Marsatac ✖︎ Marsatac ✖︎ Marseille

Après s’être fait éjecter de l’Esplanade du J4 pour cause de construction du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée et avoir investi le Dock des Suds en 2009, le plus grand festival marseillais de musiques actuelles, le Marsatac, a atterri cette année à la Friche Belle de Mai – à noter que la mairie de Marseille n’a pas facilité la tâche des organisateurs (accès aux plages du Prado refusé, proposition de lieux à faible capacité d’accueil, lenteur du dossier…). Marseille, capitale européenne de la culture en 2013 ? Ah bon. Malgré ces fâcheuses péripéties, le line-up de l’évènement est brillant. Une fois de plus. Et encore, le programmateur Dro Kilndjian a affirmé que « beaucoup d’artistes n’ont pas pu être programmés à cause du retard ».

GRÉVISTES DE MERDE
Jeudi 23 septembre. Je turbo-trépigne à l’idée de revoir Antipop Consortium, ces ingénieurs du hip-hop américain qui m’ont laissé bouche bée au Garorock. Les rues d’Avignon, elles, sont pleines de tracts crachant sur la réforme des retraites et le gouvernement de Sarközy de Nagy-Bocsa. Le site internet de la SNCF est formel : mon train pour Marseille est tout simplement supprimé. Conclusion : ce n’est pas ce soir que je vais revoir Antipop Consortium. Mourrez dans d’atroces souffrances, grévistes de merde ! À moins que ce soit Rico Woerth qu’il faille maudire. Verdict dans une dizaine d’années.

UN BLANC QUI CHANTE DU RAGGA
Vendredi 24 septembre. Rubrique « Vilaine SNCF », toujours : je finis au poste de police de la Gare Saint-Charles à cause d’un contrôleur sans scrupules. Après avoir convaincu les gardiens de la paix de ne pas déflorer mon casier judiciaire, je plonge dans les rues phocéennes, bien décidé à me délecter du Marsatac dans les règles de l’art. Accréditation autour du poignet gauche, je rejoins mes très chers ressortissants vauclusiens devant la scène Cartonnerie (la plus grande du site, 4000 places) où Beat Assaillant et ses musiciens charment la foule épaisse. La bande sert gracieusement ses hits jazz-rap (« Hard Twelve« , « Better Than Us« …) et (d)étonne en balançant un long medley réunissant, entre autres, Rage Against The Machine, N.E.R.D., Dr. Dre, Lauryn Hill, Justin Timberlake et 2Pac. Belle perf’.

Arrêt au stand. Hot dog, bières et stimulants sont engloutis lentement et sûrement. En rejoignant la scène du Cabaret Aléatoire, je passe dans la Rue Intérieure, aux lights absolument a-hu-ri-ssantes. Un régal — surtout pour les gens chépers. Une bonne dizaine de minutes à tourner au gré des lumières de cet espace onirique et me voilà tout au fond du Cabaret pour déambuler au son du beatboxeur Beardyman, produisant une batterie de sons hip-hop, jungle et bass music plutôt sautillants avec, parait-il, la seule aide de son appareil vocal. Fort.

Tandis qu’à l’Esplanade, en plein air, Missill fait comme d’habitude mais en mieux, à savoir un savant mélange (ou presque) de dirty dance, d’electro über-accrocheuse et de Nirvana (sic), je rate le set de Talib Kweli, trop occupé à prendre des nouvelles d’un ami tombé dans des bris de verre lorsque la dj-ette de poche a balancé « The Parachute Ending » (Birdy Nam Nam x Justice). Les mecs, pogoter comme des coreux sur du Birdy Nam Nam, faudra vraiment m’expliquer. Je reste quelques minutes devant A-Trak, histoire de vérifier si le dj, producteur et remixeur québécois sait toujours scratcher, et pars me figer devant le « spectacle » exécuté par Lexicon, qui semble sévir dans un hip-hop un peu rock, un peu glam et très kikoolol. Ca a le mérite de faire bouger une bonne armée de culs. Quelques minutes plus tard, Ghislain Poirier investit la scène Seita et livre un concert loin, très loin de l’intensité de ses shows machines + batterie en 2008. Là, le dj québécois (encore un !) est seulement accompagné par un MC, Face-T… Un blanc qui gesticule en chantant du ragga, c’est drôle.

Retour au Cabaret Aléatoire avec The Qemists. Le combo drum ‘n’ bass + rock de la mythique écurie Ninja Tune fait la part belle à son dernier album, « Spirit In The System« , sans oublier les deux gros hits de leur premier album, « Stompbox » et « Lost Weekend » — initialement chanté par Mike Patton et brillamment interprété par le chanteur live du groupe ; ne pas singer le Général, c’est un véritable exploit. On a droit à une petite dédicace aux Enter Shikari sur le morceau « Take It Back » (les affreux ont participé à la composition dudit titre), probablement inconnus pour la plupart du public ici présent. Souvent comparé à Pendulum (ils ne sont pas cinquante à mélanger rock et drum ‘n’ bass), The Qemists ont mis leurs couilles sur scène en envoyant des mesures plus granuleuses, plus dures et plus saturées que celles que l’on peut retrouver chez leurs homologues australiens. Néanmoins, ne crions pas victoire trop vite, « Spirit In The System » lorgne quand même un peu trop sur la pop.

Quatre heures du matin, tout le monde se barre. Je m’en veux d’avoir raté Sage Francis et Tumi & The Volume, mais pas Naive New Beaters. Non, eux, je les ai déjà vus deux cents fois. Sinon, quelqu’un a pété les rétroviseurs de mon camarade qui a désormais du verre dans les bras. Ici, c’est Marseille.

LA PERSONNE QUI CHANTE DANS FANCY EST UN MEC
Samedi 25 septembre. Je suis l’un des premiers journaleux à accéder au site du Marsatac et, pendant que la plupart se rendent vers le comptoir de l’espace pro, je deviens autiste au beau milieu de la Rue Intérieure, avec ses lumières toujours aussi irréelles. Ereinté par mes multiples excès de la veille, je me place à bonne distance des enceintes la scène Seita pour découvrir l’univers de Tha Trickaz. Cachés derrière leurs masques félins, les deux bonshommes s’amusent avec les basses et concoctent un sympathique petit moment d’electro-rap instrumental. Les quelques touches asiatiques présentes ça et là ne me crispent même pas.

Au Cabaret Aléatoire, Nasser me TRANSCENDE. Leur electro-rock épais est tout simplement exaltant. Le trio, exceptionnellement aidé par le chanteur de Fancy (si si, c’est un mec), joue à domicile et se permet de taquiner la foule comme sur « Too Loud / Too Old » (« If this song is too loud, you’re too fucking old ») où le blondinet du groupe balance un petit « vous êtes des putains de vieux ! ». A ma droite, un groupe de trentenaire se regarde. L’un d’eux se lâche : « bah ouais, la con de ta race ». Dans la foulée, un gamine de 16 ans grand maximum s’écroule sur ces tontons en foutant de la bière partout. Absolument hilarant. Sur scène, c’est irréprochable, du jeu de scène sobre aux compositions orgasmiques. Nasser, le next big thing français.

Drôle de mixture que propose Success : un rock ‘n’ roll chic agrémenté de kicks électroniques et d’un soupçon de rap mi-maladroit, mi-teigneux. Nonobstant ce mélange bâtard, l’équipée menée par Mister Eleganz impressionne par sa maîtrise et son sens du hit (« S.U.C.C.E.S.S.« , « Hard to come back« ). Le frontman est d’un charisme fou, effectue un marathon sur les planches, slamme comme une rockstar et escalade l’imposant pilier central de la Cartonnerie. Il fait tellement le show qu’on pourrait renommer le gang Mister Eleganz & Success. Le next big thing fran… merde, je l’ai pas déjà dit tout à l’heure ? Un peu plus tard au même endroit, Mr. Oizo balance le même set qu’au Garorock, à deux-trois exceptions près (quelques tracks de la B.O. de Rubber). Une demi-douzaine de personnes investit la scène pour balancer des pneus gonflables (coucou Rubber) sur la populace, qui se déchire pour s’arracher ces impressionnants goodies. Mouvements de foule, bousculades, chutes, demoiselles apeurées : je m’en vais régaler mon gosier. A la buvette, Dollsboy et son frère (wesh les copains !) me confirment que le barbu a fini son set par des tubes incontournables comme « Aerodynamic » de Daft Punk. Même pas remixé. Facile.

Nique sa mère Erol Alkan, je pars me finir sur le set electro-mongol des ritals Blatta E Inesha. C’est tropical, c’est catchy, c’est gras, c’est sautillant, c’est décérébré. Le truc parfait pour livrer mes dernières forces. Je commence à tourner de l’œil tandis que les lights donnent dans le vert-blanc-rouge. Bordel, on se croirait dans une putain de pizzeria.

Malgré une préparation perturbée par les réactions pataudes de la mairie de Marseille, le Marsatac 2010 est un grand succès. On regretterait presque que cette charmante Friche Belle de Mai ne soit qu’un lieu d’intérim pour le festival phocéen… Néanmoins, tous les éléments sont réunis pour faire confiance à l’organisation de l’évènement : rendez-vous en 2011 !