Interview ☭ Gojira

Des fois, le sort s’acharne et il semble y prendre un malin plaisir le salopiaud. Vous me direz une moitié de set de Gojira, c’est toujours mieux que pas de set de Gojira du tout mais quand même m*rde ! Après Arras, Bruxelles. Notez ce coup-ci, j’avais vu venir la carotte de loin (et pas comme ces heures d’attente cruelle à l’entrée de la Grand Place d’Arras) : sortie du boulot plus tardive que d’habitude, un collègue à raccompagner (résolution pour 2009 apprendre à laisser les gens crever la gueule ouverte), passage à la supérette du coin pour faire un plein piles neuves+sandwich, il est 18h quand je prends l’EutEuroute de Bruxelles, j’ai grosso modo 1h30 de trajet et je reçois le message de la tour manageuse de Gojira m’apprenant que le groupe joue à 19h. « Shit goddamn » comme dirait l’autre.
Allez c’est pas grave, de toute façon je serais à l’heure pour interviewer un des meilleurs groupes métal du moment, ça motive pour arriver en un seul morceau. Le temps de potasser ce décidément bien bon « The Way Of All Flesh » aux limitations de vitesse française, j’arrive à la capitale d’Outre-Quiévrain sans gros problème d’embouteillages et trouve à me garer en à peine 3 tours de quartier (pour ça la Belgique, c’est magique). Au final c’est une grosse moitié de set à laquelle j’ai dû assister, c’est déjà ça. Fin du carnage, direction le bar pour attendre la sémillante Emma, tour manageuse des Landais, qui m’emmènera rejoindre Christian Andreu (guitare) tout frais sorti de la douche.

Merci tout d’abord de me recevoir après le boulot, d’ailleurs j’ai remarqué que vous vous êtes mis à jouer les nouveaux morceaux [NDR : j’ai au moins entendu « Vacuity » et « Toxic Garbage Island« ]On a décidé sur cette tournée [NDR avec In Flames] de jouer 3 morceaux. Enfin on jongle avec 3-4 morceaux et on voulait voir ce que nous on ressentait en les jouant et puis le public, savoir ce qu’il ressent. C’est vrai que c’est délicat, pour l’instant les gens connaissent pas donc ils nous regardent avec de grands yeux mais ça commence à venir, on a fait 7-8 dates et ça commence à rentrer. Mais de toute façon, nous on s’éclate à les jouer même s’ils sont pas évidents à jouer Mario [Duplantier batterie] notamment en chie un peu mais c’est super, c’est vraiment bien.

Concernant le nouvel album, vous n’avez pris que 5 jours de repos après la fin de la tournée « From Mars To Sirius » pour enregistrer
Pour enchainer sur la compo du 4ème, j’ai pas compté les jours mais c’était assez court effectivement

C’était quoi l’envie derrière ça ?

Notre envie c’est toujours d’avancer par rapport au projet et à l’actualité du groupe, là il s’avère qu’il fallait faire un autre album et on a avait pas trop le temps. On s’est dit : il y a telle et telle tournée qui arrive, on a tant de temps entre, donc il faut faire un album. C’est un peu mathématiques vu comme ça mais en même temps, on avait pas mal d’idées dans les tripes, on avait vraiment envie de composer. En fait, on a pris plus de temps que sur les albums précédents, donc ça donne un album un peu plus posé, un peu plus mélodique et puis peut-être plus mûr même si j’aime pas trop utiliser ce mot-là, en tout cas on s’est bien éclatés à le faire.

Justement, cet album, bon il vient de sortir mais ça fait un moment que j’en parle avec des gens autour de moi, d’ailleurs t’en penses quoi du téléchargement ?
Ouais personnellement, je m’en fous, l’album est écoutable et ben tant mieux. Les gens l’écoutent : ceux qui veulent l’acheter l’achètent, ceux qui veulent le télécharger le font. Dans le groupe, je pense que je peux parler pour eux, on vit avec le temps, avec notre époque, on sait que ça se fait comme ça et puis c’est tout.

Je pense que la qualité qui s’en dégage est une bonne caution pour vous, d’ailleurs on le voit déjà puisque vous tournez aux States, vous prenez en compte cet aspect dans votre démarche parce que c’est quand même assez inédit pour un groupe de métal français ?

Oui, en fait depuis notre première répèt, on s’est dit on veut explorer la planète entière. On s’est pas donné de limites d’entrée de jeu dès notre première démo on voulait aller là-bas ou en Australie ou n’importe où. Là on y arrive donc c’est un peu la consécration même s’il y a encore du boulot, on aimerait bien aller au Japon par exemple. Mais bon, on vient de faire trois tournées en un an aux États-Unis et pour nous c’est vraiment là où ça explose. Les autres pays nous regardent du coup d’un œil différent. Et puis c’est vraiment génial de pouvoir tourner là-bas c’est fou comme pays, tout y est si immense c’est hallucinant !

Vous y avez également enregistré l’album avec Logan Mader [Divine Heresy, Cavalera Conspiracy et ex-Machine Head et Soulfly], est-ce que tout y a été enregistré ?
Non pas tout, en fait on a commencé comme souvent par la batterie et Joe [Duplantier, chant] avait décidé avec toute l’équipe de faire ça avec Logan Mader parce qu’il avait eu l’expérience avec Max Cavalera [pour Cavalera Conspiracy donc]. Il s’était super bien entendu avec lui, le mec était hyper motivé pour faire l’album et il bosse super bien, voilà c’était un peu logique de faire ça comme ça. Donc Joe et Mario sont partis là-bas et y ont fait les batteries. Puis ils sont revenus, on a fait les guitares, basses et chants chez nous au studio et Joe est reparti pour faire le mix avec Logan qui a fait aussi le master.

Ça a représenté quel changement pour vous qui travailliez avec Laurenx Etxemendi ?
Notre ingénieur du son, oui ça a été un changement car on a arrêté de faire un peu tout nous-même à la maison, du pré-fabriqué comme on a pu faire sur les autres albums, même si « From Mars To Sirius » est bien quand même. Mais on voulait faire ça avec un pro, le mec qui fait que ça de sa vie et c’est vrai qu’on cherchait le son américain même si c’est con de dire ça, on cherchait un gros son américain. En même temps comme Joe a pris part aussi au mixage, on garde le son « Gojira » ce à quoi Joe reste très attaché, au final ça fait un bon compromis.

En continuant de parler de l’album, vous avez fait une collaboration avec le chanteur de Lamb Of God
Oui, Randy Blythe.

C’est un pote à vous en fait ?

En fait on avait fait une tournée aux États-Unis avec Lamb Of God, on est devenu super potes.

Ce sont eux qui vous ont invité la 1ère fois à tourner là-bas ?

En fait c’est plus une histoire de labels, de management et il s’avère qu’on a tourné avec eux et on s’est super bien entendu. Randy c’est notre fan N°1 aux États-Unis comme on le dit tout le temps. C’est devenu un gros fan, au bout de quelques concerts il venait sur scène pour chanter. Depuis le temps Joe avait envie de le faire venir sur un morceau, il y a eu un échange entre eux deux, quelque chose de personnel. Qu’il soit sur l’album c’est vraiment quelque chose de naturel et pas du tout un coup de pub ou de marketing, c’est de l’amitié. Et le morceau est pas mal, Joe a trouvé des riffs qui allaient bien sur la voix de Randy mais tout en restant dans du Gojira.

Au niveau du thème des chansons ?
Ben là pour quelque chose de vraiment précis, il faudrait plus demander à Joe, c’est lui qui écrit toutes les paroles ! Pour résumer un peu : c’est un album qui parle de la mort mais aussi de la vie. C’est un album où il y a également plus de colère par rapport aux précédents : Joe et nous tous, on a une certaine hargne envers la tournure que prennent les choses concernant l’environnement et ce qu’il se passe en général sur la planète. Avant Joe prenait les mêmes thèmes mais plus en introspection, là il a envie de pousser un coup de gueule. Et en plus de ça, il y a donc le thème de la mort et il associe un peu les deux. Quand tu prends « Toxic Garbage Island« , tu sens la colère dans les paroles, l’environnement mêlé à tout ça. Et donc voilà, si on fait pas gaffe à ce qu’il se passe sur la planète, on est voué à la mort… et comme de toute façon, on est voué à la mort, ça l’a amené à réfléchir sur ça.

En tout cas, je dois dire que ces thèmes me touchent beaucoup et m’ont fait réaliser à quel point on peut être tous semblables

Ouais c’est ça, on se pose tous les mêmes questions, il y a beaucoup de souffrance aussi dans « All The Tears« , il parle d’un enfant abandonné et là il parle de souffrance qui lui est propre aussi. Le thème du bouddhisme ressort également : on est tous attaché à ça quand on en parle entre nous, on a vraiment les mêmes idées.

Ça se ressent dans votre musique, les percus avec les bambous, des voix de moines tibétains, où allez-vous chercher ces sons, c’est vous qui les enregistrez ?
Oui, c’est Mario et Joe qui font ça, mais je pense que c’est venu naturellement car c’est justement dans leur nature de composer spontanément, naturellement. Et puis surtout quand tu écoutes des chants tibétains, c’est impressionnant et je pense qu’au début en déconnant ils se sont mis à le faire, puis au final c’est devenu sérieux et on s’est dit qu’on allait le mettre sur l’album. Ils se servent beaucoup de leur inspiration, ce qu’ils écoutent à droite, à gauche.

Sur l’album « physique », vous avez sorti une édition spéciale avec des illustrations faites par Joe
Oui, je vais dire, c’est très « famille », Joe et Mario ont conçu l’album donc il y a des dessins de Mario, d’autres par Joe, des photos de Gabrielle qui est leur soeur et la photographe du groupe. Donc ça donne un package un peu familial mais c’est très représentatif du groupe, moi je les laisse faire parce qu’il sont super forts là-dedans et ça donne un beau packaging.

Vous avez également tourné un clip pour « Vacuity« , qui s’en est occupé ?
Ben il y a eu beaucoup de monde mais on va dire que c’est principalement Julien Mokrani qui a toute une équipe derrière lui, une quinzaine de gars, ce sont des Français. Ils avaient une motivation hors du commun, ils ont pris tout ce qu’il fallait, ils ont vraiment compris ce qu’on voulait y mettre. La personnage principale c’est Claire [Theodoly], une cousine de Joe et Mario, elle est comédienne. On est hyper contents du résultat.

Là, vous enchainez direct après cette tournée avec une autre en tête d’affiche en France, prêts à tenir le choc ?
Ben oui, on est bien obligés ! Mais bon on tient le coup, on reste sains, on fait gaffe à notre vie personnelle, à notre alimentation, ça se passe super bien. Et puis quand on voit l’énergie des gens qui viennent nous voir, ça donne de l’énergie aussi pour continuer. Bon là on a fait 8 dates, je vais te dire : ça va ! On a une super équipe, il y a des gens qui nous aident, on est de moins en moins backliners, des choses comme ça. Malgré tout c’est pas encore totalement l’équipe qu’il nous faut, on manque encore de personnel et puis de thunes tout simplement, on manque d’argent pour du meilleur matos, une meilleure organisation… exemple : j’ai pété mes récepteurs HF, du coup je joue avec un jack et ça me fait chier je suis tout le temps à batailler avec sur scène. Donc c’est des petits problèmes comme ça, on demande pas des milles et des cents mais le minimum on a un peu du mal à l’avoir par ce que financièrement, on n’est pas toujours payés sur les dates, on galère encore. Beaucoup croient qu’on roule sur l’or mais c’est très très loin d’être le cas. On aurait besoin de 2-3 personnes en plus, souvent on se retrouve à décharger le matos sous la pluie.
Mais bon, nous on reste vachement plus sur le fait qu’avec l’ampleur que prend Gojira c’est génial, nous, notre principale priorité, c’est de toucher des gens de par notre musique donc on est encore prêts à en chier un moment mais un jour ça va péter ! (rires)

Comment vous gérez l’évolution du groupe par rapport à la renommée ?
On assume plutôt bien, on reste détendus, on se prend pas la tête. On se balade, on va voir les gens dans la salle, on se prend pas pour des stars.

Et 20 minutes après le concert tu réponds à des questions.

Oui bien sûr, moi après je vais aller me balader dans la salle, au merch…

Et vous avez plus de fans qui viennent vous voir ?

Ouais depuis 2-3 ans le groupe commence à bien exploser, quand on joue aux États-Unis, en Europe, ou même quand on est allés en Norvège, il y a des fans qui arrivent pour nous voir, c’est fou quoi. Même là ce soir, on sentait ça. En Angleterre aussi, il commence à y avoir un buzz autour du groupe. Où qu’on aille, on a de plus en plus de fans donc on le ressent. Et puis surtout la tournée « The Link » c’était qu’en France, maintenant les tournées c’est Europe, États-Unis, donc on sent fatalement une évolution.

Quelles différences tu retiens entre la France et les États-Unis ?
C’est difficilement comparable, là-bas le métal c’est dans la culture depuis tellement longtemps que dans les concerts tu vois des femmes de 45 ans, les bras en l’air, qui sont à bloc et qui connaissent toutes les paroles, qui écoutent Lamb Of God… de 12 à 50 ans, ils écoutent du métal et donc ça touche quelque chose comme 30-40% de la population alors qu’en France, ça touche peut-être 5%, si tu vends 20 000 albums t’es une super star alors qu’on est quand même 60 millions. Encore une fois, on peut pas comparer, c’est tellement différent.

Pour finir, j’ai eu l’occasion d’entendre ici même une anecdote venant du bassiste de Lamb Of God, John Campbell, qui arborait un sweat capuche Gojira et qui disait qu’il l’avait échangé avec son sweat Gwar préféré, tu es au courant de cette histoire ?
Ouais, ben c’est avec moi !! En fait le truc c’est que j’avais toujours ma veste Gojira et puis comme je te dis, on était vraiment entrés dans leur intimité, on s’entendait super bien avec eux, et un jour John arrive et il me fait : « tiens my bro’ je te file mon sweat ». Son sweat il puait, il m’a dit qu’il l’avait pas lavé depuis des mois, il m’a dit qu’il y tenait vraiment, il l’avait depuis des années, d’ailleurs sur leur DVD tu le vois toujours avec. Moi j’étais tout ému du coup, je lui ai donné ma veste Gojira. La sienne je l’ai toujours, elle est sur un porte manteau chez moi.

Et tu l’as lavée ?

Direct !!! Deux jours après qu’il me l’ait offerte je l’ai foutue dans une laverie aux États-Unis. Mais ça reste quand même une belle histoire !

Un grand merci à Christian pour sa disponibilité et sa sympathie, merci également à Emma, à Jess de Listenable Records et enfin merci à mon p’tit Marku pour le contact
Mes plus plates excuses à tous pour ce retard inqualifiable.