INTERVIEW – WILL BUTLER

Will Butler et son groupe les Sisters Squares posaient leurs valises à Paris pour un Café de la Danse le 15 novembre. L’occasion parfaite pour discuter de son nouveau projet, arrivé juste après avoir quitté Arcade Fire.

C’est déjà ton quatrième disque sous ton propre nom mais le premier où un groupe t’accompagne officiellement. Peux-tu expliquer comment ça s’est fait ?

Mon précédent album Generations datait de 2020 dans cette fameuse période étrange. J’étais donc en train de préparer ce nouvel album et je suis allé voir Miles Francis en lui disant que je voulais faire quelque chose de différent cette fois. C’est un excellent musicien et producteur, je lui ai demandé s’il ne voulait pas produire cet album ou si on pouvait on le co-produire. On a commencé par écrire et ensuite on est allés dans son studio au sous-sol.

Ensuite, on s’est dits que ce serait cool d’intégrer Julie, Jenny et Sara et de voir ce qui se passe si on continue à creuser et à concrétiser la chose : faire un album et monter un vrai groupe. Jusqu’à cette étape, on ne s’était pas souciés de savoir ce qu’on était en train de faire et d’y apposer un nom.Je savais que ce n’était pas un projet solo de Will Butler et même si on aurait pu l’appeler comme ça, cela n’aurait pas eu de sens.

L’été qui a suivi, j’avais prévu des concerts et on en a profité pour jouer ses morceaux en face d’un public et ça l’a fait ! En soit, cela ne change pas tout. En termes de son, on y trouve une continuité. Ca ressemble à un disque de Will Butler mais c’est aussi un disque de groupe. Dans l’esprit de Neil Young et de son Crazy Horse ou de Jason Isbell et le 400 Unit. A la moitié du travail sur l’album, on a choisi de donner un nom au groupe. Lorsqu’on l’a fait, ça a permis d’affirmer la chose et a laissé plus d’espace et des contributions différentes pour tout le monde. Ca a permis de rendre la collaboration réelle.

Tout ça s’est fait de manière naturelle. Ce qui est drôle, c’est qu’avant d’être les Sister Squares, Julie, Jenny, Sara et Miles t’accompagnaient déjà en tournée. Sur ce disque, on sent l’envie de frapper fort avec des titres aux allures d’hymnes comme Stop Talking. C’était une envie de revenir à ce côté choral et unifying de ta musique ?

 La moitié du disque est notre perception de ce qu’est un disque de pop avec des chansons comme ‘Long Grass’, ‘Stop Talking’ ou ‘Willows’. L’autre partie, c’est nous qui essayons de jouer avec les percussions, les voix en présence dans la pièce. Ce qui est assez représentatif de la manière dont on a fait l’album. On l’a fait dans un joli studio mais aussi dans deux sous-sols différents : celui de Miles et le mien. J’ai tendance à dire que c’est un album à deux niveaux car il a été vraiment produit à des endroits différents qui ont eu un impact sur les chansons avec d’un côté des chansons à l’approche plus classique et de l’autre, plus d’expérimentation. Quels que soient les morceaux, tout le monde a eu son mot à dire sur le résultat final.

 

Comme tu l’as dit, il y a eu des endroits différents pour enregistrer mais on retrouve aussi beaucoup de nouveautés d’un point de vue sonore. Est-ce que c’est arrivé comme ça ou vous aviez vraiment envie de vous tester ?

L’idée de base, c’était vraiment d’inviter les gens sur ce projet et voir où ça allait nous mener en suivant les désirs de chacun.

‘Il y a eu des moments où on se demandait si l’album ne devait pas être plus simple. Y ajouter 2 chansons pop de plus et le limiter à une durée de 35 minutes par exemple. Ou alors insister sur des titres comme ‘Good Friday’ ou ‘I Am Standing in a Room’ qui peuvent avoir un aspect plus science-fiction.’

On a fait écouter l’album à des amis, on s’asseyait tous dans une pièce, on a pris notre temps. Des gens prennent 10 ans pour faire un disque donc on s’est donné 2 semaines supplémentaires de réflexion, ce qui nous a semblé être un luxe. On nous a dit qu’on avait fait vite, cela nous a pas paru si rapide que ça. En fin de compte, ça nous a paru logique d’avoir un canevas plus ouvert.

Il fallait saisir le moment et l’énergie du groupe aussi. Comment est né le morceau I Am Standing in a Room ? Un titre très intrigant où tu commentes ce qui est en train de se passer autour de toi.

On a fait un concert à Brooklyn à la fin 2020 qui a été le seul d’ailleurs pour l’album Generations. Au même moment, je travaillais sur une pièce avec le dramaturge Lucas Hnath à New-York. Quelqu’un qui est à la fois populaire et très expérimental. Je pourrais parler de son travail pendant des heures. Il a écrit cette pièce qui s’appelle Dana H. Cela raconte l’histoire de sa mère qui a été kidnappé à l’âge de 20 ans dans un hôtel. Elle s’en est sortie et il a demandé ensuite 20 ans plus tard à quelqu’un de l’interviewer. Il a compilé 80 minutes de l’interview pour en faire une pièce. Ensuite, il a choisi une actrice qui se retrouve sur scène à écouter au casque le témoignage de sa mère et à le retranscrire en lip-sync. C’est une pièce incroyable, c’est extrêmement émouvant. La performance est tellement dingue que l’actrice a reçu un Tony Award de la meilleure actrice. Bref, c’est pour te donner une idée du type de travail qu’il est capable de produire ! (rires)

Lucas est toujours en train de questionner le média sur lequel il travaille. Lorsque j’étais ensuite avec la boucle de mélodie que j’avais enregistré sur cassette, je me suis retrouvé à me poser les mêmes questions. Quel est ce média ? Je suis dans une pièce debout. Cette chanson, c’est le temps. Cela représente le temps présent. Quand tu écoutes un morceau des Beatles, tu écoutes l’équivalent d’un bout de l’année 1964 tout en vivant dans ton époque. C’est comme un voyage dans le temps. Dans le même genre, j’ai lu un livre du réalisateur Andreï Tarkovsky qui s’appelle Sculpting In Time. C’est pour lui l’idée qui se rapproche le plus du montage vidéo, que tu sois capable de sculpter le temps. Une personne assez folle mais l’idée est très belle. Bien sûr, on sait être beaucoup plus pragmatique et on garde cette chanson juste parce qu’elle est cool ! (rires)

 

Peux-tu nous en dire plus sur l’artwork de la cover ?

C’est une peinture a été réalisé par Marcel Dzama, un artiste que je connais depuis une quinzaine d’années. Il a aussi donné leur nom aux Sister Squares en 2016. Comme son nom l’indique, il est obsédé par le travail de Marcel Duchamp qui avait fait un manuel d’échecs qui était composé de deux parties : Opposition et cases conjuguées. Cases conjuguées, c’est Sister Squares en anglais. C’est ce qui a donné le nom du groupe et le groupe l’a utilisé pour la première fois pour un DJ set.

Comme il faisait déjà partie de l’histoire du groupe, je lui ai proposé de nous accompagné pour la pochette. Il a fait une dizaine de dessins et de peintures assez rapidement, basés sur une séance photo auto-portrait réalisée pendant la tournée où on a écrit nos chansons. Bien sûr, il a ajouté les flèches, le son et le masque.

Au niveau des paroles, tu arrives à être très évocateur, en faisant référence à des moments de vie entre deux personnes, tout en restant à la fois assez vague et précis pour que ça parle à tous. C’est ta source d’inspiration principale les relations humaines ?

C’est une grande partie en effet. A la fois d’un point de vue romantique, amical et familial. J’ai lu énormément la poète américaine Emily Dickinson et elle maîtrise parfaitement cet équilibre entre le caractère précis et flou des sentiments qu’elle décrit. Elle écrit notamment sur le fait que tu te souviennes de moments transcendants où dans ta vie tu as ressenti quelque chose qui était proche du divin. Mais lorsque tu penses à ce moment-là, tu ne peux plus vraiment accéder à ce sentiment parce que la situation est passée. Ce qui est très ambivalent parce que c’est à la fois génial et pesant de savoir que tu ne pourras plus revivre ce moment précis. Elle décrit vraiment beaucoup cette sensation d’avoir une vision mais être dans un moment où tu ne pourras plus avoir cette même vision.

Sur ce disque, j’ai essayé de revenir au monde naturel. Ca parle souvent d’herbes, de montagnes, de collines. Romantique, dans le sens classique du terme. A la William Wordsworth, poète du 19ème siècle qui parle souvent d’observer les nuages. Je faisais un peu pareil en me baladant à New-York où je regardais les cygnes tout en me disant : What the fuck ? (rires)

 

Ca doit faire quelque chose de te dire que tu as déjà 20 ans de carrière dans la musique. Je dois dire que l’une des qualités de ce nouveau disque, c’est son caractère rafraichissant. Est-ce que pour toi ce projet était aussi une manière de trouver un nouveau départ créativement parlant ?

En quelque sorte. Je sais que le moment était propice : j’allais avoir 40 ans, je venais quitter Arcade Fire, il était temps de planter de nouvelles graines. C’est sûrement pourquoi je me suis tourné vers Miles et les autres membres du groupe. S’il y avait quelque chose à créer de nouveau, je voulais le faire avec quelqu’un. Même si ce n’était pas de nouvelles personnes pour moi, le but était de construire quelque chose de nouveau ensemble. C’était instinctif, même si je ne savais pas ce qui allait se passer. Le fait de les connaître au préalable est plus facile parce que j’ai confiance en eux.

Même si tu as eu la chance de tourner dans le monde entier, j’ai l’impression que Paris a une place à part dans ton histoire puisque c’est l’une des premières villes à avoir flashé sur Arcade Fire. Quelle est ton rapport avec la ville aujourd’hui ?

En venant ici, j’étais justement en train d’y penser. Nous avons joué au Nouveau Casino en 2005, j’avais 21 ans ! Ca a vraiment façonné ma vie d’adulte, au sens premier. C’est la fin de l’adolescence et tu viens à Paris. Rien que de se balader dans les rues de Paris, de pouvoir y jouer un concert de rock, c’était si rapide ! C’était 3/4 mois après la sortie de l’album, c’était à peine dispo en Europe ! On se parle d’une époque où les disques connaissaient plusieurs dates de sorties en fonction de la géographie : nord-américaine, européenne, etc.

C’était une période très formatrice. J’étais éduqué, je lisais beaucoup de livres mais je n’avais jamais vu le monde. J’en parlais tout à l’heure aux autres mais je me rappelle avoir 21 ans, manger des patisseries françaises et de me dire que le monde était plus grand que ce que je pensais. Aujourd’hui, nous sommes arrivés tôt et ça te laisse le temps de prendre tes marques dans la salle et de retrouver ce quartier du onzième arrondissement que j’adore. Pareil lorsque nous avons joué en 2015, le Zénith ou Rock en Seine, c’est autant de moments que j’ai en tête et du plus petit au plus grand des endroits, j’ai eu la chance de vivre des moments incroyables dans la ville via ces lieux. Il y a des villes où j’ai juste joué dans un stade et c’est tout.

 

A propos de l’observation de ton environnement, est-ce que tu ressens le besoin de devoir t’installer quelque part pour te nourrir et être inspiré différemment ?

Je suis choqué à quel point j’aime vivre à New-York. Grâce à toute cette vie qu’il y a. Le Prospect Park de Brooklyn est à 5 minutes de chez moi et j’y cours régulièrement et tu as l’impression qu’il y a le monde entier autour de toi. Un couple de russes qui s’engueule, des orthodoxes juifs en train de prier, des vieilles dames en fauteuils aidés par leurs neveux, un petit dominicain de 12 ans qui va balancer un DJ set en plein après-midi et dont tu demandes où sont les parents… (rires)

Il y a aussi un peu de nature, tu vois les feuilles changer de couleur et la température évoluer du chaud au froid. Je pensais vraiment vivre là-bas deux ans et en être fatigué. Mais en fait, j’adore être exposé à autant d’humanité en même temps, je trouve ça très énergisant. En plus avec Jenny, nous avons 3 enfants donc c’est assez compliqué de voyager. Et même si ça ne l’était pas, j’adore être à Brooklyn.

Comment se structure les sets pour la tournée ? Vous jouerez d’autres morceaux ?

C’est bien sûr centré autour du nouvel album mais il y a un peu de tout. C’est assez cadré, on a trouvé une sorte d’arc narratif pour faire en sorte que l’on retrouve l’univers de l’album tout en incorporant des anciens morceaux. On n’est pas saoulé par le disque encore donc on essaie de le jouer au maximum. (rires)

On est censés vous retrouver plus tard dans le temps ou cette tournée est un one-shot ?

On est en train de voir pour revenir l’été prochain en festivals. C’est assez nouveau de tourner l’album sans savoir ce que nous allons faire par la suite. Cela reste à confirmer mais avec un peu de chance, on devrait pouvoir revenir.

J’ai lu que tu participais à des projets pour le cinéma et le theater en parallèle ?

Il y a actuellement une pièce en cours à New-York, qui s’appelle Stereophonic. J’ai pu faire la musique et David Adjmi l’a écrite. C’est à propos d’un groupe en studio dans les années 70. Ce n’est pas une comédie musicale mais tu as des scènes où tu les vois jouer pendant une minute et l’un d’entre eux râle sur le son de la batterie, ils s’engueulent et tout s’arrête. C’est vraiment bien fait, le casting est top et les retours sont très bons.

Parfois, tu travailles sur ce genre de pièces, c’est éphémère et ça fait partie de la beauté du truc. Là, il semblerait que ce soit parti pour durer. Peut-être qu’on va pouvoir aller à Londres ou ailleurs.

‘En tant qu’adulte, je me suis rendu compte que je m’épanouissais dans les collaborations. Je suis sûrement meilleur à collaborer qu’en musique. J’ai besoin que quelqu’un finisse mes phrases et inversement. C’est ma force.’

C’est une forme spécifique d’empathie. Je ne dis pas que je suis la personne la plus empathique du monde mais artistiquement, j’éprouve beaucoup de joie à le faire et à essayer de retranscrire ce que les personnes peuvent ressentir.

Quelle est la dernière chose qui vous ait fait rire ?

Je ne devrais peut-être pas dire ça mais Miles est très fort pour inventer des personnages. Dernièrement, il s’amusait à faire une version barrée de Frankie Valli, l’un des personnages du film Jersey Boys. Ce qui est très drôle, c’est qu’il n’a jamais vu le film, juste la bande-annonce. Mais ça l’a fait vriller et il est parti là-dessus. C’est assez étrange parfois mais c’est fun ! (rires)

Parler avec Will Butler nous a donné l’impression de prendre une machine à voyager le temps à travers nos 20 dernières années. Le voir épanoui et très accueillant au sein de ce nouveau projet est très plaisant et en quelque sorte réconfortant, tout comme l’est l’album Will Butler + Sister Squares. Remerciements à Marion.