Interview ☭ Cocoon

Vous avez sans doute déjà entendu parler de Cocoon, ce duo français composé de Mark Daumail et Morgane Imbeaud apparu sur la scène folk française au Printemps dernier. Depuis un EP baptisé From panda mountains » et surtout l’excellent album « My friends all died in a plane crash » ont suivi. Visual-Music ne pouvait donc pas louper la sensation douce-amère de cette fin 2007 avec un rendez-vous pris mi-décembre chez Stéphane Gille, Directeur du label Sober & Gentle et c’est plus précisément dans la chambre même du boss que nous avons pu nous entretenir (détail qui nourrit les fantasmes les plus fous de Ross depuis plusieurs semaines). Malgré la fatigue accumulée au cours d’une année riche en émotions, le duo s’est livré à l’entretien de manière chaleureuse et détendue, un vrai plaisir que je vous laisse partager.

Nous allons commencer par les débuts, vous vous êtes rencontrés suite à une annonce sur Internet. Quels ont été les éléments qui vous ont rapprochés ?
Morgane : C’était comme une évidence. Mark avait ses chansons que j’écoutais en mp3 de mon côté depuis deux semaines. Puis on s’est rencontrés, on était tout timides mais c’était rigolo. Mark a chanté une chanson et j’ai commencé à poser des chœurs dessus.
Est-ce que l’harmonie de vos 2 voix à jouer dans la décision de poursuivre l’expérience ?
Mark : En fait j’avais enregistré une démo sur un 4 pistes et je faisais ma voix et celle d’une fille, c’est à partir de là que j’ai décidé d’en chercher une parce que ce que je faisais était très moche. Avec Morgane, ça a tout de suite collé parce qu’elle a un sens de l’harmonie que je n’aurais jamais, c’était le premier point important. Ensuite elle m’a dit qu’elle était pianiste et ça m’a tout de suite accroché.

J’ai cru comprendre que tu avais écris et composé les morceaux à partir de choses qui te sont très personnelles, est-ce que c’était difficile à transmettre à Morgane ?
Mark : J’ai écrit des textes que je pensais être chantable par un garçon et une fille même si bien sûr il y a des vieux morceaux qui sont très masculins mais les autres textes sont plus mixtes. C’était d’ailleurs intéressant d’écrire comme si j’étais une femme et un homme en même temps, une sorte d’escargot (rires) . Avec le temps, Morgane s’est accaparée les textes et aujourd’hui on compose tous les deux. Elle a encore un peu de mal sur les textes mais ça viendra au fur et à mesure.
Donc dans l’avenir on peut imaginer des albums complètement mixtes ?
Mark : A mon avis le prochain sera déjà « moitié homme/moitié robot » [Bernard Minet power]

Quels pourraient être tes apports par rapport au Cocoon d’aujourd’hui ?
Morgane : C’est une bonne question … Je dirais plus de bases au piano car c’est quand même très différent de composer à la guitare et au piano.
Mark : Oui, le premier album est d’ailleurs un album entièrement à la guitare, puisque Morgane a posé le piano ensuite dessus. J’adorerai poser une guitare ou des cordes sur le piano. Je pense que la base amène tout le reste donc si on la change le prochain album sera automatiquement très différent. C’est d’ailleurs amusant parce qu’en étant deux, il y a des milliards de possibilités, beaucoup plus que dans un groupe de 5 où tout le monde est obligé de se restreindre pour ne pas mettre d’égo en avant. Alors qu’en duo, nous pouvons mettre à notre guise l’égo de l’un ou de l’autre en avant. Là, j’ai eu mon moment avec cet album, je pense que le prochain sera plus le sien où je me mettrai en retrait. C’est aussi ça le plaisir, donner et recevoir.

Je voudrais revenir sur la période entre le moment où vous avez commencé à travailler ensemble et celui où vous avez signé avec votre label. Comment avez-vous vécu cette période ?
Mark : On a fait des enfants ! (rires)
Morgane : Peu après notre rencontre, on a gagné un petit tremplin près de chez nous donc deux semaines plus tard, on a commencé à faire de la scène.
Mark : On a aussi rencontré notre éditeur, Sophiane grâce à ce tremplin. C’est une structure de Clermont qui a pour but d’éditer les jeunes artistes du coin. C’est un peu le tremplin entre Clermont et Paris et comme on a grossi et qu’ils ont d’autres groupes qui ont grossi, cela a eu une répercussion sur eux et aujourd’hui ils sont très bien implantés et ont beaucoup de contacts. Ils nous ont trouvé nos dates mais ils ne sont pas fermés à ce qu’on peut leur proposer, tout est discutable. On leur doit énormément car grâce à eux, on a évité pas mal de problèmes au niveau des contrats par exemple, c’est une protection qui nous a permis d’aller tout en douceur vers Sober & Gentle, label qui nous a permis ensuite de sortir un EP puis un album. Tout cela s’est fait très tranquillement. On a aussi choisi la bonne option par rapport à des groupes qu’on connaît bien comme The Do ou Fancy qui ont d’abord voulu signer en Angleterre avant de finalement signer en France.

Vous avez fait de nombreux tremplins que vous avez souvent gagnés dont le CQFD. Comment les appréhendiez-vous ?
Mark : Avant je les considérais comme des étapes mais plus maintenant. Je pense qu’on est passés au dessus de cela. C’est surtout au début du développement d’un groupe que les tremplins sont très importants notamment celui du Printemps de Bourges et des Inrocks.
Morgane : Surtout celui des Inrocks qui permet à un groupe d’avoir une portée nationale.
Mark : Ce qui est drôle avec le CQFD, c’est qu’on croyait avoir tout gagné et on se rend compte que c’est l’inverse, même si c’est une grande marche franchie.
Morganne : En fait il y a 2 étapes : au début, tu cherches juste à faire des concerts, des tremplins, après tu arrives à sortir ton album et là il y a une grande période d’attente.
Mark : C’est vrai que on vient d’avoir toute la presse et les radios qui nous sont tombées dessus. L’album se vend très bien, c’est génial mais on se rend compte qu’aujourd’hui on ne peut plus influer sur l’essort de Cocoon. C’est vraiment la partie du label et des attachés de presse, il ne nous reste plus qu’à répondre aux interviews dans des chambres comme aujourd’hui, on a aussi fait ça dans une montgolfière. On vit une année de dingue en somme, on a fait des trucs de fous.
En tout cas pour en revenir au CQFD, on peut dire que vous avez bien géré la suite car il y a pas mal d’artistes pour qui c’est plus compliqué. Je pense à Spleen par exemple, qui a gagné le tremplin en 2005 et qui, a beaucoup plus de mal à percer malgré son grand talent.
Mark : On l’a rencontré sur un festival, c’est quelqu’un avec qui on aimerait bien travailler. Je pense qu’il a plus de mal parce que son premier album, She was a girl avec 22 morceaux, est très difficile à défendre. Il a quand même eu une synchro de fou sur Les Poupées Russes de Klapisch avec Bitches on the ground qui est un super morceau. Je pense qu’il a pas trop mal mené sa barque, il a mis plus de temps que nous mais sur le long terme, ça devrait bien marcher. J’ai écouté quelques titres de son nouvel album qui est en français maintenant et il vise vraiment une grosse médiatisation. Ca peut marcher parce qu’il est dans une espèce de soul française qui n’existe pas. Je pense que Rock’n’roll qui a gagné le CQFD en 2006 est un meilleur exemple parce qu’après le tremplin, il n’y a rien eu.

C’est vrai, c’est sans doute pour cela que je n’ai même pas pensé à eux ! Comme on l’a dit, après le CQFD vous avez signé avec Sober & Gentle. Etait-ce un choix de signer sur un label indé ?
Morgane : Oui dès le début, on a eu d’autres propositions mais c’est vraiment ce qu’on voulait.
Mark : Maintenant on sort un peu du circuit indé parce qu’on a 300 passages clips sur M6, on va bientôt être sur MTV et On my way passe pas mal en radio. C’est amusant d’avoir tout cela en passant par un label indé, surtout qu’à la base on voulait juste sortir notre album et en vendre 5000, ça nous aurait suffit. Aujourd’hui on en a vendu 7000 en 5 semaines donc c’est vraiment un truc de dingue auquel on en s’attendait pas du tout.

En plus, tout est allé très vite. 2 ans, ce n’est rien dans la vie d’un groupe.
Mark : C’est sûr. Le temps de se rencontrer, de monter un groupe, d’enregistrer un album ce qui nous a pris beaucoup de temps parce qu’on avait réservé 2 mois et demi de studio divisés en session d’une semaine. En plus on apprenait, on ne connaissait ni le vocabulaire, ni le matériel disponible. Du coup, on a eu une année 2007 à 100 à l’heure mais avec des pauses nettes où on n’avait pas le temps de comprendre ce qui nous arrivait qu’il fallait déjà repartir. En ce moment, on est dans une période où on a vraiment envie de rentrer chez nous après une grosse phase de promo au cours de laquelle on a eu tout ce qu’on voulait, avec des papiers hallucinants dans Libé, Elle, Télérama, les Inrocks, France 2… Je ne vois pas d’autres groupes qui ont tout cela sur un groupe sur un label indé de nos jours. Tout cela grâce à Stéphane qui travaille comme une major mais avec une éthique indé, ce qui est vraiment mortel. Il me force à laver son appart, à ramasser les feuilles dans la cour comme cet après-midi mais il bosse quand même très bien (rires) et il nous explique tout ce qu’il fait. C’est très enrichissant parce qu’on est encore que des bébés, on sait juste faire des chansons. On est aussi très amis avec le designer qui est ici et qui a fait toute notre pochette. On est vraiment devenu un groupe d’amis et c’est très agréable de travailler dans cette ambiance plutôt que dans une major.

Pour parler de l’album, je dirais qu’il est très contrasté dans le sens où il y a plusieurs moments qui pourraient basculer dans une certaine tristesse mais en même temps il y a des côtés rassurants voire drôles. Essayez-vous de faire un équilibre entre les textes et les compos ou est-ce que c’est jute instinctif ?
Mark : On n’aime pas les trucs angoissants. Il y a forcément un côté instinctif mais on a aussi beaucoup réfléchi au concept. On est parti du Panda qui a conduit aux montagnes et on a créé la carte virtuelle d’un monde imaginaire et du coup même s’il se passe des trucs horribles là-bas, on est rassurés parce qu’on n’y vit plus. On peut y aller quand on en a envie, on reste maîtres de la chose et c’est d’ailleurs ce qui se passe quand on est sur scène.
Quand on écoute l’album, on se sent immédiatement plongé dans cet univers, c’est assez fort, surtout pour un premier album.
Mark : Ca vient sans doute beaucoup du choix des chansons. On en avait énormément et on a choisi ces 12 là parce que c’est les seules qui étaient cohérentes.

Justement, je voulais vous en parler parce que toutes les chansons sont très courtes et s’enchaînent rapidement mais il y a une grande cohésion sur tout l’album. Est-ce que c’était une condition importante pour réussir l’album selon vous ?
Mark : Oui, on s’est posé un tas de questions. Pourquoi 12 chansons et pas 16 ? Pourquoi faire un album d’une demie heure et pas d’une heure ? Mais l’unité prévalait sur tout le reste. On voulait vraiment un disque uni, qui devient ton doudou et que tu veux emmener partout plutôt qu’un album d’une heure avec un peu tout et n’importe quoi.
Morgane : Et puis c’est toujours mieux de faire quelque chose de concis plutôt qu’un album long où au final tu mets des chansons de côté, où tu finis par t’ennuyer.
Mark : D’ailleurs, pour en revenir à Spleen, je pense que c’est cela qui lui a nuit. Même s’il y a des morceaux qui durent 30 secondes, ça casse quand même le rythme.

Vous avez pu participé au choix du single, On my way ?
Mark : Au début il y avait Tell me qui nous a fait gagné le CQFD, les Inrocks l’avaient pressé à 40 000 exemplaires dans leur compil mais c’était impossible de passer en radio avec ce morceau. Donc on a écouté l’album et on s’est rendu compte que les deux titres qui sortaient du lot, étaient On my way et Vultures. Bien que On my way ne soit pas la meilleure de Cocoon, ça reste une suite d’accords très basiques mais elle est très directe. Mais bon, tout ça on s’en fout un peu finalement, ce qui nous importe c’est qu’un max de gens découvre notre musique et ensuite vienne nous voir en concert.

Il y a eu aussi un gros travail sur l’objet en lui-même, ce qui est assez rare pour un premier album. Vous avez eu de la chance qu’on vous laisse la permission de le faire.
Mark : On l’a prise ! C’était très important pour nous d’avoir un bel objet, déjà pour l’Ep il y avait eu un gros investissement là-dessus. On a vraiment bossé plusieurs semaines sur les polaroids, le petit livre où on trouve des infos sur les chansons, des anecdotes.
Morgane : Et on voulait absolument faire un digipack parce qu’acheter un boîtier cristal à 15 euros maintenant c’est ridicule. Les gens nous le disent souvent, ils sont contents d’acheter l’album parce qu’ils ont l’impression d’en avoir pour leur argent par rapport à un CD classique.

On vous associe beaucoup au revival folk qui à la base était un mouvement très protestataire, qui est par la suite devenu plutôt poétique, est-ce que vous vous reconnaissez dans les racines de ce style musical ?
Mark : Complètement. Bob Dylan par exemple, c’est de la protest song où il peut dire qu’il emmerde le gouvernement et ensuite glisser une phrase sur les fleurs qui poussent, c’est génial. Mais je suis plus Neil Young, c’est vraiment la musique du cœur. Il n’a jamais parlé de politique contrairement à Dylan. Il n’y a pas longtemps j’ai écouté Harvest et c’est une vraie tuerie. J’aime plutôt la première période de Dylan comme beaucoup de monde mais ce sont tous les deux des artistes géniaux. Nick Drake aussi, c’est plus pop anglaise au niveau des textes et folk américain au niveau de la musique. J’aime beaucoup aussi tout le folk chrétien, bien que je ne sois pas du tout branché religion. On ressent tellement le côté mystique qu’on a peut-être à certains moments sans parler de Dieu ou alors juste pour le casser.

Et est-ce qu’il y a d’autres artistes auxquels vous vous sentez affiliés ?
Mark : Ouais carrément. Dernièrement j’ai découvert Seabear, c’est un album qui m’a retourné. Je l’ai écouté 6 fois ce matin, c’est l’un des plus beaux albums de l’année selon moi. J’ai aussi beaucoup aimé The National, il y a aussi des références comme Cat Power ou Elvis Perkins aussi qui a sorti la plus belle chanson de l’année While you were sleeping qui dure 6 minutes avec 4 accords et qui te fait pleurer à la fin.

Vous allez bientôt commencer une grande tournée. Comment appréhendez-vous la scène ?
Mark : Au début on a gagné des tremplins scène, ce qui est très bizarre car on a tout sauf un talent scénique. Depuis on s’est nettement améliorés, on a fait 80 dates en deux ans et on se sent chez nous sauf pendant le quart d’heure qui précède que je crains toujours. Pour la tournée, ça va être très beau. On a crée une vraie mise en scène.
D’ailleurs avant, ce n’était pas trop dur pour gérer l’espace en étant deux ?
Mark : On ne savait pas quoi faire donc on branchait un clavier, une guitare, nos voix et ça suffisait à toucher les gens. On voulait garder un rapport de potes avec eux, on fait toujours des blagues pourries. Mais je commence à beaucoup aimer la scène alors qu’à l’origine, je me disais que je ne ferai que des disques mais pas de scène, j’étais mort de trouille. J’ai mis du temps à accepter le fait que la musique devait aussi être sur scène, je ne voyais que le travail de scientifique en studio. C’était très égoïste comme démarche, je ne faisais pas de la musique pour les autres mais je n’y arrive pas. J’aimerai pouvoir écrire sur les gens, sur la pollution mais je n’arrive qu’à écrire sur moi et Morgane.

Vous avez réussi à bien percer, maintenant il va falloir durer. Vous pensez que cela passe par quoi ?
Mark : On a maintenant d’autres barrières à percer. On a franchi l’étape Libé, Télérama et les autres, il faut désormais faire la presse plus généraliste. Après pour durer, est-ce qu’il faut sortir un disque tous les 10 ans comme Voulsy ou 2 par an comme Murat ? Je ne pense pas qu’on pourrait sortir un album tous les ans. On va essayer de se prendre un pause quand même en 2008 si on peut pour faire un truc qui change. En plus, en avril on va enregistrer au studio RCA aux Etats-Unis sur le même matériel que Johnny Cash, c’est un cadeau extraordinaire.

Et bien c’est sur ce beau projet que je vais vous laisser.
Mark : Tu ne vas pas partir sans une bonne paire de chaussettes ?

Á vous de deviner ma réponse : envoyez OUI ou NON au 33545 (0,35 euros + coût d’un SMS). Vous pouvez aussi (et je vous le conseille) garder votre argent pour accompagner Cocoon dans les Panda Mountains lors de leur tournée qui a démarré le 12 janvier 2008.

Un grand merci à Mark, Morgane, Noémie et Lisa.