatique l’an passé avec une affiche vraiment centrée sur le rock. Aujourd’hui selon moi, il vaut mieux être très spécifique avec une esthétique et des artistes définis plutôt qu’essayer de toucher tout le monde. 

Faire des choix et saisir les opportunités

En tant que programmateur d’un festival gratuit, comment ça fonctionne l’organisation et la composition de l’affiche ? 

Il n’y a pas de boîte de production, je m’occupe de la programmation. Ca s’alimente au fur et à mesure de l’année, via la salle. Sur la salle, c’est vraiment une prog de salle de musique actuelle alors que le festival est plus précis. C’est la gratuité du festival qui nous permet ça : je pense qu’on ne prépare pas de la même manière un festival gratuit et payant. Surtout dans le Var. On était sur la fête de la Musique au départ et on est partis sur début juillet où il y a beaucoup plus d’artistes sur la route.

On est un peu le Petit Poucet en comparaison avec les Main Square, Beauregard et Eurocks qui ont lieu le même week-end. Mais il y a beaucoup d’artistes sur la route, ce qui fait que ça reste possible d’attirer les gens ici entre les Eurocks et un festival espagnol par exemple.  Ça a marché comme ça l’an dernier avec le Mad Cool Festival de Madrid où certains des artistes programmés sont passés par chez nous. Ils aiment l’endroit et ça leur fait un stop sur la route. 

Je travaille sur l’affiche dès septembre/octobre via les premières annonces de festivals jusqu’à la mi-février où les line-up commencent à être boucler. On arrive un peu en bout de course et on n’a pas les mêmes armes que les grosses machines mais on tirer notre épingle du jeu. Avant, je courais un peu après les groupes. Maintenant, il m’arrive d’en refuser donc c’est bon signe. pointu festival 2017

Puis avec les groupes que vous avez qui sont des gros clients de l’indie, ça doit vous faire une bonne pub en bouche à oreille, non ? Avec des Kurt Vile, Dinosaur Jr qui gravitent autour d’autres groupes et connaissent du monde dans la scène.

Oui et dans ce milieu-là, ce sont des gens qui s’intéressent. On le voit sur les réseaux sociaux où il y a beaucoup de partages au moment de l’annonce de Fidlar. Même si tu t’en doutes, on utilise le circuit habituel en passant par les boites de prod françaises, des agents, puis le management. Il y a toujours des intermédiaires. Après le lieu est magique et joue entre notre faveur. 

Pour interviewer régulièrement des groupes anglais ou américains, c’est vrai que des gens comme Idles, Metz ou Protomartyr font attention aux lieux des festivals et qu’un lieu comme La Route du Rock les marquent. Comparativement aux travées plus « industrielles » de Glastonbury, Reading, etc…

C’est notre force, garder un aspect convivial. C’est aussi ce qui ressort des commentaires des gens venus, notamment l’an dernier. On a fait 10 000 personnes, 5000 par jour. Le site peut en accueillir 8 000 max. Je pense qu’on aura plus de monde cette année et on verra comment on pensera l’évolution. Apprécier de ne pas se marcher dessus, être détendu et de ne pas avoir des sponsors partout. D’ailleurs, on commence à être sollicité sur ce point mais on choisit des acteurs qui correspondent à nos valeurs. 

« Si jamais on commence à refuser du monde, on réfléchira à comment il faut grandir potentiellement. »

Merci Monsieur Le Maire !

C’est gratuit et on a lu que vous souhaitiez vraiment le rester. Comment faîtes-vous pour « manger » ? Uniquement sur les subventions de la ville ? 

Oui, uniquement. C’est un choix de la ville de maintenir ça gratuit. Combien de temps ça va durer, je ne peux pas te le dire mais pour l’instant c’est une action culturelle de la ville. On a aussi des subventions du département. Nos groupes ne coûtent pas des centaines de milliers d’euros comme les grosses têtes d’affiches de rock donc pour l’instant, ça se tient. Si jamais on commence à refuser du monde, on réfléchira à comment il faut grandir potentiellement. Avec ce type de programmation et le bouche-à-oreilles, ça peut aller vite.

Pour la signature des groupes, faut être patient et attendre les opportunités. On peut faire des coups en bénéficiant de contextes favorables pour venir chez nous en tant que groupe. Le lieu fait aussi son travail et fonctionne chez les artistes, ils s’y sentent bien. 

Vous avez aussi la chance d’avoir une affiche différente des autres festivals avec peu de doublons par rapport aux festivals qui peuvent être dans votre genre. Fidlar est quasi nulle part ailleurs en France, Thee Oh Sees ne tourne pas à ce moment-là non plus donc ca donne un line-up dense et intéressant.

Je pense que c’est la personnalité des programmateurs qui s’expriment malgré les opportunités et propositions. Je suis assez content de pouvoir donner une couleur à chaque journée. L’an passé, le dimanche était assez « bourrin ». Là on a  un samedi marqué indie anglais/canadien et un dimanche très ricain. C’est le hasard et t’es tributaire des dispos au départ mais je crois que le public rock pur et dur apprécie la variété de l’affiche. C’est aussi ma personnalité : j’écoute de l’indie, du métal, du rock classique donc j’espère que ça se retranscrit dans la prog.

C’est bien joué ! Combien êtes-vous dans l’équipe ? 

L’équipe permanente est très réduite : on est 7. Sur le festival avec les intermittents et les techniciens, une cinquantaine.

« Les gens commencent à te demander des artistes comme The Cure ou les Foo Fighters que tu n’auras jamais »

On sent que la visibilité du festival franchit un cap cette année. Vous êtes surveillés sur les annonces, le nombre de commentaires sur les réseaux sociaux… A quoi peut-on l’associer : plus de com, plus d’argent, l’affiche ? 

On a ressenti ça l’an dernier en amont de la troisième édition. On a fait un peu de pub sur les Inrocks et dans des magazines mais globalement, tout se passe sur les réseaux sociaux niveau communication. On communique aussi sur la région mais on sait que notre public est aussi au-delà. Les médias généralistes nous ont fait une bonne publicité avec des articles chez Télérama, Le Monde, Libé, France Inter avec Michka Assayas, ça met la pression d’avoir autant bonne presse sans prendre de pub. Les gens commencent à te demander des artistes comme The Cure ou les Foo Fighters que tu n’auras jamais. Il y a maintenant une attente derrière l’affiche et on le voit là aussi dans les commentaires des gens. C’est essentiellement du bouche-à-oreille, l’originalité de l’affiche et la gratuité, on ne va pas se cacher. 

Oui, enfin vous n’êtes pas la porte à côté pour la plupart de la France donc la gratuité du festival se transforme en frais de transports. D’où vient le public ? 

Les chiffres de connexion les plus importants viennent de Lyon et Paris, au-delà de la région PACA donc. Nous n’avons pas d’infos précises, il n’y a pas d’étude à date. Ce serait intéressant de le demander aux gens quand ils rentrent dans l’enceinte. Je ne vais pas m’avancer avec des chiffres précis mais le plus gros du public doit tout de même habiter la région au sens large, de Marseille à Nice. On fait aussi pas mal de com dans la semaine précédant le festival qui coïncide avec le début des vacances. Je pense qu’il y a un mélange de gens qui savent ce qui vont voir et de curieux qui viennent pour la gratuité et l’endroit. On sait aussi que lorsque tu ne payes pas pour un festival, tu peux en faire un autre qui lui est payant. On commence à faire partie des carnets de routes des festivaliers qui enchaînent les week-ends entre potes. Ca peut aussi nous être bénéfique avec la Salle Malraux où on va vendre des tickets pour nos concerts à l’année où ca peut être un peu plus compliqué.

Goûts musicaux et esthétique visuelle

Et toi, ton parcours pro pour arriver là ? 

Ma formation universitaire, c’est une école de commerce. Ca mène à tout et comme l’organisation d’événements comme un festival nécessite aussi une part de négociation et savoir communiquer autour donc c’est utile. J’avais fait une formation marketing. J’ai travaillé à Paris dans des maisons de disques pendant plusieurs années. Ensuite, je suis originaire de Toulon et j’ai voulu retourner dans ma région. J’ai rencontré l’équipe des Voix du Gaou, j’ai commencé en étant bénévole. J’ai fait l’accueil artistes, j’ai participé à la programmation avec le créateur du festival. J’ai travaillé aussi sur les dates de la salle Malraux et petit à petit maintenant, j’occupe la direction de la salle et du festival. Ce qui fait que je m’occupe d’autres tâches que la programmation. 

Quels sont tes meilleurs et pires souvenirs de festivaliers ?

Les deux sont basés au même endroit : les Eurocks en 93. C’était mon premier donc ca m’a marqué. J’ai découvert Helmet que je ne connaissais pas à l’époque. Ca m’a mis une claque comme rarement depuis. Ils jouaient à 17h, le batteur est reparti sur une civière à cause d’une  déshydratation. Parce qu’avec les Eurocks, soit t’es sous le caniard, soit t’es dans la boue. Dans le même genre, les RATM avec 20 000 personnes qui sautaient. T’avais intérêt à faire pareil sinon tu te faisais démonter.

Le mauvais souvenir, j’en ai pas tellement. Mais après RATM, c’était ZZ Top. Un public ultra statique qui ne te laissait pas avancer d’un mètre, tu sentais la différence entre RATM qui venait de passer et cette fosse là. 

Après honnêtement, je ne suis pas un client des énormes festivals de 100 000 personnes. Pour parler de ce qu’il y a dans le coin, il y le Rockorama où j’ai pu voir de supers groupes, le Midi Festival qui est un bon défricheur de talent), le Tinals à Nîmes qui a prouvé qu’on pouvait le faire. Il ne faut pas avoir de complexes. 

Tes récents coups de coeurs musicaux ? 

Jonathan Wilson que j’aime beaucoup, le dernier Breeders que j’ai adoré et que j’aurais bien aimé avoir. Enfin en dernier coup de coeur scène Mourn, un groupe espagnol.

« Le Pointu, c’est un rêve de programmateur. »

Question à un million de dollars : quel est l’artiste que tu rêverais d’avoir ?

Nine Inch Nails. Mais c’est impossible. C’est un show total, d’ailleurs je vais à l’Olympia. 

Honnêtement, je suis très heureux avec la taille des groupes que je programme actuellement. C’est là pour moi où se trouve l’originalité et le plaisir à prendre. Je ne suis pas frustré. Le Pointu, c’est un rêve de programmateur. En gratuit, t’as pas de pression, t’as carte blanche. En première année, faut que les gens viennent. La réussite ne vient pas forcément de la fréquentation mais c’est sûr que s’il y avait mille personnes en face, la ville n’aurait pas forcément adhéré. L’idée étant de faire vraiment partie du carnet de route des festivaliers. 

Quand on voit l’engouement sur les réseaux sociaux et la qualité de vos line-ups, vous êtes bien partis. Même aussi d’un point de vue visuelle où le style est très attirant et pertinent ?

On travaille avec TABAS sur la partie graphique, qui réalisait les affiches de Marsatac et donc j’apprécie beaucoup la patte. A l’avenir, j’aimerais pousser l’aspect visuel. On a une expo sur place cette année du collectif Arrache-Toi Un Oeil qui a déjà bossé sur le Levitation et des affiches pour des concerts de QOTSA, Foo Fighters et Sleaford Mods. 

 

Après cette très sympathique discussion avec Vincent, nous serons ravis de voir ça sur place avec le combo AirBnB/avion déjà booké depuis des semaines. Voire même de croiser les verres lors du concert de NIN à Paris fin juin. Si vous avez vu la tête d’affiche et les photos de l’an passé, nous ne comprenons pas pourquoi vous ne seriez pas des nôtres.