Staircase Wisp – Shooting Stars In Your Fridge And Other Astonishing Stories From The End Of The World

Voilà cinq jours que mes supérieurs m’ont mis sur l’affaire Staircase. Au début, j’ai pris le dossier à la légère : une banale affaire de cambriolage sur la 25ème Avenue, au-dessus du Cinéma Georges Méliès. Un riche collectionneur de guitares électriques dépouillé de sa précieuse camelote. Le rapport accusait la perte d’une vingtaine de pièces allant de la planche à pain customisée jusqu’à l’instrument serti de pierres précieuses reproduisant la silhouette touffue du matou d’une célèbre batteuse de Harlem reconvertie dans le marketing de fers à souder.

Aucun témoin, aucun indice, rien que de la merde, à part ce bout de Tiramisu entamé et abandonné sur la table, que l’auteur du vol a oublié, on dirait. Etude rapide de l’aliment : léger mais solide, onctueux mais dense, l’oeuvre d’un cuistot honnête. Ca m’a tout de suite rappelé cette affaire d’écraseur sauvage de cucurbitacées dans le Wisconsin, une affaire connue au Bureau sous le nom de code Smashing Pumpkins. Même rigueur d’opération avec cette finesse d’esprit criminelle. Un vrai repère pour les collègues.

J’ai eu d’ailleurs une embrouille avec un membre du Bureau sur les lieux du crime. Le Lieutenant Daf Bigbass me soutenait que ce vol à grande échelle était sans nul doute inspiré par cette affaire. Pour lui, le mode opératoire précis mais surprenant devait tout à l’histoire des citrouilles. Ce salopard tenait pour preuve les fenêtres laissées ouvertes, suffisamment pour faire passer un courant d’air chantant, doux et planant, et puis cette bafouille écrite à la peinture orange sur le mur de la salle de bain : When Will The Days Have Their Colors Back ? Le genre mystique et poétique, mon cul. Que dalle, lui rétorquais-je, tout ce beau bordel pourrait très bien être causé par la mafia italienne du quartier, dirigée par Marco Placebo. Ou même avec Kurdt Nirff, le dealer de Seattle qui cachait les corps dans des amplis sursaturés. Il suffisait de constater la petite brutalité avec laquelle le cambrioleur avait déboulé dans l’appartement : des coups secs de burin ébréchaient l’encadrement de la porte, rendant le passage plus rugueux et agressif. What’s The Point ? me répondit cette enflure, qui m’avait très bien cerné dans mes emmerdes à qualifier correctement le bazar.

Notre débat a tourné court quand mon inspection des lieux m’a amené à trouver dans un tiroir de la victime une coupure de presse sur un certain Kallendursky. Le meurtrier zoophile belge ? m’a demandé Bigbass. Il était bien documenté l’enfoiré. Le papelard était bien écrit, presque émouvant, avec de grandes envolées lyriques osées pour un journaleux à la con, presque défenseur du criminel qui a terrorisé Venus City il y a dix piges de ça. J’ai vite soupçonné le collectionneur d’avoir des accointances francophiles bien planquées. La couverture d’un bouquin intitulé ‘Le Centre Du Monde‘ a continué à me titiller. Même si tout ce français avait moins de chien qu’un bon petit pulp américain, les illustrations et l’ouvrage avaient belle gueule.

C’est là qu’a débarqué le patron : Commissaire Mike Adamrod. On a tremblé, on était pas en position de faire un rapport complet ni même de lui fourguer une piste fiable. Il nous a amenés la victime : un certain Peter-Gal Staircase, le genre louche et barbu qui était parti assister à la dernière connerie de Broadway au moment des faits. Shooting Stars In Your Fridge And Other Astonishing Stories From The End Of The World, que ça s’appelait, tu parles d’une comédie musicale à rallonge !

Mais j’ai vite senti le truc pas net : il avait un air à se jouer de tout, et surtout de nos bobines de fouines à imper. Une vérif rapide des horaires de spectacles m’a confirmé qu’il y avait entourloupe : un décalage de quarante minutes entre l’heure déclarée et le temps estimé du cambriolage, autant dire juste de quoi écouter un bon disque de rock’n’roll mélodieux. Je vous le dis, ça sent la nique fumeuse à l’assurance, avec des français pour complices et un vrai talent pour digérer ce qu’on fait d’autres empaffés condamnés avant eux. Haute voltige, je dis, ouais.