Gonzales ✖︎ Palais de Tokyo ✖︎ Paris

Qui est Chilly Gonzales ? C’est à votre convenance et en fonction de l’enregistrement que vous entrerez dans votre platine. La liste de ses talents est exhaustive : Beatmaker planant pour Gonzales Über Alles, MC pour The Entertainist, pianiste dans ses incroyables Solo Piano, compositeur pop lors de Soft Power, producteur pour Feist ou Peaches et même cinéaste le temps de Ivory Tower. Jason Beck nous prouve sa passion maladive pour la musique depuis déjà 12 ans et ce dans tous les domaines.

C’est cependant derrière un piano que Gonzales est surtout reconnu, et pour cause, il détient encore aujourd’hui le record du monde du plus long concert ayant joué plus de 27 heures dans le petit théâtre Ciné 13 en 2009. Pour avoir été assez privilégié pour y assister pendant quelques heures, on est bien devant un musicien ne connaissant pas la fausse note et faisant évoluer constamment ses morceaux pour proposer à chaque fois de vraies nouvelles expériences musicales.

Ce soir il est de retour et présente pour la toute première fois des morceaux issus de Solo Piano II dans le cadre très singulier du Palais de Tokyo, le tout filmé et diffusé en direct par l’équipe de Arte Live Web. La quête pour faire partie des présents a été probablement la plus compliquée de ma courte vie, et je ne saurais expliquer ma joie lorsque j’entre à 20h45 dans la salle Jean Epstein cachée dans les sous-sols du musée.

Le piano noir est posé au milieu d’un traveling, et le public se place tout autour. Gonzales arrive sous les applaudissements pour se poser et sortir un livre, le réalisateur nous explique le concept des “Salons de Musique”, qui repose notamment sur le live pur, les instruments ne sont pas amplifiés. Après quelques remerciements, le générique est lancé. L’atmosphère est des plus agréables, nous sommes réellement présents pour assister à un concert et on est loin des aspects “émission de TV” que nous pouvions imaginer. Chacun se place confortablement où il le souhaite et réagit simplement au spectacle, il n’y a aucun chauffeur de salle, ce qui aurait de toutes façons été inutile vu l’excitation dans les rangs.

Après avoir terminé un premier morceau visiblement extrait de Solo Piano II, Gonzales débute son show qui se situe entre une réelle prouesse musicale (la fausse note est un mythe), un côté très stand up en jouant beaucoup avec le public, ainsi qu’un aspect pédagogue pendant lequel il prend le soin d’expliquer certains côtés de la composition ainsi que des challenges qu’il a rencontrés pour certaines chansons. Il nous raconte par exemple que “White Keys” est un morceau pour lequel le but était de n’utiliser aucune touche noire avant de nous l’interpréter. Il en profite pour nous présenter ses esclaves musiciens, comme il le dit lui même, venus d’Allemagne, composés de trois violons ainsi que d’un violoncelle pour donner plus d’intensité et de vie à ses morceaux.

Ce que j’apprécie particulièrement tout au long de l’effort est l’aspect “leçon de musique”. Il utilise des exemples simples pour nous faire comprendre des notions pas nécessairement évidentes, tout comme avec sa première explication de la différence entre le majeur / mineur.

Les accords majeurs engendrent des chansons très joyeuses qu’il qualifie lui même d’”oppressantes”, tandis que les accords mineurs ajoutent un aspect mélancolique, le tout présenté de la meilleure des façons avec une version minorée de “joyeux anniversaire”, qui en donne un côté totalement dépressif qui ne manquera pas de faire rire le public toujours très réceptif. Il fait même venir quelqu’un du public pour jouer Frère Jacques qu’il transforme en version totalement décalée, mais la vraie première montée en puissance du concert arrive juste après avec la reprise de “Armellodie”, chanson extraire de Solo Piano, avec l’aide de ses musiciens. Les compositions de Gonzales peuvent se situer dans un registre à la Erik Satie ou Chopin pour ne citer que ceux que je connais, ne vous attendez pas à danser la marche turque mais bien à découvrir des chansons jouant beaucoup plus sur les émotions et la mélancolie.

Pendant une autre partie de la prestation il explique l’importance des temps des mesures qui jouent beaucoup avec les époques, le rock étant par exemple généralement basé sur du 4 temps (les fameux “1, 2, 3, 4”), ce que le pianiste explique notamment en fonction des modes des époques.

On apprécie la venue de Vincent Segal (violoncelliste pour des artistes comme Sting, Elvis Costello, M…) pour deux morceaux dont un inédit ainsi que “Dot” extrait de Solo Piano et qui y gagne énormément. Gonzales se permet même de nous jouer “Self Portrait” extrait de The Unspeakable Chilly Gonzales, un vrai rap des plus entraînants dont les paroles commencent par “I said I was a musical genius”. Car il ne faut pas oublier que Gonzales est un personnage, ce “musical genius”, qui peut très certainement en déplaire à certain. C’est un homme qui veut faire le show où qu’il soit, qui va s’incruster sur la scène des victoires de la musique pendant la remise d’un prix à M avec un “Je n’aime pas la chanson française”. C’est un personnage imposant qui a du attendre 5 minutes avant qu’un membre du public ose se décider à venir s’asseoir jouer Frère Jacques à ses côtés, et si certains puristes ne se laisseraient pas impressionner par le touché de l’homme, ses talents d’“entertainer” sont incritiquables.

Pourquoi parle-t-on d’un pianiste sur VisualMusic ? Il est où le rock ? Ce qui est rock, c’est l’aptitude de l’artiste à démistifier le piano ainsi que la musique classique plus généralement. Ce monde qui semble totalement fermé et réservé aux initiés ne l’est plus grâce à l’approche de musiciens comme Gonzales. L’exemple pourra sembler ridicule, mais nous pouvons finalement le comparer à un groupe comme Slipknot dans le metal, qui permet avant tout à l’auditeur d’entrer facilement dans un nouvel univers musical, avant de pouvoir par la suite y évoluer par ses propres moyens.

Gonzales excelle derrière son instrument et d’autant plus en tant que frontman, l’expérience est totale et je ne peux que vivement vous recommander de jeter une oreille sur un de ses Solo Piano. Il est de retour derrière son instrument à la Gaité Lyrique mi-octobre, dates évidemment archi-complètes. On n’a pas fini d’entendre parler de lui.

Ce live se découvre ci-dessous :