Giant Sand – Heartbreak Pass

Il vient de Tucson, Arizona, et roule sa bosse depuis maintenant 30 ans: Howe Gelb est à la fois un cas à part, un héros de l’underground et une figure influente, presque paternelle de la scène americana actuelle. Un vétéran coriace à la Nick Cave devenu lui aussi crooneur existentiel avec l’âge, plus tendre aux entournures, mais qui ne rechigne pas à libérer quelques salves électriques occasionnelles rappelant son country-rock déviant, noisy et aride des années 80 – jadis baptisé desert rock, d’ailleurs, de façon sans doute un peu plus pertinente et poétique que les hardos californiens ayant récupéré l’appellation depuis. Car il y a bien des milliers de kilomètres de désert rocailleux au milieu de ces sables géants, des plaines desséchées que l’on traverse dans une guimbarde poussiéreuse plutôt qu’en Harley, avec pour seules oasis des bâtisses isolées où l’on trouve à coup sûr de vieux instruments rafistolés et un frigo qui grésille dans un coin, rempli de bières. Le whisky reste sur l’étagère et se boit cul sec, sans glace, histoire de retaper le voyageur éreinté. Les meilleurs albums de Giant Sand sont aussi accueillants que des porches ombragés en plein cagnard, des albums rustiques dans lesquels on peut littéralement passer sa vie à refaire le monde et ‘Heartbreak Pass‘ est à n’en point douter dans le haut du panier, moins impressionnant que ‘Chore Of Enchantment‘ dans l’ensemble (la période avec Joey Burns et John Convertino de Calexico avait une saveur particulière) mais dans la lignée des belles expérimentations de ce disque, et également réminiscent des développements poursuivis avec John Parish sur ‘Is All Over The Map‘ puis ‘proVISIONS‘. Au travers des années le cowboy bourlingueur et philosophe de comptoir s’est acoquiné avec des dizaines de musiciens dans des dizaines de pays, peu regardant à l’heure de conjuguer des influences étrangères avec les sons de son terroir, pas bouseux pour un sou et à nouveau entouré d’une pléiade d’invités d’horizons différents ici. Habilement séquencé en trois parties (rock/blues, folk et jazz en gros), l’album est un pot-pourri richement produit, instable et passablement bordélique à première écoute, peut-être un brin trop bavard comme d’hab’, mais qui dérive lentement vers une série de ballades méditatives d’une classe folle, du genre à laisser tout chose ou mettre un noeud dans la gorge sans forcer (la bien nommée ‘Eye Opening‘, ‘Gypsy Candle‘ pour ne citer que celles-ci). Une deuxième moitié et une conclusion en uppercut pour un disque quasiment crépusculaire au final, Howe Gelb jetant un regard inhabituellement vulnérable, troublant même, sur la distance et le passage du temps. Très beau disque, une fois de plus.