INTERVIEW – WHISPERING SONS

Avec leur troisième album The Great Calm, les Whispering Sons ont sûrement donné naissance à l’un des disques de l’année. Mystérieux et direct, obsédant et lancinant, rencontre avec leur chanteuse Fenne Kuppens pour discuter de sa création.

The Great Calm est sûrement votre album le plus intense et personnel. Vous vous êtes autoproduits pour la première fois, vous vous êtes éloignés pour enregistrer une partie seuls sur une île aux Pays-Bas. Pouvez-vous nous en dire plus sur la période de création autour de l’album et ce qui a amené ses décisions ?

Je suis très mauvaise avec les dates mais je crois que nous avons commencé à écrire immédiatement après Several Others. Mais très lentement. Notre guitariste Kobe se charge toujours de nos démos, c’est lui le cerveau derrière notre musique. On a su dès le début qu’on voulait tout faire nous même cette fois. Notre bassiste Bert est producteur donc on avait les capacités de franchir ce cap en toute sécurité et de réaliser quelque chose qui nous appartenait complètement. L’écriture nous a pris vraiment du temps : à un moment, j’avais une pile de 20 démos et je n’arrivais pas à écrire. Je ne savais pas ce sur quoi je voulais écrire, ensuite j’étais trop concentrée sur un fil narratif particulier. Ca m’a pris longtemps avant de lâcher prise et me laisser porter par là où ça pouvait nous mener.

A partir de là, on a commencé à enregistrer. C’était une expérience très intéressante. Difficile certes parce qu’il fallait qu’on discute, prenne des décisions et réfléchir à des choses qui allait bien au-delà de nos rôles habituels. C’était beaucoup de travail mais très gratifiant. On a commencé par enregistrer les guitares, la basse et la batterie en deux semaines dans un studio. Et ensuite, on s’est isolé dans cette île aux Pays-Bas pour les voix et fignoler le tout. On était à 200 mètres de la plage, chaque matin on avait l’occasion de faire une longue marche. Ca sonne romantique mais ce sentiment d’isolement a vraiment fonctionné en termes de concentration.

Le fait de vous retrouvez entre vous fait que vous étiez obligés en quelque sorte de trouver un terrain d’entente.

Ca nécessite de sortir de ton rôle habituel. Avant, tu pouvais décider de t’en foutre, de jouer ton instrument et de filer jouer à la PlayStation dans le salon. Ici, tout le monde a été impliqué. Nous jouons beaucoup de concerts donc nous passons du temps ensemble régulièrement et nous nous connaissons très bien mais faire un album très différent. Surtout celui-là. Chacun était libre d’essayer ce qu’il veut, de se mettre à un instrument ou de proposer une idée.

L’auto-critique.

Six albums en 3 ans, vous êtes assez productifs et on sent que vous montez en puissance. Que vous affinez votre son, que vous allez plus loin dans le caractère de vos compositions avec notamment une gestion encore plus appliquée des temps et des ambiances. Est-ce qu’il y a eu des titres dans la tracklist qui vous ont amené des certitudes pour The Great Calm ?

Avant de démarrer, nous étions très critiques sur ce que nous avions faits auparavant et surtout l’album précédent Several Others. Il nous paraissait trop minimaliste ou dark et notre guitariste et compositeur Kobe s’était rendu compte qu’il s’ennuyait sur scène en jouant les morceaux parce qu’il n’avait grand-chose à faire. Il s’est donc concentré à composer au piano, qui est son premier instrument.

Walking, Flying était l’une des premières chansons finies et c’était une bonne base car elle sonnait comme du Whispering Sons. Elle est étrange, la tension monte mais c’est aussi plus ouvert et lumineux. C’est ce qu’on recherchait.

Des chansons plus calmes comme ‘Cold City’  ont été finies assez tôt dans le processus. Elle est atmosphérique, peut sembler ne pas suivre avec le reste mais nous voulions montrer qu’on était capables de s’aventurer sur différents styles tout en gardant la même intensité et une émotion constante sur l’ensemble du disque. On ne voulait pas se limiter et c’est pour ça qu’on s’est permis de différencier chaque morceau tout en gardant une certaine unité sonore. On s’est posés la question de savoir si nous pouvions garder autant de chansons composées au piano mais ça nous semblait juste et c’est pourquoi nous sommes restés sur cette direction.

 

C’est sûrement l’un des albums les plus cohérents que j’ai pu écouté cette année. A aucun moment, tu n’as envie de zapper un morceau. Il y a des changements de tempo mais on ne sent pas de temps mort. Est-ce que c’était une des intentions derrière l’ordre de la tracklist ?

Construire une tracklist est toujours un exercice très compliqué. On savait pour autant que ‘Standstill’ était une évidence pour démarrer l’album et nous voulions que ‘Try Me Again’ soit la conclusion. On la trouvait parfaite pour surprendre l’auditeur et pour donner envie de le réécouter. Dans le passé, on finissait par une chanson avec une base de piano et c’était très différent. C’est toujours intéressant de se pencher sur ce genre de question et c’est assez similaire à ce que l’on doit faire pour nos setlists de concerts : savoir gérer les hauts et les bas en termes de rythmes et la cohérence des titres.

Vous avez connu pas mal de mouvements au sein du groupe, où seules la guitare et le chant gardent leur places initiales. Malgré tout ça, vous avez su composé avec les éléments. Niveau paroles, d’où te viennent tes sources d’inspirations ? Sur ce disque, il y a beaucoup de notions d’incertitudes, d’attente, de libération ou de situations qui s’éclaircissent pour la première fois.

Écrire m’est très difficile. J’ai toujours de la poésie sur mon bureau, pour voir comment d’autres personnes le font. Comment ils jouent avec les mots et se jouent de leurs sens. En démarrant l’écriture pour ce disque, j’avais une vision très claire pour une chanson en particulier, ‘Poor Girl’ : l’image d’une fille allongée dans la neige. Ensuite, j’ai cherché à imaginer quel était le fil conducteur mais je me suis retrouvé coincée.

Au final, j’ai réussi à trouver un point commun à toutes les chansons qui se résument par ‘The Great Calm ». A savoir : parvenir à trouver un équilibre et une certaine paix intérieure dans des situations difficiles en essayant d’agir et de changer quelque chose. Dans mon cas, c’est seulement à la fin du processus d’écriture que je me rends compte de l’existence de ce fil conducteur au sein de l’album.

Je ne suis pas très contente de la manière dont l’écriture se manifeste chez moi mais j’ai vraiment besoin d’une idée claire pour pouvoir avancer. J’essaie de changer ça mais je présume c’est un travail qui est constamment en évolution. Ecrire est à la fois dur et très satisfaisant.

 

L’envie de faire ce que l’on veut.

Il y a ces dernières années un engouement pour les groupes aux inspirations eighties ou au post punk. Vous tirez votre épingle du jeu avec un style très personnel et assez envoûtant. Est ce que vous avez des inspirations plus légères ou pop que personne n’aurait soupçonné ?

A nos débuts forcément nous étions très inspirés des classiques de la musique des années 80 et nous avons essayé de s’en éloigner rapidement pour ne pas copier et raconter une histoire qui nous est plus personnelle. En tant que chanteuse, j’adore le travail d’Aldous Harding. Pour sa capacité à incarner les personnages dont elle parle dans ses chansons, c’est passionnant. La carrière et l’évolution de PJ Harvey, jusqu’au dernier album est beau et impressionnant. Je suis inspirée par les femmes qui font ce qu’elles veulent avec une vision artistique très claire.

Depuis plus de 20 ans, il y a le fameux mythe autour de la scène rock belge. Aujourd’hui, c’est une scène assez éclatée entre les revenants de cette époque et des nouveaux groupes aux styles très divers comme Balthazar, Warhaus, Sons, etc. Vous en êtes assez éloignés en termes de style. Comment se passe la vie dans cette scène de l’intérieur ?

Nous avons toujours eu un statut d’outsider au sein de cet environnement mais nous faisons partie aussi de la musique grand public. Notre public était niche mais nous remplissons des salles, on continue de grandir tout en gardant notre identité. C’est super intéressant et fun parce que la musique en Belgique reste très variée et nous n’avons pas l’impression de devoir rentrer dans une case pour exister ou croître. Nous faisons vraiment ce que nous voulons.

Pour l’image de ce disque, vous avez une photo en guise de pochette qui représente un intérieur de voiture fondu. Trois clips rassemblés sous forme de court-métrage et un packaging très graphique. Pouvez-vous nous dire comment vous allez collaboré avec ces différents artistes et comment vous garder une cohérence parmi ses différents projets pour un même album ?

L’identité visuelle est très important pour moi. Ca rajoute une couche supplémentaire au disque. J’y fais donc très attention. Pour The Great Calm, je parlais au photographe avant même que le disque soit écrit. Je voulais travailler avec lui et à un moment, il m’a montré cette photo. J’ai senti quelque chose immédiatement et je voulais que ce soit la pochette. J’avais déjà le titre et avec cette photo, ca posait les bases de la suite. Ca me paraissait très personnel et à la fois direct et abstrait.

Pour le reste du packaging, je leur ai laissé faire le travail et j’ai trouvé que l’approche proposée était très complémentaire de la photo. Enfin, nous voulions trois clips qui pouvaient fonctionner en tant que court-métrage si on les regardaient d’une traite. Nous avions le concept, on l’a proposé au réalisateur et le feu qu’on retrouve à la fin du film suivait parfaitement avec tout le reste. Il y a un fil conducteur autour de la destruction, la beauté que l’on peut apercevoir là-dedans et aussi le moment présent qui peut-être fascinant et aussi trivial : c’est OK, c’est là où nous en sommes quelque soit l’état dans lequel nous sommes.

Tourner un nouvel album, c’est aussi dire au revoir aux précédents. Comment vous avez fait vos choix ?

On s’amuse énormément à jouer ces nouveaux morceaux. On avait commencé avec quelques titres en fin d’année dernière et c’était assez frustrant pour nous. Là, on sent que le mix fonctionne et on prend beaucoup de plaisir.

C’est quoi la dernière chose qui vous a fait rire en tant que groupe ? 

Hier soir à Londres, l’alarme à incendie s’est allumé deux fois pendant notre concert. Il y avait aussi quelqu’un qui a démarré une bagarre parce qu’il pogotait de manière un peu trop généreuse… La sécurité a mis le gars dehors, nous avions encore notre dernière chanson à jouer qui est Try Me Again, comme sur l’album. Il y a un passage dans le morceau où il n’y a plus de percussions, c’est très calme. Et là, l’alarme s’est remise à sonner et tout le monde rigolait. J’aime ce genre de décalage où tu essaies de raconter une histoire sérieuse et personnelle et d’un seul coup, il arrive ce genre d’événement. Ca rend le show plus humain, on s’en souviendra. (rires)

En trois albums, les Whispering Sons prennent une place de choix bien méritée avec un mélange de discrétion et d’assurance qui fait plaisir à écouter et encore plus à voir. Et si ce n’est pas déjà fait : écoutez The Great Calm qui est déjà l’un des grands indispensables de l’année. La version live vaut également le détour avec l’un des meilleurs concerts que l’on a pu voir récemment au Trabendo.